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Billet de blog 12 juillet 2022

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Algérie: Une Histoire souvent malmenée

L'Histoire de la colonisation française en Algérie reste encore à écrire. Il y eut des tentatives comme il y a de nombreuses polémiques à propos de l'entreprise historique. Une lecture.

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Quand il s’agit de l’Histoire récente de notre pays, les passions se déchaînent, l’insulte et l’invective prennent le dessus pour marquer le paysage médiatique et politique. Les inimitiés personnelles, le régionalisme désuet et les raccourcis idéologiques refont surface. L’oubli volontaire a toujours constitué un élément essentiel du discours dominant, cherchant à imposer une lecture officielle des faits historiques. Depuis l’indépendance, chaque dirigeant efface de l’historiographie officielle des noms et survalorise son clan. Des noms d’acteurs historiques de premier plan ont été victimes d’oublis volontaires pour laisser place à une mise en scène de l’Histoire. Des tentatives plus ou moins autonomes sont menées par quelques historiens.

Souvent, quand il est question d’Histoire, les uns et/ou les autres préfèrent le silence. Ce n’est pas nouveau. Il y a aussi un usage partiel et partial de toute lecture ou des éléments tronqués du passé. Le problème des documents et des archives complique davantage les choses. Sur les réseaux sociaux, les gens reproduisent, par maints endroits, les histoires du café du commerce, ignorant complètement l’existence d’historiens algériens, alors qu’ils ont entrepris/entreprennent un travail extraordinaire. Ce serait bon que les uns et les autres découvrent certaines thèses extrêmement originales et très bien faites sur l’Histoire de l’Algérie, certaines sont soutenues en Algérie et d’autres dans des universités étrangères.

Il y a des noms qui font autorité comme Mahfoud Kaddache, Ainad Tabet, Mohamed Cherif Sahli, Mohamed Harbi, Mohamed Teguia, Guechi, Adouani, Daho Djerbal, Bouaziz, Belkacem Saadallah et quelques autres auteurs, autonomes et critiques. Ils ont produit des textes d’une importance majeure.

Toute vision manichéenne de l’Histoire altère la communication historique. Des historiens, à l’instar de Mahfoud Kaddache et de Redouane Ainad Tabet, tentent de proposer une lecture totalisante, plus rigoureuse et moins marquée par les jeux des postures idéologiques. Les historiens sont souvent prisonniers des sources utilisées. Le déficit en matière d’archives et de documents sérieux pose problème restreignant le champ d’action de l’historien.

Le problème des sources se pose avec acuité. L’ouvrage de Mohamed Harbi, Le FLN, mirages et réalités, semble trop marqué par la dominance des informations et une sérieuse connaissance des territoires de la Wilaya 2 (Le Nord Constantinois) et de la Fédération de France. Mohamed Téguia, dans L’Algérie en guerre, apporte de très nombreuses informations sur la wilaya IV. Slimane Chikh, dans son ouvrage, L’Algérie en armes, reste trop prudent dans la quête de la vérité en opérant, nous semble-t-il, une sorte d’autocensure mutilante sur certaines questions délicates. Ahmed Mahsas donne un éclairage personnel sur le mouvement révolutionnaire en Algérie, titre de son ouvrage. Il n’est nullement possible de travailler sur les origines de la guerre de libération et les tendances idéologiques en omettant Mahfoud Kaddache (Histoire du nationalisme algérien) et Ali Mérad (Le réformisme musulman en Algérie de 1925 à 1940) qui a entrepris un colossal travail de débroussaillage du paysage historique.

Quelques acteurs du mouvement national faisant office d’historiens tentent difficilement de prendre une distance critique avec les événements qu’ils avaient souvent vécus. L’entreprise est délicate et pose de sérieux problèmes d’ordre méthodologique. Toute entreprise d’interrogation et d’interprétation reste marquée par la subjectivité du langage. Certains historiens connaissent cette situation. C’est le cas de Mahfoud Kaddache, Mohamed Cherif Sahli, Mohamed Harbi, Mohamed Teguia, Yahia Bouaziz (1929-2007), Mahfoud Bennoune (1936- 2004) ; La doctrine contre-révolutionnaire de la France et la paysannerie algérienne : Les camps de regroupement, 1954-1962, Sud/Nord, 2001), Danièle Djamila Amrane-Minne ( née en 1939 ; Les Femmes algériennes dans la guerre, préface de Pierre Vidal-Naquet, Paris, Plon, 1991 ; Femmes au combat, Préface d’André Mandouze, Alger, Ed. Rahma, 1993), Abderrahim Taleb-Bendiab (1926-1992, Chronologie des faits et des mouvements sociaux et politiques en Algérie, 1830-1954, Alger, Imprimerie du centre, 1983).

Il n’est nullement aisé de dépouiller une lecture historique de ses considérations idéologiques et subjectives. Le discours est surtout menacé par l’obsédante question de l’oubli qui fragilise l’entreprise historique et sociologique. L’historien est ainsi appelé à pallier ces absences et ces failles par le recours à un travail de recoupage et de reconstitution.

Il est nécessaire que les témoins et les acteurs continuent à apporter leurs témoignages, certes traversés d’élans subjectifs, même si les mémoires et les témoignages sont les lieux privilégiés de la domination du « je » de la subjectivité, à travers les différents réseaux d’embrayeurs et de modalisateurs caractérisant le discours. Le témoignage est une simple construction de faits, à partir de fragments et de pans mémoriels particuliers. Une sérieuse interrogation de ces territoires et leur confrontation par l’historien avec d’autres sources et matériaux permettraient la découverte de multiples espaces encore dissimulés (« bleuite », « Mélouza », « ambitions de pouvoir », etc. ) de ce combat héroïque de libération du pays qui faillit se terminer lamentablement avec cet « été de la discorde » (titre d’un ouvrage de Ali Haroun) qui fut le lieu de cristallisation de toutes les luttes de personnes, de clans et de pouvoir qui ont émaillé l’Histoire nationale.

