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Du vendredi 28 à minuit au lundi 31 juillet à minuit, le gouverneur de la région de Dakar a décidé d’offrir une petite prime aux gendarmes en les autorisant à racketter les propriétaires de scooters et motos. La circulation de ces deux roues est en effet à nouveau interdite, « pour raisons de sécurité dûment motivées ». L’arrêté ne donne aucune précision quant à ces raisons de sécurité dûment motivées, mais il suffit de savoir que l’opposant Ousmane Sonko vient d’être placé en garde à vue « pour vol de téléphone et appel à l’insurrection » (le pouvoir manque vraiment d’imagination) pour supposer qu’il existe un lien entre cet événement et le risque de protestation des jeunes dans la rue ce weekend.
Plusieurs analystes politiques ont ces dernières semaines formulé des hypothèses quant à l’évolution de la situation politique au Sénégal, avançant que Macky Sall chercherait un prétexte pour revenir tout de même sur sa décision de ne pas briguer de troisième mandat. Il aurait en effet laissé entendre qu’il pourrait revenir si la sécurité et la paix étaient menacées au Sénégal, autrement dit en cas de (risque de) chaos. Créer le chaos semble alors s’inscrire dans cette logique. Une telle hypothèse peut bien entendu relever du complotisme et il faut donc bien se garder de l’accréditer sans preuves.
Quelles que soient les intentions du pouvoir, force est de constater que ce sont à nouveau les jeunes qui font les frais des arrêtés du gouverneur : des jeunes qui n’ont que leurs deux roues pour gagner leur très maigre pitance en livrant des colis, lettres, repas ou autres ou bien en transportant des aussi pauvres qu’eux. J’ai interrogé en différents endroits plusieurs de ces jeunes, un jour d’interdiction, occupés à réparer et astiquer sur le trottoir devant leur porte leur précieux Jakarta* ou scooter. Résignés ou coléreux, ils m’ont tous confié se sentir persécutés par un pouvoir qui semble ne pas vouloir les laisser gagner leur vie. Certains prennent tout de même le risque se de faire attraper car il n’est pas question pour eux de finir la journée sans rien dans la marmite. La vie au Sénégal se gagne en effet bien souvent au jour le jour. Ceux-là braveront donc l’interdiction sachant que, si leur deux roues est confisqué, ils faudra pour le récupérer mardi matin payer au comptant, sans reçu, une rançon (« amende » selon les gendarmes) de 12 000 FCFA (18 euros).
La gendarmerie dispose cette fois de trois jours et il n’est pas difficile d’imaginer que la moisson sera bonne, car si une journée de chômage forcé est déjà difficile, trois jours sans pain ne sont tout simplement pas envisageables pour la plupart des jeunes. En cas de protestation, les forces de l’ordre auront tôt fait de « protéger la population » contre ces jeunes « terroristes », voire ces « forces occultes venues de l’étranger ». Triste monde.
Amitiés fraternelles.
*Jakarta. La moto KTM Jakarta (voir la photo) est de nos jour un moyen de transport extrêmement populaire dans la capitale (et même en « province », par exemple dans le Fouta Toro, où elle fait concurrence au véhicule à traction asine). En fonction de sa puissance, cette moto nécessite un investissement de 500 à 750 euros.