Je ne sais pas, mais j’ai toujours apprécié Roland Barthes, je crois que c’est le seul qui arrive à transformer les choses sans donner l’air de le faire, j’ai surtout aimé le travail de Barthes à partir de ses écrits sur le théâtre et son désir d’introduire Brecht en France, alors que tout le monde s’y opposait. Heureusement pour lui, il y avait, cet homme à lunettes, un grand homme de théâtre qui l’a aidé à le faire et un autre, un professeur d’université, Bernard Dort avec lequel ils publièrent une revue « Théâtre populaire ». C’est ici que Barthes, extrêmement séduit par Marx et Sartre, allait exhiber sa violence, en traitant de tous les noms cette élite bourgeoise qui s’opposait au Berliner Ensemble et à Bertolt Brecht. C’est d’ailleurs, à partir de cette rencontre qu’il arrêta d’aller au théâtre, il n’y a plus rien d’autre aussi beau que ce théâtre qui explore l’homme dans sa complexité. Il le dit : « Brecht m’a fait passer le goût de tout théâtre imparfait, et c’est, je crois, depuis ce moment-là que je ne vais plus au théâtre ».
Brecht qui entretient une relation singulière avec sa mère, un peu comme Sartre d’ailleurs, est un véritable intellectuel qui a parfois des sorties carrément impromptues. Il a toujours eu des problèmes respiratoires, mais il n’a jamais cessé de fumer. Il aimait fortement les arts, le théâtre, il a été à l’université l’animateur d’une troupe, Groupe de théâtre antique de la Sorbonne, artiste-peintre, il a laissé plein de dessins et d’esquisses picturales, il aimait la musique, une trentaine de compositions à son actif. Mais point de roman. Il a toujours voulu justement écrire ce roman, mais vainement, lui l’amoureux fou de l’instant et de choses fragmentées, il se raconte dans ces fragments rédigés comme de petits récits.
Je ne sais pourquoi je n’ai jamais aimé ses longs textes, un peu universitaires à mon goût, un peu lassants à lire, je n’aime pas du tout « Degré zéro de l’écriture » ou ses « éléments de sémiologie », comme je n’ai jamais compris pourquoi à un moment de sa vie, il avait épousé les contours du structuralisme, une lecture immanente du texte, lui le proche de Marx et de Sartre qui, heureusement, par la suite, dans les années 1970, comme Todorov d’ailleurs, a renié cette partie de son expérience. Je crois que c’est rencontre avec Greimas, au début des années 1960, qui l’avait poussée vers l’impasse structurale. On ne peut ne pas être fascinés, séduits, par ses traits de génie quand il écrit ses fragments, des textes lumineux, marqués par les jeux de l’Histoire et du temps. Bien avant Le degré zéro, il écrivait déjà des textes courts qui disent, de manière extraordinaire le monde, la culture de l’ordinaire. C’est dans Combat où trônait Albert Camus qu’il s’était mis à publier mensuellement de beaux fragments sous le titre, « petites mythologies du mois », un clin d’œil à la tragédie grecque, lui qui a soutenu un mémoire consacré à l’expression tragique dans le théâtre athénien.
La distance prise avec l’analyse structurale va encore une fois révéler le grand Barthes qui appelle le critique à assumer sa pleine subjectivité. C’est également, à partir de cette période, rompant avec les modes du moment, qu’il allait se faire beaucoup d’ennemis dans le camp universitaire, intellectuel et même politique. Il va insister sur « le plaisir du texte », le rapport de jouissance et la relation érotique, lui, l’amoureux de Proust, il va cesser de lire les nouvelles parutions pour se consacrer à l’interrogation des anciens. Un choix définitif. Son séminaire de sémiologie est très suivi par beaucoup de monde, il lui permet de mieux faire comprendre à ses auditeurs l’importance de la subjectivité dans l’approche littéraire tout en insistant sur la dimension sociale et historique. Son livre sur Racine, une critique de la lecture traditionnelle, type Lagarde et Michard, l’homme et l’œuvre, allait provoquer l’ire des universitaires traditionnels à la tête desquels se trouvait Roland Picard qui lui répondit violemment dans un livre au titre évocateur, « Nouvelle critique ou nouvelle imposture ». Mais Barthes lui rétorqua rapidement en publiant un ouvrage extraordinaire, peut-être le plus beau de l’auteur, Critique et vérité. Quand Barthes se libère des normes, il faut s’attendre à une révolution.
