« Les revendications formulées par les employés de banque, sur un ton discourtois au demeurant, pour légitimes et fondées qu’elles soient, n’en manquent pas moins de fondements. Je le sais parce que les Directeurs de Banques qui sont des hommes avisés et courtois, dignes de foi, me l’ont affirmé la main sur le cœur… C’est le monde à l’envers, le comble, Messieurs ! Prenons garde qu’ils ne nous prennent ce qui faisait la force de nos empires : le monopole du cœur… Quoi qu’il arrive, je ne peux accepter qu’on m’impose une discussion rythmée de cris hostiles et dans les rumeurs confuses de l’émeute ! Les grands principes de la démocratie sont en jeu ; la question est la suivante : un État qui tire sa force du peuple – et le nôtre tire assurément sa force du peuple – a-t-il, moralement, le droit de reculer devant une minorité braillarde et composite qui se prend pour le peuple ? Non, nous ne reculerons pas. Nous relèverons le défi des syndicats ! » Le président se tourne vers le Ministre de l’Intérieur : « Il faut que force reste à la loi. Les manifestants ne doivent pas dépasser l’avenue Maginot. »
Le narrateur N’Dongo, alias Tamango, décidera plus tard d’écrire un roman, dont l’introduction confirmera que finalement, rien n’a changé depuis les indépendances, que les hommes sont désespérants et que le Dieu créateur lui-même « se désintéressa de tout ce bordel et trouva plus sage de les laisser se débrouiller seuls. Kuntha avait décidé de créer cette lointaine planète, la Terre, à titre expérimental, juste pour voir. Il y avait des océans, de grandes forêts, des animaux géants. Ça suffit pour le moment, avait dit Kuntha qui était un peu fatigué à la fin de la journée. Puis Kuntha avait détourné le regard de la Terre. Il avait entière foi en sa toute-puissance : il pourrait toujours plus tard compléter les effectifs de cette nouvelle planète qu’il lui avait plu dans Son Infinie Bonté de créer. Mais une nuit Kuntha s’aperçut par hasard, en contemplant le ciel que non seulement il y manquait quelques étoiles, mais que d’autres avaient été changées de place ; se penchant sur la Terre il se rendit compte que les animaux géants avaient été exterminés et les forêts dévastées ; que les océans étaient couverts de blessures. Kuntha vit que tout cela était l’œuvre de misérables bestioles presque invisibles à son regard qui détruisaient le monde en clamant effrontément que le seul mot de passe, c’est l’homme.
Kuntha vit aussi que ces êtres s’étaient multipliés à une grande vitesse (et tout aussi rapidement divisés) ; qu’ils avaient inventé l’équilibre de la terreur, le pas de l’oie et l’électricité ; et qu’ils passaient le plus clair de leur temps à se jeter à la face des inepties dans les conférences internationales….
Alors voyant que cette foutue pagaille lui déplaisait, Kuntha le tout-puissant se sentit désemparé, mais il se tira d’affaire en se disant qu’après tout, il n’avait pas créé cette espèce-là, qu’ils se débrouillent donc tout seuls, cela ne me concerne pas. Puis comme chaque fois qu’il se sentait trahi ou blessé dans son orgueil, Kuntha, oubliant les hommes, resta immobile à contempler pour plusieurs millénaires encore, les vagues et les lumières de la Mer de Sérénité. »