Je m’en tiendrai à deux exemples, pour ne pas faire trop long
L’affaire Benalla ou l’art de lever le mauvais lièvre
La mission de Médiapart, selon ses propres déclarations, consiste à lever des lièvres et c’est à la justice et l’opinion publique qu’il appartient ensuite de prendre le relais et de juger, ou non. Encore faut-il bien surveiller le gîte et de vue ne pas perdre notre animal léger. Mais nos limiers ici ont un peu vite cru avoir fait leur devoir. Médiapart a bien sûr enquêté, je serai bien le dernier à le nier, mais pas sur les sujets sensibles. Les affaires privées de l’ami Alexandre et de son acolyte, la protection de Russes « à la réputation sulfureuse » et « proches de Poutine », les rencontres alors qu’il leur était interdit de se voir, les passeports diplomatiques qu’Alex aurait dû rendre et Macron réclamer, le coffre-fort fantôme, j’en passe et des meilleures, tout cela séduira les lecteurs de Closer, mais l’intérêt public serait sans doute mieux servi si une enquête était conduite dans les pays d’Afrique où Benalla s’est empressé, muni des fameux passeports, d’aller peut-être négocier de mystérieux contrats avec trois des plus sinistres chefs d’état de notre bon vieux pré carré. Mon petit doigt me disait pourtant en janvier 2019 qu’il n’était pas allé voir Idriss, Paul et Denis au Tchad, Cameroun et Congo pour les convaincre d’acheter ses derniers modèles de moustiquaires imprégnées. J’avais presto appelé MDP à fouiller dans la jungle et sous le sable du désert, mais les limiers Arfi-Rouget-Turchi avaient bien entendu d’autres chats à fouetter, ou lièvres à lever.
L’abonné que je suis restera sur sa faim et le lièvre sur ses deux grandes oreilles pourra longtemps dormir.
Insultes impunies, infos dépubliées.
Les lecteurs se livrent parfois à de féroces joutes, et les commentaires sont alors pollués par les pires injures. « Diantre, voilà qui est contraire à notre belle charte », se dit peut-être le modérateur, « mais soyons magnanimes, il faut bien que la rage de temps en temps exulte » et c’est ainsi que quelques enragés mobilisent le fil en toute impunité et que de commentaires on ne peut plus parler.
Laissez-moi maintenant vous soumettre un étrange cas de dépublication. Ce 16 avril dernier, un commentaire convoyait une info au sujet de l’efficacité d’une plante médicinale dans la lutte contre le paludisme. Il s’agit de l’artemisia annua ou armoise, qui serait plus efficace à l’état naturel que « retoquée » sous forme de comprimé par l’industrie pharmaceutique (je schématise mais c’est en gros l’info qui est donnée). La question fait ailleurs l’objet de discussions des plus sérieuses, relayées dans la presse (dont Jeune Afrique, pour ne citer qu’un exemple). Le commentaire a été dépublié pour cause de « fausse nouvelle », sans plus de précision. Le commentaire précisait également que le médicament confectionné à base, entre autres, de l’armoise, était beaucoup plus cher que la plante utilisable dans son entier. Serait-ce là que se niche la fausse nouvelle ? Les opinions de l’association sur les motivations qui pourraient alimenter les arguments de l’OMS et de l’industrie pharmaceutique (qui déconseillent l’utilisation de plante dans son entier) ne peuvent pas être qualifiées de fausses informations. Il s’agit tout simplement d’opinions auxquelles chacun est libre d’opposer les siennes, mais il convient alors d’en discuter et non de censurer. Serait-ce à la demande d’une autre commentatrice, débordant par ailleurs de suffisance, d’arrogance et de condescendance (« le modérateur pourrait -il nous épargner ce genre d'arriération propagandiste et conspi dangereuse? ») que MDP a cru bon de faire droit ?
Je prie donc solennellement le modérateur de bien vouloir publier les preuves qui confirmeraient que la nouvelle est fausse (commentaire à l’excellent article intitulé : Pierre M’Pélé: « Il ne faut pas que les Africains soient des cobayes ». Je précise que ce commentaire n'était pas de moi, mais que je l'avais lu avec intérêt avant sa dépublication inexpliquée). Sans ces preuves, je considérerai cette dépublication comme totalement arbitraire et serai dans l’obligation de revoir l’idée que je me faisais jusqu’ici de l’intégrité de Médiapart, et de la liberté d’expression des lecteurs/commentateurs, voire de la rédaction elle-même, car je serai alors en droit de me poser des questions sur les personnes ou organismes qui profitent de cette censure.
Ce qui précède pourrait en effet faire penser que Médiapart se comporte comme un mouton dès qu’il s’agit d’aborder certains sujets tabous, comme par exemple la question palestinienne ou les agissements de certains personnages en Afrique (je pense à Benalla, mais aussi à Bolloré et ses affaires de corruption entre autres en Guinée et au Togo), ou encore les intérêts d’une certaine industrie pharmaceutique, allant jusqu’à oublier la nécessaire défense de « l’intérêt public majeur » qu’il invoque pourtant si souvent. Le journal, comme il l’avoue lui-même avec fierté, ne peut être acheté que par ses lecteurs. Mais faut-il pour autant en déduire qu’il est libre ? Il est certes à l’abri de possibles pressions de la part d’annonceurs ou autres bailleurs de fonds qu’il a su selon lui éviter, mais pas de « l’audimat ». N’ayant qu’eux pour survivre, peut-être lui faut-il ménager les clients qui l’achètent et lui permettent d’exister, quitte à rester consensuel…et prisonnier de l’opinion majoritaire. Porter la plume dans la plaie, mais bien choisir la plaie, et ne lever que lièvres qui n’iront pas trop loin, en quelque sorte.