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Billet de blog 6 juillet 2022

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Une rencontre avec Peter Brook

Peter Brook qui vient de décéder est un des plus grands hommes de théâtre de ces cinquante dernières années. Ici, il est question de quelques éléments de lecture de son théâtre à partir de mes rencontres avec son expérience.

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Le grand homme de théâtre anglais Peter Brook vient de décéder. J’ai eu le privilège de suivre plus ou moins son expérience aux Bouffes du Nord comme spectateur, mais j’ai eu aussi le plaisir de débattre, notamment en France, autour de son expérience théâtrale. Brook était un grand spécialiste de Shakespeare et du théâtre élisabéthain, lui qui allait être tenté par une autre manière de faire du théâtre. On ne peut parler de profonde rupture avec ses premières aventures théâtrales. Comme Brecht d’ailleurs qui parlait dans ses textes de coupure avec le mode d’agencement aristotélicien, ce qui ne peut être possible, il avait tout simplement choisi un autre mode de construction.

Brook a fait du théâtre, de l’opéra, du cinéma, c’est quelqu’un qui a énormément transformé le monde du théâtre. Je ne sais pas, mais chaque fois que j’entends parler de lui, je pense à Artaud, Grotowski et Beckett. C’est un véritable anticonformiste, lui qui ne peut s’accommoder avec les formes figées, le théâtre est mouvement, aimait-il souvent dire. Comme l’amour. Il a horreur des « lectures académiques du texte » qui devrait être réfractaire à la passivité et au figement. Tout change. Tout se renouvelle. Le théâtre est un travail complexe.

Je ne sais pas mais je n’ai jamais oublié ma première rencontre avec Brook. C’était en juillet 1979, au festival d’Avignon, je découvrais ainsi deux de ses pièces, « La mort de Mor Lam » de Birago Diop et « La conférence des oiseaux » de Farid Eddin Attar. Une autre manière de faire du théâtre, une certaine coupure avec ma formation initiale à l’institut d’art dramatique de Bordj el Kiffan. Ainsi, je découvrais un théâtre en action, en mouvement, qui rompait avec cette manière de construire les décors ou l’espace avant-terme, dans ce théâtre, l’acteur est fondamental, le décor était le produit du processus productif. Le point culminant du théâtre, c’est la représentation, aimait-il dire.

Ce que proposait Brook était différent de ce que j’avais appris, il était aussi différent, malgré certaines convergences, avec l’expérience d’Ariane Mnouchkine dont j’avais déjà vu L’âge d’or et Méphisto, la même année que « L’Os » et « La conférence des oiseaux » en 1979 à Avignon. La relation avec le public changeait, il y avait une sorte de feed-back, il ne suffisait pas de faire monter les spectateurs sur scène comme le faisait Mnouchkine. Même si cela ne pouvait pas mettre un terme à mon admiration du théâtre du soleil. C’étaient tout simplement deux visions différentes, une quête commune vers la vérité.

Pour Brook, l’essentiel était de permettre une rencontre de plusieurs traces culturelles, un mélange de nationalités, rompre avec la primauté du blanc de l’Européen, 25 nationalités, Européens, Africains, Japonais, Indonésiens…Il avait tenté de rompre avec le jeu comme entité artificielle, plaçant la dimension humaine au cœur de son expérience. Il cherchait à faire du théâtre un espace privilégié d’enrichissement de l’acteur et du spectateur, mais aussi un lieu marqué par les jeux de la transculturalité et du mouvement.

C’est vrai que les premières pièces que j’ai vues me donnaient l’impression que les mots nourris de silence et de sons ne pouvaient se substituer à la parole, que le geste, le corps étaient importants, exprimant la vision des uns et des autres, excluant cette idée de communication dont on n’arrête pas de nous rebattre les oreilles depuis longtemps. C’est peut-être aussi une manière de dire que tout est mouvement, un moment complexe, allant dans le sens d’une civilisation et d’une race humaine une et plurielle à la fois. Sa pièce Le Mahabharata permet de saisir une grande proximité avec la tragédie grecque ou Shakespeare par exemple, ou même Beckett, otage d’un destin tragique. Ainsi, comme dans la tragédie grecque, l’humanité serait vouée à une fin tragique.

Je ne sais pas, mais je ne peux parler de Brook sans parler de ce livre souvent cité, L’espace vide, qui paru dans les années 1960, expose les réflexions de l’homme de théâtre et son expérience aux Bouffes du Nord (Le centre international de recherche théâtrale). La notion de vide est beaucoup plus complexe, le vide est paradoxalement plein. J’avais passé mon exemplaire à Kateb Yacine.

C’est une expérience ouverte…

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