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Billet de blog 23 octobre 2023

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Israël : un racisme enseigné, encouragé, pratiqué et légitimé

À l’occasion d’un voyage d’étude sur les villes divisées, dont le site archéologique de la Cité de David était une étape, l’historien juif Raz Segal a été confronté à la façon dont les jeunes israéliens sont encouragés, jusque sur les bancs de l’université, à haïr les Palestiniens. Ce texte est la traduction de son article du 23-08-2022.

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Le peuple qui prétend être le propriétaire éternel de Jérusalem

Par Raz Segal

Beaucoup s’imaginent que les Juifs d’aujourd’hui sont liés au peuple de Judée de l'antiquité, même si aucun élément de preuve ne vient étayer cette affirmation. La Cité de David (City of David) est une organisation créée pour agir sur la base de cette croyance : non seulement en construisant un narratif sur une présence juive ininterrompue dans la Jérusalem du passé antique mais aussi en revendiquant la propriété de la zone et en spoliant les Palestiniens qui y vivent depuis de nombreuses générations. Impressions après une visite des lieux.

23-08-2022 

Les tunnels qui font partie du site archéologique de la Cité de David à Jérusalem sont étroits, humides et sombres. Le visiteur y marche sur des dalles qui formaient il y a quelque trois mille ans les rues d’une petite ville où avait vécu le peuple de Judée, sur une colline un peu au sud du site actuel de Haram al-Sharif. Ils pourraient avoir eu un roi répondant au nom de David, bien que les preuves de cette existence soient particulièrement maigres : seule une inscription datant du IXe siècle avant J.C., à Tel Dan et non à Jérusalem, relate une victoire du roi d’Aram sur le roi de Juda et d’Israël, mentionnant la Maison de David. Mais beaucoup sont convaincus que le personnage biblique David a bien existé. Beaucoup s’imaginent également que les Juifs d’aujourd’hui sont liés au peuple de Judée de l'antiquité, même si aucun élément de preuve ne vient étayer cette affirmation. C’est le genre d’arguments qui établissent des liens entre la ville contemporaine d'Athènes et les Grecs de l'antiquité ou encore entre les habitants de la ville actuelle de Rome et ceux de la Rome antique, des liens dont l’existence, là non plus, ne repose sur aucune preuve. La Cité de David est une organisation créée pour agir sur la base de cette croyance. Il s’agit d’une organisation de colons juifs qui cherchent non seulement à construire un narratif sur une présence juive ininterrompue dans la Jérusalem du passé antique mais aussi à prendre la zone aux gens qui y vivent depuis de nombreuses générations : les Palestiniens du quartier de Silwan. Le site archéologique est un instrument clé dans leur projet de déplacement par la force au service d’une suprématie juive inventée.

Le mercredi 15 juin, un groupe d’étudiants des États-Unis, de Chypre et d’Israël/Palestine s'est engagé dans un de ces tunnels. Ils étaient venus dans le cadre d’un voyage d’étude sur les villes divisées, que j’avais planifié et que j’encadrais avec des partenaires du programme d’études helléniques de l’Université de Stockton, New Jersey, où j’enseigne dans le domaine des Études sur l’Holocauste et le Génocide, ainsi que de l’Université technologique de Chypre. Le groupe avait au cours de la semaine précédente visité Nicosie et Chypre. Les étudiants de l’Université de Stockton se sont joints aux Chypriotes grecs, aux Chypriotes turcs, aux Juifs israéliens et aux Arabes palestiniens pour tenter d’identifier, dans ce cadre comparatif, les facteurs contemporains et historiques qui soulèvent de nouvelles questions et suggèrent de nouvelles façons de réfléchir, voir, imaginer, vivre et agir au-delà des murs de ségrégation et de l’état de violence dans les deux villes. Ce qui s’est passé ensuite a toutefois douché beaucoup d'espoirs.

