Hier, ma journée a commencé ainsi: la découverte des estimations de vote des Dom-Tom. Je me dépêche alors d’aller voter, comme si cela pouvait avoir une quelconque incidence sur ce que je viens de lire, l’espoir d’inverser la tendance et gommer l’effroi dans lequel je me trouve. S’ensuivent quelques heures de craintes, elle peut gagner, malgré toutes les tentatives de raisonnements face aux partisans du “ni-ni”. Je sais comme il a été bien compliqué de faire appel au barrage républicain pendant cet entre-deux-tours, et que les débats passionnés de ces derniers jours ont occasionné de nombreuses ruptures au sein de la société française.
Ah oui, elle, c’est la candidate de l’extrême-droite, l’extrémiste comme l’appelle les journalistes belges, quand certains de nos journalistes ici, sans vouloir m’aventurer dans un quelconque populisme bas de gamme, l'ont présenté sous un angle sympathique, rendant alors possible l’éventualité de porter son projet fasciste au pouvoir. C’est ce qui me terrifiait depuis le 10 avril, et qui ne m’a pas lâché donc, jusqu’à la fuite des premières estimations des résultats de la part de nos voisins belges.
Monsieur Macron, je dois vous dire que ce soulagement fut bref. Il s'est stoppé net dès lors que mon regard s’est posé sur votre équipe gouvernementale en train de danser sur le champ de mars, se réjouissant, toute honte bue, de votre victoire et de votre réélection suite à un quinquennat sans cohabitation. Je me demande si ces images sont bien réelles. L'humilité aurait été pourtant de rigueur face au caractère tragique de ce moment historique.
En effet, 13 millions de voix pour l’extrême-droite, ce n’est pas rien, c’est une défaite morale et politique, dont vous avez été l’un des artisans. Je dois vous dire, Monsieur Macron, qu’entre les élections présidentielles de 2017 et 2022, 3 de mes votes ont été donnés principalement pour contrer l’extrême-droite. J’ai renié une partie de mes convictions au premier tour du 10 avril 2022, en votant gauche utile, tant l’extrême-droite me fait peur. Je vous ai ensuite donné ma voix au second tour de 2017, et maintenant celui de 2022, dans l’unique but de faire barrage. Un vrai castor.
J’habite à Saint-Denis, et nous avons voté pour vous à près de 80% (79,09%) au second tour, et après vérification, je suis presque certaine que nous nous trouvons dans le peloton de tête des villes qui vous ont accordé le plus de voix. Mais pourtant, ne vous méprenez pas avec ce haut score, il ne s’agit aucunement d’un vote d’adhésion, mais d’un vote de survie face à la menace fasciste qui ne cesse de grossir en France. Ici, dans ma ville, l’extrême-droite n’est pas un fantasme, un programme à essayer pour contester un ordre établi, car le racisme et la xénophobie sont vécus au quotidien par une bonne partie de la population, comme ce monsieur croisé dans la rue la veille du second tour, qui le regard plein d’inquiétude, m’a demandé si j’allais bien voter pour vous et non pour la fasciste. Voilà où nous en sommes rendus et c’est un échec terrible.
Est-ce que cela vous en aviez conscience en venant nous rendre visite la semaine dernière à Saint-Denis, que les gueux conspués que nous sommes, les oubliés d’une politique en faveur des puissants, les soi-disant islamo-gauchistes, les wokes, les amish, allions faire barrage, dans un effort collectif, au fascisme, malgré toutes les attaques répétées de votre camp politique à notre encontre, nous militants de gauche, que d'admirables tribunes seraient écrites pour rappeler le danger de l’extrême-droite, quand alors la peine ne serait même pas prise de votre côté pour le nommer,. J’espère, même si je vous n’accorde aucune confiance, que vous saurez vous souvenir que le 93 a pris ses responsabilités face au fascisme.
13 millions de voix pour le RN, et vous dansez, rigolez, célébrez une victoire qui est le résultat de tout, sauf d’un vote d’adhésion.
Face à ce danger, à cette parole raciste banalisée, je m’apprête une nouvelle fois, aux législatives et en fonction des arbitrages entre les différents partis de gauche, à voter utile, avec le sentiment de trahir encore ma famille politique de coeur, car il y a une urgence anachronique à combattre et à laquelle je ne peux me soustraire: l’extrême-droite. Et pour cela, je suis terriblement en colère.
Oui, Monsieur Macron, je vous l’accorde: ce vote vous oblige pour les années à venir. Premièrement, à faire appel à plus d’humilité en ne confondant pas la peur de voir un programme fasciste advenir en France, et un vote d’adhésion. Oui, ce vote vous oblige à regarder en face la montée terrifiante de l’extrême-droite et de placer toute votre énergie pour combattre les idées mortifères du RN, car ici, il n’y a pas beaucoup de doutes à avoir : il s’agit bien d’un vote d’adhésion à des idées rances. Et enfin, Monsieur Macron, ce vote vous oblige à rendre la démocratie accessible à l’ensemble des citoyens français, et à réformer un système malade, dans lequel une majorité de français ne se reconnaît plus.