Après un mois et demi passé en Afrique de l'Est, entre la Tanzanie et l'Ethiopie, j'ai ressenti différentes formes de malaise, des sentiments que je ne savais expliquer, des sentiments confus qui me mettaient mal à l'aise. Cependant, vu le niveau du débat actuel en France et l'islamophobie assumée de notre gouvernement, mais aussi de nombre de citoyens français, cela m'a permis de faire le lien entre ce que je ne savais expliquer suite à mon voyage et la profonde indignation que j'éprouve actuellement lorsque j'écoute les informations.
Le lien, je l'ai fait en repensant aux plages de Zanzibar. De toutes ces femmes occidentales qui se retrouvent en bikini, ne prenant pas la peine de se couvrir dans les rues des villages, oubliant le fait que les zanzibarais sont à 99% musulmans. Mais ici, le muzungu, le touriste ne se pose pas la question de savoir s'il va heurter les consciences en se baladant en maillot de bain, en buvant de l'alcool, en faisant la fête, non il vient profiter des plages de rêves qu'il n'a pas dans son pays, et se justifie en disant qu'il participe au développement local en venant dépenser son argent en « Afrique ».
Parce qu'il faut voir les touristes dans cette partie du globe. Ces touristes remplis de bons sentiments se baissant à la hauteur d'enfants mendiants pour leur glisser un billet dans la main, tout cela pour se dédouaner d'une mauvaise conscience, celle de se pavaner dans un luxe ostentatoire, quand à quelques mètres, des familles habitent des bidonvilles. Il faut voir ces femmes blanches tenir la main des hommes noirs sur la plage, pensant alors vivre une histoire d'amour sincère, ou tout simplement à la recherche d'une affection qu'elles n'ont pas en Europe. Ici, la misère fait que tout s'achète, le sourire d'un enfant ou l'amour d'un homme. Mais notre arrogance, notre toute puissance ne nous pousse pas à nous demander si nos agissements sont bons ou non, si le fait d'entretenir une relation de dominants/dominés n'est pas quelque chose d'affreusement néfaste. Cette question, nous refusons de nous la poser, car cela viendrait remettre en cause ce sur quoi de nous sommes incapables de nous questionner depuis le début : Qu'est-ce qui justifie cette arrogance, cette toute puissance, cette volonté que nous avons à vouloir dominer le monde et à vouloir rester dans un schéma néo-colonialiste ?
Parce que la toute puissance du muzungu lui laisse penser qu'en plus de dominer le marché économique mondial, il peut aussi contrôler les pensées, imposer sa vision des choses, mais surtout nier et refuser tout ce qui est peut être différent de ses propres croyances et habitudes de vies, car le muzungu est un être sacré, l'être divin qui prêche la bonne parole et qui se doit d'imposer sa vison aux plus faibles, aux âmes perdues pour les sauver.
L'homme occidental va donc s'engager dans des projets humanitaires, il se rendra alors dans des parties du monde pour venir éduquer « le sauvage », distribuer de la nourriture « aux petits nécessiteux ». Ainsi, l'homme occidental garde tout pouvoir sur les « plus faibles » car il crée une relation de dépendance avec eux. Il sera l'homme providentiel qui viendra distribuer à manger, qui viendra en situation d'urgence soigner les blessés, leur apporter réconfort, tout en prenant soin de prendre des selfies avec « des petits enfants noirs » pour les poster sur facebook, suivi de généralement d'un commentaire laconique tel que « Moi avec un enfant (souvent le prénom de l'enfant est cité, cela montre qu'une relation s'est nouée entre eux) trop mignon et courageux, trop d'amour ».
Ce sentiment-là, je l'ai ressenti tellement de fois, à chaque fois que je voyais ces touristes, à genoux face à un enfant, en leur tendant un billet. Il n'y a rien de glorieux à habituer un enfant à dépendre du touriste, à l'encourager à la mendicité. Mais cette situation conforte car dans notre imaginaire, notre inconscient, l'homme africain ne peut pas s'en sortir, il est un être pauvre et misérable, toujours à la recherche de quelque chose à manger. Il doit rester un « crêve la dalle » pour que nos entreprises humanistes puissent continuer d'exister, pour que l'on puisse continuer de venir nous servir en Afrique. En laissant alors l'homme Africain dans une situation d'urgence, il ne pourra pas s'investir durablement pour son pays. Les autres, les occidentaux s'en chargeront, avec la bénédiction des régimes corrompus sur place, bien trop occupé à s'enrichir au détriment de leur propre peuple.
