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Billet de blog 23 juillet 2020

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L'HISTOIRE DE THE LANCET, LE Pr RAOULT ET LE PARTI PRIS DE LA PRESSE

Une chronique évoquant le parti pris manifeste de nombreux journalistes et médias contre le Pr Raoult

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Décidément, la polémique qui est, me semble-t-il, sciemment entretenue en France autour de l’hydroxychloroquine et le Pr Didier Raoult ne risque pas de se terminer de sitôt. Après la publication dans la revue médicale britannique The Lancet  d'une étude très lacunaire, vite retirée, mettant en avant les risques de certains traitements du COVID-19 dont l'hydroxychloroquine, la presse française, notamment Le Monde et les chaines de télévision, a mis à la Une cette information considérant que c’était la fin des haricots pour ce médicament (Plaquénil). Le quotidien Le Monde a depuis le début de l’histoire pris fait et cause pour les contempteurs de ce traitement proposé par l’IHU (Institut Hospitalo-Universitaire) de Marseille dirigé par le Pr Didier Raoult, sans accorder la possibilité aux « scientifiques » de Marseille de défendre leur point de vue. Des chaines de télévision invitent constamment les médecins, les « experts » et les chroniqueurs ou éditorialistes qui prennent position contre l’hydrochloroquine, alors que l’éthique journalistique ne permet pas ce type de pratiques. Les proches de l’IHU de Marseille comptabilisent un temps de passage très réduit sur ces chaînes.

Certes, le Pr Raoult a été invité à quelques entretiens, l’ancien ministre de la santé Philippe Douste-Blazy a fait aussi de furtives apparitions. Par contre, les journalistes et « experts » ou « éditorialistes », des médecins connus pour leur désaccord avec le Pr Raoult, sont constamment présents, souvent les mêmes, éprouvant apparemment une certaine haine à l’envers du médecin marseillais qualifié négativement, avec des mots empruntés au champ lexical de la haine et de la folie, lui attribuant des propos tronqués et des affirmations sorties de leur contexte et insistant sur son physique et ses caractéristiques psychologiques supposées. C’est la construction d’un portrait le faisant assimiler à un charlatan.  Le mot « controversé » revient, à plusieurs reprises, dans le vocabulaire utilisé par ces « experts », « éditorialistes » et journalistes qui, pour la télévision, renforcent leurs propos par l’usage de gestes, d’images  et de grimaces suggérant le mépris quand il s’agit du Pr Raoult, alors que c’est le médecin français le plus reconnu dans le monde, avec trois autres chercheurs de l’IHU Méditerranée infection , il a à son actif 636 articles entre 2007 et 2013, cités 18128 fois par les scientifiques de la communauté internationale (Cités par Clarivate Analytics, Highly Cited Researcher list).

Peut-on dans ces conditions parler de médecin « controversé », si on tient compte de ces centaines de publications ?  L’adjectif « controversé » est souvent repris dans la presse quand il s’agit de personnes ou de réalités en porte-à-faux avec le discours dominant. Il est souvent question quand on évoque Jacques Vergès ou Noam Chomsky par exemple dans la presse européenne d’user de la qualification fortement subjective « controversé » reproduisant sans l’interroger un terme qui a subi un glissement sémantique négatif puisé dans le discours médiatique français trop prisonnier des catégorisations idéologiques et politiques. Le choix du terme pose sérieusement problème. Si on suit la définition du Larousse, « controversé » signifierait : « qui suscite des controverses, des contestations, discuté ». C’est le cas ces derniers temps du professeur Raoult qui défend un discours éloigné du propos dominant dans les sphères médicales, un monde qui ne fait nullement, il faut le souligner, partie des sciences dites exactes.

Le fait d’employer ce mot implique une position subjective, idéologique qui contrevient à l’éthique et à la déontologie journalistique. Dans cette « polémique », le journaliste abandonne les lieux de l’éthique pour se placer sur un terrain politique et idéologique.

Même l’histoire ratée du Lancet ne semble pas freiner les ardeurs des contempteurs du Pr Raoult. Ce que beaucoup de scientifiques ont nommé scandale après l’affaire de la revue médicale britannique, The Lancet n’en est pas un. Ce sont des pratiques tout à fait normales dans certains milieux scientifiques, otages des grandes multinationales et des firmes pharmaceutiques qui n’hésitent pas à acheter médecins, pharmaciens et hauts fonctionnaires. La dernière étude de The Lancet parue le 22 mai dernier et les éléments rendus publics donnent à lire de sérieux problèmes méthodologiques qui sont probablement des failles volontaires, notamment les bizarreries du corpus, la source réelle des données rassemblées, le questionnement des différends groupes concernés et des différents espaces géographiques en rapport avec le traitement. Ce qui était également grave et qui rendait l’étude trop suspecte, c’était quand, selon The Guardian, le patron de la « société d'analyse de données de santé » basée aux Etats Unis », à l’origine du regroupement des données, reconnut le plus normalement du monde « avoir par erreur classé 73 décès en Australie  alors qu'ils auraient dû être comptés en "Asie ». Cette réaction est venue après que beaucoup de chercheurs eurent constaté ce fait surréaliste.