L’Histoire a été dominée pendant toute une période par une démarche traditionnelle et archaïque, se réduisant à une simple reconstitution chronologique des faits considérés comme suffisants à lire les processus historiques saisis comme une entité statique. Cette vision essentialiste allait être mise à mal par des historiens nourris de la culture marxiste qui saisissent le fait historique dans ses dimensions politique, économique et social ou par d’autres qui privilégient les aspects culturels et identitaires. La lecture systémique prend en considération toutes les données socio-économiques, dédaignant toute vision essentialiste. C’est le cas de Mohamed Harbi, Mohamed Teguia, Djillali Sari (né en 1937 ; La dépossession des fellahs, 1830-1930, Alger, SNED, 1975 ; Huit jours de la bataille d’Alger, Alger, ENAL, 1987) ou Abderrahim Taleb Bendiab. Djillali Sari a la particularité de mettre en œuvre une lecture qui interroge l’espace (il est aussi géographe) tout en l’articulant avec les techniques de la recherche historique. Bendiab assume ses choix marxistes : « La plupart des ouvrages relatifs à l’histoire du mouvement national algérien centrent l’essentiel de leurs réflexions autour des classes dirigeantes et de leur Etat-major. Cette approche a conduit très souvent ces historiens à des positions beaucoup plus idéologiques que scientifiques ; ce qui, par certains aspects, pourrait nuire à la recherche historique. Cette histoire qui centre toute sa réflexion autour de la vie politique peut nous amener parfois à des impasses dans l’étude que nous faisons sur le mouvement national. »

Certes, les manuels scolaires restent encore marqués par une lecture intéressée et trop subjective, évacuant des pans entiers d’une Histoire, longtemps triturée en fonction du chef du moment. L’école et l’université demeurent confinées dans une fonction d’illustration du discours dominant. Les études d’Histoire à l’université se caractérisent par un schématisme, un conformisme et un manichéisme outranciers. Les thèses soutenues sont souvent des travaux de compilation manquant tragiquement de rigueur. Ce sont souvent des « thèses de thèses ». C’est vrai que le déficit en documentation pose sérieusement problème.

Les études historiques à l’université, faute d’une formation méthodologique et épistémologique sérieuse, demeurent peu pertinentes. La plupart des recherches ne dépassent pas le jeu inepte de la compilation, préférant les incursions macro-historiques à des explorations de points et d’éléments de détail. C’est un travail général, construit à partir de thèses étrangères d’auteurs ayant les moyens nécessaires pour élaborer leurs recherches sur le terrain. Nous avons souvent affaire à des thèses de thèses. Certes, les travaux effectués par de grands historiens comme Charles-André Julien, Charles-Robert Ageron, Annie Rey-Goldzeiger , Mahfoud Kaddache, Mohamed Harbi, Benjamin Stora, Gilbert Meynier…sont incontournables, mais ne justifient pas cette manière de faire qui réduit la thèse à un assemblage de propos tirés d’autres thèses. Il y a quelques historiens formés dans les départements d’Histoire des universités algériens qui interrogent, difficilement, faute de documents, des espaces précis et qui proposent des travaux extrêmement sérieux aboutissant à des résultats originaux et intéressants.

Dans cet embrouillamini historique, commence à poindre une sorte de révisionnisme dévastateur qui tente de dénaturer les lieux fondateurs de la lutte de libération en donnant exclusivement à lire des événements négatifs, comme l’histoire de Melouza ou en faisant de la lutte de libération une suite d’assassinats et de règlements de comptes, évacuant toute entreprise anticoloniale, comme si le colonialisme était légitime. Des tortionnaires et des ennemis de la patrie en guerre sont réhabilités. Bengana qui a tant fait de mal se retrouve marqué du sceau de la positivité. L’ouvrage de sa petite-fille, Feriel Furon, Si Bouaziz Bengana, dernier roi des Ziban (Riveneuve, 2017) a été très médiatisé à Alger. L’auteure a été invitée pour parler de son livre à la télévision officielle (émission, Bonjour l’Algérie ; Canal Algérie), elle a également été reçue au centre culturel algérien à Paris et par des responsables du FLN et à l’APN ainsi que par l’ancien ministre des affaire étrangères, Mohamed Bedjaoui. Un livre-pamphlet de Rachid Boudjedra dénonce, avec véhémence, les « contrebandiers de l’Histoire » (Tizi Ouzou, Editions Frantz Fanon, 2017). Des films comme ceux de Jean-Pierre Lledo (Algérie, Histoires à ne pas dire, 2008) proposent une lecture obscure de la lutte de libération présentée comme une suite de malentendus. Même certains romanciers sont allés dans ce sens. Boualem Sansal avait déjà dans Le village de l’Allemand, cherché à falsifier l’Histoire en exposant l’idée selon laquelle le mouvement national avait soutenu les nazis. Ce qui ne résiste pas à l’investigation historique. Tous les historiens sont d’accord pour dire que le PPA-MTLD avait pris position contre le nazisme depuis 1937. Dans son ouvrage sur Messali el Hadj, Benjamin Stora expose des documents officiels du PPA condamnant le nazisme et Hitler. Tous les historiens sont unanimes, de Kaddache, André Julien, Ageron à Harbi ou Teguia, pour affirmer que les patriotes algériens (UDMA, PCA, Oulama ou PPA-MTLD) avaient pris position contre le nazisme.

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