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Billet de blog 29 mai 2025

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Les migrants et « La quête infinie de l’autre rive »

Sylvie Kandé raconte en 3 chants l’épopée des migrants d’hier et d’aujourd’hui, du roi malien Bata Manden Bori, descendant de Soundiata Keïta, aux migrants qui fui fuient la misère et finissent au fond de l’Atlantique et de la Méditerranée. En quête de l’autre rive, celui qui se noie toujours s’agrippe à l’eau.

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Avec « Mbëkë mi » d’Abasse Ndione (Gallimard 2008) et « La Pirogue », film de Moussa Touré (2012), Sylvie Kandé nous rappelle avec une élégante rage que les migrants ne prennent pas ces risques insensés, qu’ils connaissent, pour venir profiter de nos allocations familiales et de nos soins médicaux. Quelques extrait du troisième chant de ce rappel indispensable des valeur et motivations qui animent depuis des siècles ces aventuriers, prisonnier de l’espoir :

Un menteur montrait l’océan de sa main fine

en disant la flaque où j’ai mouillé mon pas

Plein aux as tu reviendra

avec des valises mais énormes

et un monceau de cantines

des Ray-Ban pour planquer tes intentions

et à la lèvre le mégot du mépris

On parlera de toi en ville

à te voir construire et doter

épouser baptiser et encore bâtir

Sans compter que de jour comme de nuit

jamais il ne désemplira ton domicile

de requêtes de louanges et d’invitations

On dressait justement une barque dans un endroit convenu

et comme de bien entendu il ne restait qu’une place

La chance prends-la aux cheveux : elle n’a pas ton temps

Alors j’ai pris la mer à la légère

Lorsque ma mère a pleuré de ses yeux…

De celle qui en mon nom a fait tant de sacrifices

comment refuser d’exaucer les vœux…

Arrivé je la couvrirai de plus d’or et d’atours

qu’il ne lui en a fallu vendre pour m’envoyer…

Ce qui se passera après ta mort

Si tu veux le savoir pars en voyage

Neuvième jour La mer prenait de mauvais plis

et déployait le nuancier de sa fureur

à la tienne mon pote hurlait le capitaine

familier de ses humeurs extrêmes

la mer à traverser c’est pas la mer à boire

Pêcheur de son état il nous servait de pilote

autrement dit c’est gratis qu’il voyageait

Dame : Qui a le prix du sac de riz

n’a pas toujours la force de le tirer

Mais la mer comment dirais-je ne décolérait pas

Alors on jette par-dessus bord tout ce qui nous onère

les sentiments d’abord c’est ce qui pèse le plus lourd

Plus qu’un harmattan nous affole le spectre de la misère

J’ai vu des coquettes orphelines de leur chair

danser jambe au clair devant un tambour vénal

puis rajuster les ailes de leur mouchoir de tête

et (pour la caméra toujours) lisser leur bazin riche après le bal

J’en ai vu d’autres comme qui dirait écorchées vives

venir sans relâche graver sur le sable leur chagrin

maudissant l’œuvre de la vague et du temps

qui ruminent tout pareil hommes et rives

et éructent leurs fragments

en longs jets de saumâtre salive

À tous les gens de bonne foi embarqués

sur les eaux obscures de l’immémorial chaos

là où les djinns furieusement démêlent

leurs longues chevelures lamées qui flottent dans la bourrasque

mille regrets

mille regrets vraiment

Au huitième jour

la soif nous a trouvés

Au dixième jour la mer reste mâle

et les lames scélérates : enlacées trois par trois

elles tossent notre patera qui embarde

Mais n’est-ce pas l’insistante sirène

d’un bateau-patrouille qu’on entend à distance…

On aide ceux qui ne sont pas morts

seulement paralysés à franchir la passerelle

Les voilà installés sur le pont où sont des tentes

avec eau médicaments et couvertures

On embarquait encore sur le batrouille

quand je l’entends siffler ma devise : Grand

qu’est-ce que tu paries qu’ils ne me verront pas…

Il se lève esquisse un pas de danse

gesticule mouline l’air de ses bras

sabote et piète comme l’albatros empêché :

une vrai pantomime quoi Qu’est-ce que tu paries

qu’ils ne me verront pas passer…

Regardez il est là entre ciel et mer

entre le sel et la goutte

Disparaît puis refait surface avec un signe de la main

Qui a des yeux pour voir

Mais si pas de doute : ce point là-bas

qu’il s’en serve Dites il nous devance

Si ça se trouve le veinard il est déjà arrivé

Pour maintenant il aura atteint la rive

c’est-à-dire si la rive est pour lui

À chacun sa propre chance

mais tous ceux qui ont du nez

lui envient ce qu’on lui a donné

Alassane si je dis héros

c’est que tu as fermé les voyages

Il est donc temps à présent que la parole accoste.

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