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Billet de blog 18 mars 2016

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Une jeunesse congolaise en quête d'espoir.

A l'approche des présidentielles en République démocratique du Congo, Paul, un jeune congolais de 24 ans m'a confié ses doutes, son espoir, son envie de démocratie, des aspirations qu'il partage avec toute une jeunesse, désireuse de panser les plaies d'une guerre civile qui dure depuis 20 ans, et de construire ensemble un état démocratique.

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Récemment, La Fondation Cartier, a mis à l’honneur la richesse culturelle de la République démocratique du Congo, à travers l’exposition « Beauté Congo », et à même décidée de prolonger de quelques mois cette exhibition, répondant ainsi à ce besoin d’exotisme rencontrés chez les parisiens. Nous pouvions alors aller à la rencontre de la culture de la sapologie et de la fameuse rumba que Franco a réussie à démocratiser en dehors des frontières de son pays natal.

Cette exposition, malgré la richesse de ses œuvres, permet aussi de maintenir une vision étriquée de l’Afrique, et plus particulièrement de la RDC. Nous gardons alors à l’esprit ce côté folklorique et coloré de la RDC auquel les tableaux voulaient bien nous renvoyer, et qui participe à entretenir les fantasmes européens sur le continent africain. Le plus consternant étant que  nous avons plus dansé sur du Fally Ipupa, que lu d’articles sur les 6 millions de morts que recence la RDC depuis le début du conflit, il y a maintenant 20 ans, et qui gangrène toute la région Est de ce grand pays.

Nous parlons d’un conflit oublié, des vies et des morts méprisés par toute la communauté internationale, un conflit aux enjeux multiples, incompris par la majorité d’entre nous. Un conflit qui, depuis 20 ans, ne cesse de se développer sous le regard passif du reste du monde.  Et si jamais une couverture de ce conflit venait à s’installer de manière durable dans les médias, ce serait une catastrophe pour toutes les industries utilisant les minerais, tel le cobalt nécessaire à la fabrication de smartphone, présents dans les nombreuses mines de la région du Kivu [Région de l’est de la RDC] .

Et puis, il faut être honnête, on s’en fout. Tant que nos I Phone nous permettront de faire de jolies photos,  tant que les multinationales continueront d’abreuver les magasins de produits à obsolescence programmée, tant que des migrants Congolais n’arriveront pas en masse à nos frontières, tant que l’or extrait des mines pourra briller à nos cous, les conditions de vies dans la région du Kivu nous resteront étrangères et lointaines, « un conflit ethnique de plus qui hante ce continent maudit » dirons-nous.

C’est vrai, 6 millions de morts en 20 ans, en y ajoutant tous les déplacés, les femmes violées, maltraitées et autres mutilés, victimes des rebelles ne sont pas des crimes suffisamment atroces aux yeux de la communauté internationale pour qu’enfin nous réagissions. De plus, il faudra justifier de notre silence sur le rôle joué par le Rwanda et les Etats-Unis dans ce douloureux conflit. Et comprendre les enjeux géopolitiques de cette région.

C’est un peu trop compliqué, déjà, il y a deux Congo en Afrique, alors pour nous, occidentaux, cela est déstabilisant, alors comprendre pourquoi Paul Kagamé, le président rwandais, entretient les rebelles du M23 dans la zone du Kivu et utilise de tous les subterfuges possible pour pouvoir  importer des minerais en provenance de cette région, nous échappe encore plus. Mais tout cela est très bien expliqué ici

Pour autant, ce conflit n’a pas complétement  réussi à briser les rêves de la population de  Bukavu, une grande ville de la région du Kivu. Un quotidien dont la dureté nous est à tous inconnu, mais que Paul a bien voulu me partager, et qui à travers son récit m’a invité à lire entre les lignes, l’espoir, les ambitions et les aspirations d’une jeunesse dont la souffrance est ignorée de tous.

Paul m’a envoyé son histoire, son récit de vie, celui qui tient sur 4 pages d’un document word. Pas besoins de grands mots, de phrases au vocabulaire pédant t’expliquant que la vie te sera compliqué selon l’endroit où tu né. C’est humble et juste à la fois. Le dessein d’une vie meilleure, d’un optimisme que nous, occidentaux avons perdu depuis bien longtemps, peut-être parce que nous sommes une génération gâtée et insolente, parce que l’opulence de notre société nous rend affreusement égoïste.

Paul a 24 ans. Dont 20 années passées dans un pays en guerre. Il a 5 ans lorsque le conflit éclate en RDC.  De cette période précédant la guerre, il n’en garde aucun souvenir, l’histoire il me la partage à travers le récit de ses parents, celui d’un père commerçant et d’une mère couturière, qui parfois lui rappelle ses longs six mois de maladie à l’âge de 4 ans, pendant lesquels la recherche d’un traitement adéquat n’a cessé de les inquiéter.

Et puis arrive le conflit. Paul s’en souvient. Surtout de l’explosion et du pillage du dépôt de son père. Parce que cet évènement a fait sombrer sa famille dans l’incertitude. Il me parle alors des opposants politique de l’époque, menés par Laurent Kabila, que Paul surnomme le « Mzée » (Le vieux, le sage en swahili), qui ont entrainés la chute de Mobutu, des longues marches pour atteindre un autre village dans lequel lui et sa famille pourrait se mettre à l’abri.

