L’Afrique ne semble pas encore libre, ses intellectuels, ses opposants sont systématiquement arrêtés, empêchés de se présenter aux élections ou à exprimer leurs opinions. Il y a parfois une illusion de liberté permettant aux uns de parler sans poser les vrais problèmes. Les hommes politiques sont mis aux arrêts dès qu’ils dépassent ce que le puissant du jour considère comme une ligne rouge. Les journaux sont sérieusement encadrés, sinon le couperet de la publicité est là, les gouvernements ferment tout simplement le robinet, ce qui est une censure douce qui calme les adeptes du professionnalisme.
Dans ce contexte fait de non-respect des jeux démocratiques, apparaissent des mouvements populaires, comme au Mali par exemple, des voix intellectuelles, essentiellement installées à l’étranger, qui voudraient de vrais changements, l’émergence d’Etats de droit. Souvent, les régimes en place font carrément les sourds. Ainsi, les constitutions sont souvent violées par ceux là mêmes qui les avaient adoptés. En Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara ne veut plus quitter le pouvoir, il est à son troisième mandat, alors que la constitution n’en agrée que deux, la contestation monte, des morts, il disqualifie les vrais concurrents, Guillaume Soro et Laurent Gbagbo en leur traficotant des prétextes-bidons. En Guinée, Alpha Condé rédige une autre constitution qui lui permet de se présenter pour la troisième fois, assemblée factice, clientèle, encore des morts. D’autres sont toujours à la tête de leurs pays, séniles, vieux, Paul Biya depuis 1982 au Cameroun, il a divisé le pays, provoqué de graves schismes, Teodoro OBiang, corrompu jusqu’à la moelle y est depuis plus de quarante ans, Idriss Déby s’est emparé du pouvoir en 1990. Tous sortent la litanie habituelle du « devoir patriotique », alors qu’ils gouvernent leurs pays en usant de corruption et de soumission aux anciennes puissances coloniales.
L’historien Burkinabé, Joseph Ki Zerbo considérait dans un ouvrage-entretiens, A quand l’Afrique, que les régimes en place ne pouvaient sauver l’Afrique parce qu’ils sont éloignés de leurs populations : « « si nous sommes couchés, nous sommes morts ». Finalement, même le président des Etats-Unis, Barack Obama est allé dans ce sens dans son discours au Ghana en juillet 2009 quand il déclarait que l’Afrique n’avait pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes ». Il mettait ainsi en garde les dirigeants africains contre cette propension à rester indéfiniment accrochés au poste de président, alors qu’ils sont souvent illégitimes, usant de tous les moyens pour se maintenir ou prendre le pouvoir, coups d’Etat, corruption, traficotage des élections et changement autoritaire des constitutions, chaque nouveau président tisse sa propre constitution qu’il ne respecte d’ailleurs pas. Ainsi, tous les pays africains souffrent d’illégitimité, les dirigeants refusant l’alternance. Obama avait bien ciblé ces questions dans son discours, mais les choses n’ont pas changé : « « les gouvernements qui respectent la volonté de leur peuple, qui gouvernent par le consentement et non par la coercition, sont plus prospères, plus stables et plus florissants que ceux qui ne le font pas. Il ne s’agit pas seulement d’organiser les élections - il faut voir ce qui se passe entre les scrutins. La répression revêt de nombreuses formes et trop de pays, même ceux qui tiennent les élections sont en proie à des problèmes qui condamnent leur peuple à la pauvreté. Aucun pays ne peut créer des richesses si ses dirigeants exploitent l’économie pour s’enrichir personnellement (…) Personne ne veut vivre dans une société où la règle de droit cède la place à la loi du plus fort et à la corruption. Ce n’est pas la démocratie, c’est de la tyrannie, même si de temps en temps on y sème une élection ça et là, il est temps que ce style de gouvernement disparaisse… L’histoire est du côté de ces courageux Africains, et non dans le camp de ceux qui se servent des coups d’Etat ou qui modifient les constitutions pour rester au pouvoir. L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais de fortes institutions ».
