Tout le monde parle d’archives comme si la chose était si simple alors qu’elle est extrêmement délicate posant la question du rapport du document au pouvoir. Tout document reste marqué par les jeux complexes des structures politiques et sociales. Chaque fois qu’on ressort le sujet de la mémoire souvent non définie, on n’arrête pas de ressasser cette « nécessité » de récupérer les archives ou du côté français de déclassifier certaines archives. Ce n’est pas simple. L’archive est, certes nécessaire, mais met en scène de nombreuses instances et des questions politiques. L’archive ne règle pas du tout la mise en forme de l’entreprise historique, mobilisant obligatoirement les différentes structures de domination.
La verticalité de la décision concernant les archives est l’expression de l’absence de débat dans la société et d’un déficit démocratique. Le travail sur les traces et les archives pose sérieusement problème. Certes, il est peut-être possible d’exhumer et d’interroger des archives existant dans un certain nombre de structures. Comment utiliser ces archives ? Ne sont-elles pas marquées par l’empreinte de leur émetteur ? Seront-elles mises à la disposition des chercheurs ?
Tout pouvoir cache, dissimule l’archive tout en diffusant l’idée selon laquelle il voudrait le bien être général. Il n’y a pas d’archive sans contrôle politique. Dans les régimes néo-patrimoniaux, autoritaristes ou démocratiques, la quête du savoir est souvent marquée du sceau de la suspicion, le savant et le savoir devraient ainsi subir un contrôle préalable.
La dissimulation de l’archive ou l’oubli est subséquent à un contrat conscient ou inconscient, volontaire ou pas. L’oubli qui est une omission souvent traversée par les stigmates de la dépendance idéologique et politique ne peut être dissocié des jeux de pouvoir et du contrôle politique et policier. C’est ici que peut intervenir l’oubli volontaire, l’altération du fait, de l’événement, de la trace. L’oubli est subséquent à un contrat conscient ou inconscient, volontaire ou pas.
Nous sommes ici face à un paradoxe, la trace primaire est nécessaire, mais en même temps fragile, se muant en un écueil méthodologique. Comment en faire un élément de connaissance ? Michel Foucault, dans Surveiller et punir, explique très bien la relation de l’archive et des structures de pouvoir qui ne serait pas simple, mais obéirait à des considérations d’autorité. Qui écrit ? Qui parle ? Qui diffuse l’archive ?
Ce sont des questions essentielles articulant la relation du chercheur avec le fait historique et les différentes instances de pouvoir. Ce sont autant d’éléments qui rendent l’histoire du mouvement national extrêmement délicate, otage du discours des archives et de l’attitude du locuteur et de celui qui détient le pouvoir et l’archive. Chaque locuteur exhibe ses arguments à partir de la manipulation des archives et de leur gestion. C’est dans ce contexte que pourrait-être également saisi le discours des révisionnistes qui tronquent le propos des archives, souvent décontextualisées, apportant une information partielle et partiale, choisissant tel ou tel élément considéré comme péjoratif ou négatif tout en employant la technique du grossissement et de la généralisation. L’entreprise est idéologique, obéissant à une attitude personnelle particulière et à des postures métaphysiques.
Le problème de l’archive et de la reconstruction du savoir à partir de débris et de ruines, reste d’actualité et ne peut être interrogée qu’en relation avec les rapports au pouvoir. L’archive est contrôlée, surveillée, elle n’existerait pas d’elle-même. Les traces subissent un tri, une sélection qui ne peut être faite que par différents pouvoirs. Il y a donc une censure préalable. On choisit ce qui doit faire mémoire. C’est au chercheur d’entreprendre un travail de déconstruction faisant parler l’archive et ses ruines, rendre les silences parlants et se dire que la mémoire est inondée par les oublis volontaires ou involontaires.J’ai été personnellement confronté à la présence de ruines qu’il fallait déconstruire, interroger, placer dans leur contexte et leur donner la possibilité de dire l’événement. Parler, c’est déjà un exploit, dire devient une gageure.
L’historien ou le spécialiste en sciences humaines et sociales devrait se méfier également des bruissements volubiles, des archives trop bavardes et des traces trop chargées de subjectivité. Les archives existent, certes, mais elles sont disséminées. C’est là où il est indispensable d’être vigilant évitant de nourrir la trace de significations peu viables correspondant à notre discours idéologique.