C’est alors que je commence à sentir la révolte, le sentiment d’injustice lorsque Paul me parle des nombreux massacres auxquels son peuple doit faire face. Des meurtres de masses à l’est de la RDC, et à Paul de me raconter, « que les Kivutiens sont les premières victimes, que nos pères, nos mères, nos frères, et sœurs sont violés, torturés et tués comme des animaux , des nuits où la fatigue t’entraine dans un profond sommeil sans pour autant avoir la certitude de voir le soleil au petit matin faute d’insécurité ». Paul écrit aussi « que même le plus petit rien que tu as réussi à te payer te sera volé et  qu’à cet instant tu tombes dans le désespoir de la vie ».

Commence alors les études, cette période que certains pourrait considérer comme une période bénie, Paul ne l’aime pas, car le manque de moyens de sa famille l’empêche de suivre la formation voulue, de la honte et la peur ressenties lorsqu’il se rendait à l’école car l’argent manquait à la maison pour payer le droit d’admission, et les humiliations des autres élèves auxquelles il devait faire face. Paul évoque aussi les moments où il ne mangeait que le soir, des journées passées à l’école le ventre vide, l’exil de ses amis lorsque le conflit, mené par le général Mutebutsi, retrouve de son intensité en 2004, la douleur ressentie à cause de l’absence de ses proches.

Cependant, Paul va croiser le chemin d’un cameraman, qui deviendra son ami par la suite. Il se forme alors en autodidacte sur la prise d’image, travaille sur des projets informatiques pour finalement rejoindre une chaine de radio.  Il profite alors de cette expérience pour compléter sa formation en journalisme, et rejoint par la suite une ONG pendant quelques mois pour devenir correspondant, ce qui le rend très fier.

Paul finit par me parler de « la misère incroyable dans laquelle il a grandi », des journées entières, parfois des nuits, passées à travailler sans pouvoir prétendre à un salaire décent, mais sans jamais cesser de « penser que cela rapporte un peu plus pour sa famille, ses amis et ceux qui souffrent plus que lui ». Il évoque aussi cette terrible corruption qui empêche son pays d’avancer, cette même corruption qui est responsable de la pauvreté dans son pays car tout avancement social est conditionné par des connaissances, ce que l'on appelle du piston. 

Cette frustration aussi, Paul l’évoque. Celle de vouloir intégrer des grandes universités, cette boulimie d’apprendre qui lui est souvent refusée car il doit subvenir aux besoins de sa famille, la négligence du gouvernement congolais à l’égard de toute la jeunesse, du fait qu’il faille payer pour obtenir un travail. Et puis il me parle de tous les obstacles auxquels  il a dû faire face lorsqu’il a voulu rejoindre une université européenne,  des rejets qu’il a dû essuyer car sa "condition d'homme pauvre" n’était pas désirable ailleurs. Je ressens cette frustration. Cette frustration de ne pas avoir accès à l’éducation, celle de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de sa famille comme il le voudrait, celle de ne pas pouvoir partager une expérience qui selon lui permettrait à une génération entière d’avancer vers quelque chose de positif.

Paul me dit aussi qu’il y a eu des belles rencontres dans sa vie, qui l’ont fait avancer, qui ont laissées une trace indélébile. Mais que le courage ne le quitte pas, qu’il a envie de lutter pour les autres, pour que toute la jeunesse africaine, mais en particulier celle du Congo ait une vie meilleure.  Je finis par lui demander s’il en veut à l’Europe, à l’occident, de notre silence sur ce qu’il se passe dans son pays.

« Dans ce sens, oui j’en veux à l’Europe de nous oublier, mais c’est avant tout la faute de notre gouvernement, car il devrait prendre soin de tous ses enfants. Je me sens vraiment isolé du monde extérieur. Ma vie peut s’arranger si j’ai une chance de travailler. Mais pour mon pays, il faudrait que le système change, que le gouvernement change. Pour cela,  nous avons besoin de journées ville morte comme celle du 16 février , lutter pour la démocratie, pour l’alternance au pouvoir. Tu sais, il faut obliger Kabila à partir, organiser des sit-in et des soulèvements populaires. Et c’est à nous la jeunesse de porter ce mouvement, car nous sommes l’espoir pour le Congo ».

Paul finit par me parler d’une organisation pro démocratie, la LUCHA, dont deux  militants, Fred Bauma et Yves Makwanbala, sont emprisonnés depuis maintenant un an. Cette semaine, des membres de la LUCHA ont organisés une marche appelant à la libération de leurs camarades. 19 militants ont été arrêtés pendant cette marche, pourtant pacifique, pour "trouble à l’ordre publique".  Et même si cette recherche de démocratie semble être régulièrement contrariée, et se vit dans une indifférence générale, ces jeunes n’ont pas envie d’abandonner, conscients que le changement viendra d’eux-mêmes. Les élections approchent, mais Kabila ne semble pas prêt à vouloir lâcher le pouvoir. Alors il faudra continuer la lutte, se fédérer, et que cette même jeunesse s’unisse pour qu’enfin une autre voie soit possible. Et rester debout. Toujours.

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