Depuis les indépendances, les pays restent encore prisonniers des puissances coloniales qui, souvent, dans la plupart des cas, ont tout simplement suggéré les noms de ceux qui allaient leur succéder. Certes, les rapports des uns et des autres avec les colonisateurs, les conditions de colonisation et la nature des différents mouvements de libération étaient différentes. La colonisation française, britannique, portugaise, allemande ou hollandaise n’ont pas mis en œuvre les mêmes structures et la même organisation.
Ainsi, juste après les années 1960, tous ces territoires théoriquement libres, mais trop attachés aux anciennes forces occupantes, allaient reproduire les formes de représentation coloniales, les pratiques et le discours. L’idée de citoyenneté et de possibilité de changement sont exclues. Certes, quelques expériences ont été tentées ici et là, grâce notamment à Nkrumah, Lumumba, Sankara et quelques autres, mais vite avortées, après les interventions des puissances coloniales qui ne pouvaient tolérer l’émergence d’Etats démocratiques et de directions librement élues. Ainsi, se sont imposés des dirigeants non élus, allant dans le sens de la cooptation et du clientélisme, concentrant tous les pouvoirs, utilisant la corruption comme outil de pouvoir, refusant toute possibilité d’alternance et employant tous les moyens de répression, arrestations, assassinats, pour faire taire leurs opposants. De nombreux intellectuels se retrouvent loin du pays, vivant un exil tragique.
Ces dernières années un peu partout, des mouvements multiethniques, professionnels, sociaux, commencent à s’imposer, des universitaires, des artistes et des intellectuels se battent sur le terrain, produisant manifestes et programmes, l’un de leurs objectifs est de mettre en œuvre de véritables Etats de droit et de se libérer des anciens colonisateurs. La tâche n’est nullement simple. Grâce aux progrès de la scolarisation et de l’émergence des réseaux sociaux et des « nouvelles » techniques de l’information et de la communication qui ont permis aux populations de mieux saisir les enjeux et de s’ouvrir au monde extérieur, la nécessité d’une transformation radicale des pratiques politiques devient un élément central du discours des différentes manifestations populaires qui secouent les capitales africaines. Des bloggeurs, des journalistes, des universitaires tentent de donner la possibilité de parler à ceux qui ne pouvaient pas s’exprimer dans les circuits officiels. Cette prise de parole a permis aux populations de réussir de mettre pacifiquement à la porte les anciens présidents Blaise Campaoré et Abdoulaye Wade.
C’est vrai que parfois, dans les anciennes colonies françaises ou britanniques, les choses sont plus ou moins différentes. Dans des pays anglophones, il existerait quelques contre-pouvoirs, notamment au niveau de l’appareil judiciaire. Le Ghana, le Nigeria, malgré la délicatesse des réalités politiques et la Cap Vert réussissent tant bien que mal à mettre en œuvre une certaine alternance. C’est vrai que certains présidents de l’Afrique francophone sont très critiques à l’égard de ceux qui veulent s’éterniser au pouvoir rejoignant le discours d’Obama et les désirs de leur jeunesse, extrêmement créative. Il s’agit notamment des présidents sénégalais et nigérien, Macky Sall et Mahamadou Issoufou. Sont-ils réellement sincères ou changeront-ils juste à la fin de leur mandat ?
Il y a quelques semaines, trois écrivains, le Guinéen Tierno Monenembo, l’Ivoirienne Véronique Tadjo et le Camerounais Eugène Ebodié ont publié un texte signé par de nombreux intellectuels, journalistes et artistes dans lequel ils appellent à la mise en place d’institutions et de pratiques démocratiques, insistant sur la nécessaire alternance politique et l’émergence d’une presse libre et d’une autre conception du pouvoir. C’est un processus de redécolonisation quin se dessine dans des pays où les populations voudraient mettre un terme aux « indépendances » illusoires pour se muer en véritables acteurs de leur propre destin.