Au moment où le groupe pénétra dans le tunnel, des étudiants de huitième année du groupe qui nous suivait remarquèrent un étudiant noir dans notre groupe, le dernier à entrer dans le tunnel. Ils se mirent aussitôt à se moquer de lui, en émettant des bruits bizarres, en disant qu’ils le trouvaient « sexy » et en criant des noms de pays africains. En entrant dans le tunnel, cette manifestation raciste s'est rapidement amplifiée et a dégénéré. D’une seule voix, la classe se mit à crier « guerre, guerre, guerre » puis à chanter une chanson israélienne fasciste qui souhaite aux Palestiniens « que leur village brûle jusqu’à la dernière pierre ». Ces étudiants de huitième année ne savaient pas que notre groupe comprenait deux Palestiniens ; en fait, leur racisme anti-Noir semblait avoir réveillé leur racisme anti-Palestinien. Cependant, ce n’était pas une coïncidence si cet événement survint dans un tunnel qui fonctionne au sein d’un site archéologique qui, comme nous l’avons dit, vise la destruction des Palestiniens. En d’autres termes, les étudiants de huitième année étaient en train d’apprendre exactement ce que la Cité de David voulait leur enseigner.

Notre groupe a fini par quitter le tunnel. J’ai attendu, pour lui parler, l’enseignante qui accompagnait ces étudiants de huitième année, marchant derrière sa classe. Je pensais qu’elle allait présenter des excuses, reconnaître la gravité de la situation et promettre d’en discuter avec ses étudiants. Mais elle a au contraire balayé la question d’un revers de la main, prétendant ne pas avoir entendu les remarques racistes proférées à l’encontre de l’étudiant noir de notre groupe et affirmant que le refrain « que votre village brûle jusqu’à la dernière pierre » n’était rien de plus qu’une phrase tirée d’une chanson de supporters de foot, tout en suggérant que ce comportement de ses étudiants était probablement dû à la fatigue. Pas un seul mot d'excuse, pas la moindre reconnaissance. J’ai alors remarqué qu’il y avait également un étudiant noir dans sa classe. Il me sembla que sa présence dans cette classe n’apprenait pas beaucoup aux autres étudiants ni ne semblait troubler leur enseignante, qui venait de les voir et de les entendre exprimer violemment leur racisme anti-Noir.  

Nos étudiants ont donc été les témoins de la façon dont le racisme, la division et la violence sont enseignés, encouragés, pratiqués et légitimés dans la société israélienne, et ont pu constater comment l’idéologie colonialiste de la Cité de David fait partie du programme éducatif des établissements d’enseignement israéliens.

J’ai pensé que cela exigeait une réaction et j’ai voulu savoir le nom de cet établissement d’enseignement : elle me répondit que ces étudiants étaient en huitième année à l’école Bereshit de Rosh HaAyin, une ville située à l’est de Tel Aviv. Bereshit, qui signifie « Genèse » en hébreux, est le nom du premier livre de la Bible. Il raconte une histoire de la création mais contient également des récits qui menacent de destruction les sociétés qui perdent toute conscience morale. La destruction par Dieu de la ville dépravée de Sodome est une de ces histoires (Genèse, 19). Le patriarche hébreux Abraham supplie Dieu d’épargner la ville s’il arrive à y trouver cinquante vertueux, réussissant plus tard à réduire ce nombre à dix. Mais Abraham n’a pas pu trouver assez de vertueux.  

Parmi les étudiants de huitième année, il s’en était toutefois trouvé un qui présenta ses excuses à l’étudiant noir de notre groupe à l’entrée dans le tunnel : il tenta de crier ses excuses à plusieurs reprises, mais sa voix se perdit dans les chants militaristes de son groupe. Sorti du tunnel, il réitéra ses excuses et déclara avoir honte des étudiants de sa classe. Un acte courageux de la part d’un étudiant de huitième année dans cette situation, qui ne fit que souligner encore davantage l’échec éducationnel de son enseignante. Mais il faudra bien plus qu’un étudiant d’une classe israélienne pour qu’un futur soit possible en Israël/Palestine au-delà de ce tunnel de racisme, de division et de violence d’État.   

*Raz Segal est un historien juif, professeur adjoint des Études sur l’Holocauste et le Génocide à l’Université de Stockton, New Jersey.

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