Barthes est un anticonformiste, il était à l’étroit dans le monde universitaire. Il était tout simplement trop grand tout en étant ordinaire, lui enfant de la bourgeoisie qui tente de démythifier la bourgeoisie en déconstruisant ses mythes, elle qui voulait les imposer à tout le monde en les embastillant dans sa propre logique, celle d’un monde immuable que réfute Barthes qui, proche de Brecht, estime que le monde est transformable et que le mythe se nourrit de la substance sociale et historique. Tous ses ouvrages faits de fragments, « Système de la mode », « Fragments d’un discours amoureux », « S/Z », « Mythologies », vont justement dans une nouvelle perspective d’interprétation du monde et de la littérature, donnant à lire le sens comme un processus, le lieu d’articulation de nombreuses instances. Le sens est lieu et enjeu d’un processus historique. Dans ce texte sur la photographie, l’image, « La chambre claire. Note sur la photographie », paru l’année de sa mort, est une lecture qui, je ne sais pour quelle raison me rappelle son texte sur la mort de l’auteur qui avait fait sensation à l’époque, suivi quelque temps par Foucault.
Ainsi, à l’instar de Sartre dans ses analyses de Faulkner et sur l’idée d’engagement, il soutient l’idée que l’écriture serait « révélatrice de l’engagement de l’écrivain », mais sa tentative de montrer d’opposer deux types d’écriture, « l’écriture blanche » et « l’écriture parlée » me semble tirée par les cheveux : l’écriture blanche, serait neutre, le degré zéro, ayant pour objectif la « transparence totale », comme celle de Camus dans L’étranger, qui incarnerait le summum du désengagement, ce qui, selon moi, est impossible, tout texte serait le lieu d’un engagement, Meursault, par exemple, l’est à plus d’un titre ; l’écriture parlée, reprenant toutes les variantes du discours oral, révélant la « socialisation du langage littéraire ». Tout texte est le produit de ces deux logiques.
C’est dans ses « mythologies » que se révèle le vrai Barthes. Le travail du critique serait de décrypter, nous dit-il, les marques idéologiques de tout discours littéraire, de déchiffrer les jeux langagiers, mettant en relief les différentes « mythologies sociales » (Mythologies, 1957 ; Sur Racine, 1963 ; Essais critiques, 1963 ; Système de la mode, 1963 ; Plaisir du texte, 1973 Fragments d’un discours amoureux, 1977 ; L’empire des signes…). Dans ces textes, il essaie d’interroger les signes de la culture de l’ordinaire, redéfinissant les mythes modernes et permettant la mise en œuvre d’une sémiotique générale. Barthes considère paradoxalement que tout acte de lecture est subjectif. « Tout critique, soutient-il, est invité à s’assumer comme être pleinement représentatif ».
Barthes était singulier, il se foutait des normes et des conventions à tel point que certains universitaires, surtout du côté de la Sorbonne, du haut de leur logique conventionnelle, s’empressaient, avec des formules toutes faites, à dénier à ses textes, méthode et rigueur, comme s’il avait besoin de leurs sermons. Pour lui, marqué par l’héritage de Marx et de Sartre, même s’il se détache quelque peu dans ses réflexions sur l’analyse structurale, l’essentiel, c’est le travail sur le langage, l’écriture qui devrait-être l’objet de la critique littéraire. Il s’est fait pourtant connaître par un texte flamboyant, Le degré zéro de l’écriture (1953) où il essaye d’entreprendre « la démonstration de l’engagement politique et historique du langage littéraire ». Ainsi, à l’instar de Sartre dans ses analyses de Faulkner et sur l’idée d’engagement, il soutient l’idée que l’écriture serait « révélatrice de l’engagement de l’écrivain ». Il tente de montrer la justesse de son propos en opposant deux types d’écriture : l’écriture blanche, neutre, le degré zéro, ayant pour objectif la « transparence totale », comme celle de Camus dans L’étranger, qui incarnerait le summum du désengagement ; l’écriture parlée, reprenant toutes les variantes du discours oral, révélant la « socialisation du langage littéraire ». Le travail du critique serait de décrypter les marques idéologiques de tout discours littéraire, de déchiffrer les jeux langagiers, mettant en relief les différentes « mythologies sociales » (Mythologies, 1957 ; Sur Racine, 1963 ; Essais critiques, 1963 ; Système de la mode, 1963 ; Plaisir du texte, 1973 Fragments d’un discours amoureux, 1977 ; L’empire des signes…). Dans ces textes, il essaie d’interroger les signes de la culture de l’ordinaire, redéfinissant les mythes modernes et permettant la mise en œuvre d’une sémiotique générale. Aussi, propose-t-il une réflexion sur le signe et sur le personnage comme signe. Barthes qui réfute l’analyse psychologique pense que l’auteur serait un simple émetteur de signes que devrait interroger le critique en interpellant la combinatoire des signes.
Il considère que tout acte de lecture est subjectif. « Tout critique, soutient-il, est invité à s’assumer comme être pleinement représentatif ». Il faudrait, dit-il mettre en lumière les structures latentes d’un texte, le décomposer pour le reconstruire et percevoir et analyser le texte littéraire comme un « objet littéraire », en évitant d’en faire une mimésis.