Un nouveau livre de Georges Corm : La nouvelle question d’Orient
Georges Corm, auteur de nombreux ouvrages consacrés à l'histoire du Proche-Orient, poursuit inlassablement, face à tous les falsificateurs, son œuvre de pédagogie démystificatrice sur ces questions sensibles que sont les évènements qui secouent depuis fort longtemps les sociétés du Proche-Orient. Il nous gratifie d’un nouveau livre sur ce qu’il appelle La nouvelle question d’Orient (La Découverte, 2017) qu’il qualifie en réalité de nouvelle question d’Occident. Elle ne fait que rééditer les mêmes falsifications intéressées qui avaient amené les pays capitalistes d’Europe à fractionner les peuples du Proche-Orient et les placer sous la férule d’une dizaine d’Etats tyranniques mais complaisants et corrompus par les rentes redistribuées grâce à l’exploitation de leurs ressources nationales par des compagnies capitalistes.
Georges Corm nous introduit d’abord aux changements intervenus depuis que l’ancienne question d’Orient avait permis aux puissances européennes de se partager influence et territoires sur les dépouilles de l’Empire ottoman (accords Sykes-Picot de 1917).
Il y eut trois phénomènes majeurs :
1. l’apparition d’un mouvement nationaliste dans ces pays arabes,
emblématiquement représenté depuis les années 1950 par le président égyptien Gamal Abdel Nasser qui fut puni par deux guerres (1956 et 1967) pour avoir nationalisé de Canal de Suez et mené, parfois maladroitement, une politique nationaliste et de libérations nationales (en aidant les indépendantistes algériens et africains opposés au colonialisme français et britannique).
2. La création de l’État d’Israël (1948) qui s’est avéré être souvent un bras armé du camp occidental.
3. Une dynamique d’abandon des chrétiens d’Orient d’origine par les puissances occidentales.
4. Le rôle grandissant des monarchies pétrolières rentières et tyranniques dans l’apparition d’idéologies salafistes dérivant vers la constitution de groupes terroristes se légitimant par le religieux.
Si pour un public averti les déboires du nationalisme arabe progressiste et, parallèlement, les actions meurtrières de l’État d’Israël vis-à-vis des Palestiniens sont assez bien connus, Georges Corm apporte l’éclairage pédagogique nécessaire à un plus large public qu’il estime constamment mystifié par les clichés propagés par le système médiatique occidental dominant.
Un autre apport, décisif, est l’éclairage qu’il développe sur la question du christianisme arabe, transfiguré par les médias en une sorte d’appendice oriental du christianisme alors qu’insiste Corm c’est le vrai christianisme d’origine. « Le christianisme arabe, écrit-il, [est présenté comme] une aberration, [comme si] le devenir de la région [était] de devenir exclusivement musulmane et juive ». Chrétiens de Syrie et du Liban, s’interroge-t-il, Syriens et Libanais chrétiens ou « Église des Arabes » ?
C’est en politisant depuis le 19ème siècle les communautés religieuses arabes que les puissances occidentales ont réussi à le diviser en groupes antagonistes. Or, les populations locales ont toujours résisté à ce fractionnement. D’ascendance chrétienne, le Libanais Antoun Saadé (1904-1049) et le Syrien Michel Aflak (1010-1989) sont deux figures historiques éminentes du nationalisme arabe et de l’action pour l’unité des États arabes.
Dans le cas de la Syrie, qui avait échappé à l’institutionnalisation des communautés religieuses imposée par le colonialisme français au Liban, Corm note « une inclusion forte de Syriens chrétiens dans le tissu politique local » et « une absence de répartition communautaire des fonctions publiques ». Poursuivant ce panorama, il écrit : « Mais incontestablement, c’est le christianisme palestinien qui sera le plus ébranlé par la conquête sioniste et son poids [vite] réduit comme une peau de chagrin [de 10% au 19ème siècle à 2% en 2016] ».
« Il ne faut pas s’étonner, écrit Georges Corm, que la plupart des puissances européennes, France en tête, qui appuient les mouvances islamiques depuis l’époque de la guerre froide dans le but de supprimer les mouvements nationalistes laïques, socialisants et antiaméricains, ne soient guerre sensibles au sort des communautés chrétiennes ». Le déclin de ce christianisme d’origine s’opère dans l’indifférence de « dirigeants européens aveuglés, notamment en France, [et qui n’ont] pas hésité à soutenir l’intolérance religieuse des groupes d’islam radical ayant confisqué à leur profit l’opposition syrienne ».
Le développement du terrorisme se réclamant de l’islam est le produit de ce chaos mental. Celui-ci s’inscrit dans le droit fil de l'absence de démocratie et de justice sociale dans des tyrannies rentières et d'idéologies néoconservatrices prônant un « choc des civilisations », lequel n’est qu’un « héritage de l’ancien racisme de nature coloniale ».
Georges Corm est un historien, économiste et homme politique libanais.