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Billet de blog 20 octobre 2023

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Gaza : un cas d’école de génocide, par Raz Segal

Raz Segal, historien israélien, est un spécialiste reconnu de l’étude des génocides. Il s’est penché sur les événements tragiques qui secouent Israël et Gaza et a publié son opinion le 13 octobre dernier. J’ai découvert ce matin son article, en anglais, dans le billet d'un abonné, dont je livre ici la traduction, sans commentaire, avec les liens.

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Un cas d’école de génocide

Israël s'est clairement expliqué sur ce qu’il faisait à Gaza. Pourquoi le monde ne l’écoute-t-il pas ?

Raz Segal

Le 13 octobre 2023

VENDREDI, Israël a donné l’ordre à la population assiégée de la moitié nord de la Bande de Gaza d’évacuer vers le sud, annonçant une intensification imminente de ses attaques sur le nord. L’ordre a poussé plus d’un million de personnes, pour la moitié des enfants, à fuir désespérément sous les frappes aériennes incessantes, dans une enclave emmurée où aucune destination n’offre de sécurité. Comme l’a écrit aujourd’hui la journaliste palestinienne Ruwaida Kamal Amer depuis Gaza, « les réfugiés du nord arrivent déjà à Khan Younis, où les missiles ne cessent de tomber et où nous n’avons plus de nourriture, d’eau ni d’électricité. » Les Nations unies ont averti que la fuite des habitants du nord de Gaza vers le sud allait avoir «  des conséquences dévastatrices » et « transformer ce qui est déjà une tragédie en cataclysme. » Au cours de la semaine dernière, la violence d’Israël à l’encontre de de Gaza s’est traduite par la mort de plus de 1 800 Palestiniens, des milliers de blessés et le déplacement de plus de 400 000 personnes à l’intérieur de l’enclave de Gaza. Et le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a de plus annoncé que ce que nous avons vu aujourd’hui « n’est qu’un début. »

La campagne conduite par Israël pour déplacer les Gazaouis—et potentiellement tous les expulser en Égypte—ouvre un nouveau chapitre de la Nakba, au cours de laquelle quelque 750 000 Palestiniens ont été chassés de leurs maisons durant la guerre de 1948, qui a débouché sur la création de l’État d’Israël. Mais l’assaut sur Gaza peut également être compris dans une autre perspective : celle d’un génocide se déroulant sous nos yeux. J’affirme cela en tant que spécialiste du génocide ayant passé de nombreuses années à écrire sur les violences de masses commises par Israël à l’encontre des Palestiniens. J’ai écrit sur le colonialisme de peuplement et sur la suprématie juive en Israël, le détournement de l’holocauste en vue de stimuler l’industrie israélienne de l’armement, la militarisation et les accusations d’antisémitisme en vue de justifier la violence d’Israël à l’encontre des Palestiniens et le régime israélien raciste d’apartheid. Maintenant, à la suite de l’attaque du Hamas ce samedi et du massacre de plus de mille civils israéliens, le pire du pire est en train d’arriver.

Aux termes du droit international, le crime de génocide se définit comme « l’intention de détruire tout ou partie d’un groupe national, ethnique, racial ou religieux en tant que tel, » comme noté dans la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide signée le 9 décembre 1948. Dans son attaque meurtrière sur Gaza, Israël a clamé haut et fort ses intentions. Le ministre israélien de la défense Yoav Gallant a déclaré en des termes on ne peut plus clairs le 9 octobre dernier : « Nous imposons un siège total de Gaza. Pas d’électricité, pas de nourriture, pas d'eau, pas de carburant. Tout est fermé. Nous luttons contre des animaux humains et agirons en conséquence. » Les dirigeants occidentaux ont renforcé cette rhétorique raciste en qualifiant le massacre des civils israéliens par le Hamas - un crime de guerre aux termes du droit international ayant à juste titre provoqué horreur et sidération en Israël et dans le monde— « d’acte de mal absolu, » selon les termes du président des États-Unis Joe Biden, où d’acte reflétant un « mal ancestral, » selon les termes de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen. Ce langage déshumanisant a été délibérément choisi pour justifier la destruction à grande échelle de vies palestiniennes ; l’évocation du « mal », dans ce qu’il a d’absolu, élude toute distinction entre les militants du Hamas et les civils de Gaza et occulte le contexte plus général de la colonisation et de l’occupation.