Et c'est ici que tu t’aperçois des dégâts du colonialisme sur notre façon d'interagir. Sur ces rapports clairement biaisés, sur cette façon que le muzungu a de considérer l'homme africain : nous gardons à l'esprit des images du temps colonial, d'un homme noir qui a besoin de l'homme blanc pour s'en sortir, d'un demi-homme, d'un être dénué de sentiments, chose qu'on lui refusait de toute évidence pendant cette sombre période.
Et je suis rentrée en France, déjà déstabilisée par une fin de voyage complètement hallucinante en Ethiopie. Le gouvernement en place décide de tirer sur son peuple. Une centaine de morts en un week-end. Internet coupé pendant près d'une semaine. Des appels à manifester un peu partout dans le pays. Des compagnies de bus qui annulent toute correspondance en direction de la capitale. Des autocars fouillés par l'armée, des contrôle d'identité, suivi de fouilles corporelles, suivi d'un « Welcome in Ethiopia ». Des chaînes nationales niant l’existence de revendications. Et un silence de la communauté internationale. Jusqu'au geste incroyablement courageux du marathonien Feyisa Lilesa aux Jeux Olympiques de Rio. Mais il faut s'habituer. Tout ce qui ne ressemble pas à un occidental n'a pas la même valeur que ce dernier. Il nous faut un héros, une belle histoire pour nous émouvoir, sinon nous nous lassons de ces drames quotidiens.
J'apprends donc que l'on débat sur le burkini en France. C'est vrai, il est important de mépriser et de nier le droit des femmes de pouvoir se baigner comme elles le souhaitent. Mais, ça, le muzungu n'en a que faire. La femme, sur son territoire, il veut la voir d'une telle façon, elle doit se dévoiler pour lui faire plaisir, montrer sa chair, son corps, l'exposer à son regard, pour qu'il puisse toujours avoir la possibilité de la contrôler. Alors, imagine la surprise du muzungu quand il apprend que la femme musulmane a trouvé une parade pour pouvoir se baigner en toute liberté, ignorant ainsi le bikini, le maillot une pièce ou tout autre tenue dite « occidentale ». Le muzungu s'est senti blessé que des femmes, et en plus musulmanes, des êtres qu'il méprise doublement, puisse se baigner comme elles l'entendent. Le muzungu a donc décidé d'une loi, humiliant ainsi la femme musulmane, mais aussi pour asseoir et rétablir sa toute relative domination, alors portée par son arrogance et son machisme.
Et nous autres, les femmes occidentales, acclamons ces décisions. Pensant que notre liberté se limite au port d'un bikini. C'est donc cela ma liberté ? Pouvoir porter un bikini, être top-less sur une plage ? Sérieusement ? Ma vraie liberté, ne serait-elle pas, comme le souligne si justement une femme saoudienne dans une reportage diffusé récemment sur Arte, d'avoir les mêmes droits que les hommes, au lieu de me satisfaire d'un débat médiocre sur le port autorisé ou non d'un burkini. Hier, aucun de ces hommes prônant la liberté des femmes ne s'est fendu d'un communiqué dénonçant le recul flagrant de la France concernant la place accordée aux femmes au parlement, et donc de la parité, donc de l'égalité homme - femme. Cette hypocrisie est d'une indécence...
Parce que l'homme occidental n'a pas vocation à se remettre en question. Des siècles de domination, de guerres en tout genre, de massacres au nom d'une prétendue liberté et démocratie l'ont empêchés de se questionner sur toutes les erreurs et crimes commis. L'homme occidental pense avoir la bonne vision de la liberté, et au nom de cette soi-disant liberté, il est en train de crisper des générations entières, est en train de fabriquer la haine de l'autre, d'humilier tout ce qui lui est différent, pour ensuite s'émouvoir, s'indigner du monstre qu'il est en train de fabriquer.
J'ai alors finalement compris l'emploi, parfois excessif, de muzungu. J'ai alors fini par comprendre et en faire ma propre définition.Ici, il ne s'agit pas de couleur de peau, ni d'appartenance à une quelconque religion. Il s'agit de définir un comportement nauséabond et malsain, car selon moi, le muzungu est un être arrogant, qui de part sa supériorité économique pense pouvoir imposer aux plus faibles sa propre vision du monde et refuse la différence, refuse que l'autre puisse ne pas adhérer à ses idées, et pense que tout peut s'acheter au détriment des libertés individuelles auxquelles chacun a pourtant droit.