La question ne se pose plus en termes d’utilité ou non de l’hydrochloroquine, mais des dangers qui pèsent sur la santé publique du fait de cette dangereuse complicité entre les milieux scientifiques, des revues scientifiques, des praticiens et les multinationales du médicament. Le patron de la revue incriminée reconnait qu’il y a eu pression et aurait même parlé de « crime », selon le professeur Philippe Douste-Blazy. Faut-il qu’il y ait désormais des comités transnationaux dont la fonction serait de vérifier les résultats des travaux scientifiques à postériori ?

Ce qui se passe n’est pas nouveau dans un monde où l’argent prend le dessus sur les questions éthiques et déontologiques. Une partie du monde de la médecine a depuis longtemps ignoré les règles éthiques se laissant corrompre par « la mafia du médicament », pour reprendre le titre d’un ouvrage paru en 1977 aux Editions Sociales (Paris) de Jean-Pierre Lazio qui, preuves à l’appui, donne à lire les rapports trop immoraux entre des fonctionnaires, des médecins, des pharmaciens et les entreprises pharmaceutiques. A l’époque, le livre avait provoqué un grand scandale. Il y a quelques années, le célèbre professeur en pneumologie, Philippe Even, interdit d’exercer la médecine depuis 2014 pour avoir dénoncé ces pratiques incestueuses, avait publié un ouvrage qui avait fait l’effet d’une bombe, surtout que Even était un médecin respecté et reconnu, ancien doyen de la faculté de médecine Necker et président de l'institut Necker. Le titre est clair et provocateur, mais très documenté : « Corruption et crédulité en médecine » (éd. Le Cherche-Midi, 2015). Even explique les raisons qui pousseraient les firmes pharmaceutiques à fabriquer des maladies qui n’existeraient pas et falsifieraient les études de centaines de médicaments. Il va dans le sens des déclarations des défenseurs de l’hydrochloroquine, alors que le livre a été édité en 2015 : « Une majorité de médicaments sont soit inefficaces, soit inutiles puisqu’il y en a de moins chers sur le marché. Ils existent pour faire de l’argent et font le jeu du marché. Sur les 4.000 médicaments français, 1.000 sont vraiment utiles. Ils représentent 200 molécules de base… Les autres industries créent des marchés en suscitant le désir, le besoin de la part des acheteurs éventuels. L’industrie pharmaceutique, elle, fabrique la peur et l’espoir. La crainte. Il va falloir vous traiter de façon préventive. On traite des gens sains pour des maladies qu’ils n’auront pas ».

Ce que disent Even, Douste-Blazy et Raoult est très grave. Le professeur Even  pointe le doigt sur certains de ses confrères qui seraient complices conscients de cette mafia dont le seul objectif serait de faire davantage de profits : « Le véritable danger vient de 5 % d'entre eux, baptisés leaders d'opinion clé, achetés et inféodés à l'industrie, à coup de contrats personnels, déclarés ou non, d'enveloppes en liquide, en général à l'étranger, et qui atteignent de 20.
000 à 500.000 € par an ou plus, selon l'importance des marchés qu'ils assurent à l'industrie dans leur pays.Ils cosignent les yeux fermés les articles rédigés par les firmes, les présentent dans les congrès qu'elles financent, déterminent la position des sociétés savantes qui, financièrement, dépendent à 90 % de l'industrie, et sont toujours choisis, à cause de la notoriété médiatique que leur assurent les firmes, comme experts par les agences d'État, imposant ainsi les autorisations de commercialisation (AMM), empêchant les retraits du marché, assurant le remboursement maximal des médicaments et déterminant les recommandations officielles des agences, de telle sorte qu'en pratique, à travers eux, c'est l'industrie qui tient elle-même la plume des médecins prescripteurs.
 »

Mon propos n’est pas de défendre le Pr Raoult. Il le fait dans ses vidéos. Je ne suis pas à même de dire si le médicament est bon ou non, ce n’est ni mon métier, ni ma fonction. Mon objectif est de tenter de saisir le discours journalistique et de conclure dans ce cas de figure que le discours exclut la pluralité des sources, donnant à lire un propos monologique. 

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