La Convention des Nations unies sur le génocide identifie cinq actes tombant sous le coup de sa définition. Israël est actuellement coupable de trois de ces actes à Gaza : « 1. Meurtre de membres du groupe. 2. Atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe. 3. Imposition intentionnelle de conditions d’existence visant à entraîner la destruction physique totale ou partielle du groupe. » Les forces israéliennes ont elles-mêmes avoué avoir à ce jour largué plus de 6 000 bombes sur Gaza, une des zones les plus densément peuplées du monde—égalant presque le nombre de bombes larguées par les États-Unis sur l’ensemble de l’Afghanistan durant une des pires années de la guerre dans ce pays. Human Rights Watch a confirmé que les armes utilisées comprenaient des bombes au phosphore, qui enflamment les corps et les bâtiments et dont le feu ne s’éteint pas au contact de l’eau. Cela démontre clairement ce que Gallant veut dire par « agir en conséquence » : non pas en ciblant les militants individuels du Hamas, comme le prétend Israël, mais en déchaînant une violence mortelle à l’encontre des Palestiniens de Gaza « en tant que tels », pour reprendre le langage de la Convention des Nations unies sur le génocide. Israël a également intensifié son siège de Gaza, qui dure depuis 16 ans—le plus long de l’histoire moderne, en claire violation du droit humanitaire—pour le transformer en « siège total » selon les termes de Gallant. Cette tournure de phrase indique de façon explicite un plan visant à poursuivre le siège jusqu’à la réalisation de son objectif final de destruction systématique des Palestiniens et de la société palestinienne à Gaza, en les tuant, les privant de nourriture et d'eau et en bombardant leurs hôpitaux.

Ce langage n’est pas seulement utilisé par les dirigeants israéliens. Une personne interviewée sur la Chaîne 14, pro-Netanyahou a appelé à « transformer Gaza en Dresde. » La Chaîne 12, la chaîne d’information la plus regardée en Israël, a publié un rapport sur des Israéliens de gauche appelant à « danser sur ce qu’était jadis Gaza. » Entre-temps, un vocabulaire génocidaire—appels à « effacer » et « aplatir » Gaza—a envahi les réseaux sociaux israéliens. À Tel Aviv, une bannière affichant le message « Zéro Gazaoui » a été accrochée à un pont.

En effet, l’attaque génocidaire lancé sur Gaza est on ne peut plus explicite, ouverte et sans honte. Les auteurs d’un génocide ne s’expriment généralement jamais de façon aussi claire, bien qu’il y ait des exceptions. Au début du XXe siècle, par exemple, l’occupant colonial allemand a perpétré un génocide en réponse à un soulèvement des populations indigènes Herero et Nama  dans le sud-ouest de l’Afrique. En 1904, le général Lothar von Trotha, le commandant militaire allemand, a émis un « ordre d’extermination » justifié par une « guerre raciale ». En 1908, les autorités allemandes avaient massacré 10 000 Nama et réalisé leur objectif de « destruction des Herero, » ayant tué 65 000 d’entre eux, soit 80 % de la population. L’ordre donné le 9 octobre par Gallant n’était pas moins explicite. L’objectif d’Israël est de détruire les Palestiniens de Gaza. Et ceux parmi nous qui regardent ailleurs dans le monde manquent à leur responsabilité de les empêcher de le faire.

 Le lien Conduisant à l'article de Raz Segal figurait dans le billet Génocides palestinien et algérien ? Retour sur les échanges avec les élèves. | Le Club (mediapart.fr)

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