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Billet de blog 15 octobre 2020

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L'Afrique n'est pas encore partie

L'Afrique est encore et toujours piégée par ses "indépendances" mal acquises, reproduisant les mêmes pratiques coloniales, des régimes cooptatifs, usant de répression, se maintenant, par tous les moyens, au pouvoir, notamment la trituration continue de la constitution. C'est vrai que désormais, les populations, plus instruites, soutenues par les réseaux sociaux, contestent.

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Dans de nombreux pays africains, après des tentatives de « démocratisation » trop limitées faites de nouvelles élections, avec une trituration continue des « nouvelles » constitution » et l’inscription de mandats supplémentaires, c’est le retour à la case départ. Les derniers « changements » opérés en Afrique sous la pression des transformations internationales, des organisations financières internationales (FMI et Banque Mondiale) et de pays occidentaux, enclins aujourd’hui à exiger un certain « vernis » démocratique, les choses sérieuses, trop têtues, ne semblent pas évoluer dans le bon sens.

Jusqu’à présent, les anciennes puissances coloniales font et défont les politiques africaines. Tout le monde connaît l’extraordinaire influence d’une société française, Elf et de Total aujourd’hui dans l’émergence et le fonctionnement des « institutions » de ces pays. Combien de coups d’Etat avaient été fomentés à partir de Paris, de Bruxelles et de Londres ? Les pays anciennement colonisés, quelle que soit l’identité de son colonisateur, vont mal, très mal. Le colonialisme n’est pas une affaire de géographie, c’est un mal intégral. Ce n’est pas du tout « le jour » qui devrait quelque chose à la « nuit ». Il ne doit rien à la nuit, elle est tragique.

Aujourd’hui, les révélations se font trop insistantes. On sait, par exemple, que c’est le gouvernement belge qui a été à l’origine de l’assassinat de Patrice Lumumba, ancien premier ministre du Congo, remplacé par Mobutu qui, était devenu non fréquentable pour les chancelleries occidentales, décidant enfin de mettre un terme à son règne. Les tensions interethniques sont souvent encouragées dans des périodes de crise et de conflits par les capitales européennes qui défendent tout simplement leurs intérêts au détriment d’une Afrique qui n’est jamais partie, contrairement à ce titre d’un ouvrage de René Dumont, « l’Afrique Noire est mal partie », écrit vers le début des années soixante.

Une légère virée dans l’Histoire récente de cette région de l’Afrique nous renseignerait sur les échecs des derniers changements « démocratiques » dictés par un mythique désir d’imiter partiellement le modèle occidental. Un profond mécontentement traverse les élites africaines qui, souvent, ont subi les pires brimades de dictateurs installés à la tête de ces pays après les « indépendances » octroyées après la mascarade du référendum de 1958 mise en scène par Charles De Gaulle qui voulait arrimer éternellement l’Afrique à la France. Seule la Guinée de Sékou Touré avait refusé ce statut d’assisté permanent. Les territoires d’outre-mer (T.O.M), issus de la Constitution de 1946 étaient pourvus d’assemblées territoriales marquées par l’existence d’un double collège où, paradoxalement, les Africains étaient minoritaires. C’est d’ailleurs dans ce vivier qu’allaient être recrutés les nouveaux dirigeants africains qui vont sévir dans leurs pays en emprisonnant et en liquidant les opposants, en instituant le système du parti unique et en verrouillant toute possibilité d’expression, avec le soutien de la puissance coloniale. Ainsi, allaient se mettre en œuvre deux groupes de pays, l’un emprunta un jargon « socialiste » et l’autre un vocabulaire « libéral ».

Aucune ouverture démocratique n’était permise. Ce qui ne dérangeait nullement les anciennes puissances coloniales, sourdes aux nombreux appels de certains intellectuels africains peu enclins à collaborer avec des dictateurs qui n’arrêtaient pas de stigmatiser les pouvoirs en place trop corrompus et incompétents. Mais les affaires sont les affaires.

Ni Senghor, Ahidjo ou Houphouët-Boigny ne pouvaient tolérer une quelconque contestation. L’exil devenait l’espace privilégié de certaines élites qui se mettaient, à partir de l’étranger, à vilipender les dirigeants et le néo-colonialisme et à dénoncer le parti unique et la corruption. Ainsi, de nombreux écrivains comme Sembene Ousmane, Mongo Béti, Sony Labou Tansi, Ahmadou Kourouma, Maxime N’debeka et bien d’autres se retrouvèrent installés en France.

Déjà dès les indépendances de 1960, les dés étaient jetés. Les anciennes puissances coloniales ne pouvaient accepter l’instauration de régimes démocratiques risquant de constituer de sérieux dangers pour leurs intérêts. Que ce soit dans les pays anglophones ou francophones, la réalité était presque la même. Au Nigéria, au Ghana ou au Kenya ou dans les pays « francophones », les choses étaient relativement similaires. Certes, quelques dirigeants comme Nkrumah, Kenyatta, Lumumba ou Modibo Keita, développaient un projet national ou une perspective africaine, mais ils furent vite chassés du pouvoir. Les expériences démocratiques n’ont, jusqu’à présent, pas permis l’émergence d’un sentiment national qui mettrait fin aux solidarités claniques et aux très forts liens ethniques. La communauté ethnique qui tient encore le haut du pavé commence à s’éroder sous le poids de l’école.

Ces dernières années, les anciennes puissances coloniales ont senti la nécessité d’imposer un certain vernis démocratique à des dictatures qui commençaient à être trop impopulaires. C’est ainsi que fut décidée la mise à la retraite de Mobutu, devenu trop gênant. La revendication démocratique se faisait trop pressante dans un continent où plus d’une vingtaine de régimes sont issus de coups d’Etats militaires. Le texte du sommet réuni à Alger, il y a quelques années, où il était question de ne plus tolérer les coups d’Etat ne semble pas opératoire dans des territoires où l’armée est maîtresse du terrain. Aujourd’hui, la fiction démocratique devient une véritable panacée qui, parfois, emporte sur sa lancée quelques dirigeants peu présentables.

Ce sont les problèmes économiques et sociaux et les conditions du FMI et de la Banque Mondiale qui ont poussé de nombreux pays africains, trop pauvres à emprunter les sentiers de la gestion « démocratique », mais souvent les expériences tentées jusqu’à présent, ont lamentablement échoué. Les exemples de Côte d’Ivoire, du Niger, du Mali et du Nigéria par exemple sont frappants. Ces pays lourdement endettés ont engagé de très importantes opérations de privatisation. C’est ainsi que la Côte d’Ivoire qui a une dette extérieure de plus de 24 milliards de dollars a privatisé plus de 90% de ses entreprises publiques. Ce territoire se trouve aujourd’hui piégé par la chute des cours du café et du cacao, les deux richesses de ce pays détenues en grande partie par la famille Houphouët-Boigny. La Côte d’Ivoire qui produit 40% de la production mondiale est le premier fournisseur de cacao. France Télécom détient 51% du marché des télécommunications dans ce pays. Les autres pays d’Afrique ne sont pas aussi riches que la Côte d’Ivoire.

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