Les récentes affaires d'argent mettant en cause des candidats à la présidence de la République ont suscité des réactions qui montrent la permanence d'une tentation forte en France, celle de soumettre les fonctionnaires aux ordres des élus titulaires de pouvoir et non à la simple loi. Le 5 février 2017, M. Fillon a ainsi opposé « la légitimité que confère le suffrage universel à l’illégitimité supposée des magistrats » qui le poursuivent (Médiapart, 6 février), sous-entendant qu'ils étaient aux ordres du pouvoir (élu) en place. Le 26 février 2017, Mme Marine Le Pen a surenchérit à propos des fonctionnaires et suscité l'émoi. « Syndicats de magistrats et de policiers protestent contre ce qu’ils jugent comme une « menace » et une « tentative de déstabilisation des institutions » (Le Monde, 28 février). « Je n’accepterai jamais qu’on puisse mettre en cause les fonctionnaires dans notre République au prétexte qu’ils appliquent la loi et qu’ils font en sorte que la justice puisse travailler », avait réagi le président Hollande.
Contrairement à d'autres pays développés où les fonctions de contrôle public sont indépendantes de l'autorité politique, la France reste, en effet, malgré quelques avancées, marquée par la tutelle du politique sur ses administrations et organismes publics et par une culture mettant l'élu, représentant la souveraineté du peuple, au dessus de la loi. La création de quelques agences et hautes autorités indépendantes, soustraites aux ordres directs des élus, fait d'ailleurs souvent l'objet de revirements pour les ramener sous l'autorité des hommes de pouvoir ou les dissoudre. Exemples : Jugés, semble-t-il, trop indépendants ou trop zélés dans leur mission (c'est selon) le Médiateur de la République a ainsi été supprimé comme la Commission nationale de déontologie de la sécurité, le Défenseur des enfants et la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. Depuis le 24 décembre 2012, le Président et les membres du collège du Haut Conseil à l’intégration ne sont plus en fonction. Ces organismes ont été remplacés par une nouvelle institution unique qu'on pouvait imaginer plus docile : le Défenseur des droits. Mais, pour avoir inscrit son statut dans la Constitution (article 71-1) et rendu son mandat non révocable, il y eut un progrès notable que son président actuel a pris d'accentuer en émettant avis et rapports allant à l'encontre des opinions du gouvernement. Autre exemple : le président Sarkozy avait ôté à l'autorité de l'audio-visuel le droit de nommer les dirigeants de France-Télévision pour le reprendre à son compte.
Rare exception dans ce paysage plein de va et viens , la situation de la Banque centrale dont l'indépendance a été constitutionnellement admise par l'adoption du Traité de Maastricht (1992) et confortée par la loi de 1993 sur l'indépendance de la Banque de France. Le Code monétaire et financier dispose, dans son article L- 141-1, que « La Banque de France, en la personne de son gouverneur ou de ses sous-gouverneurs, ne peut ni solliciter ni accepter d'instructions du Gouvernement ou de toute personne. » Or cette indépendance est constamment remise en cause par de nombreux courants politiques qui souhaiteraient remettre la Banque sous l'autorité du ministre des Finances. C'est dire si la tradition d'indépendance d'administrations ou organismes publics peine à s'ancrer dans la culture politique française.
Les différentes affaires d'argent qui ont secoué ces dernières années le monde politique montrent que l'on préfère encore les arbitrages obscurs du prince à l'application stricte de la loi. Ainsi en est-il en matière fiscale où le ministre dispose de pouvoirs exorbitants. Récemment, on apprend que dans une lettre au ministère des Finances et au parquet, le procureur général près la Cour des comptes s’interrogeait sur «les conditions très favorables d’imposition» accordées par le ministre du Budget de l’époque (2009) à M. Bernard Tapie dans l'affaire qui l'oppose au Crédit Lyonnais. Pour l’administration fiscale, l’argent versé pour indemniser M. Tapie devait être taxé au titre de l’impôt sur les sociétés (33,3%), alors que celui-ci ne s'estimait redevable que de celui sur les plus-values (1,67%). Finalement, dans une lettre du 2 avril 2009, le ministre du Budget avait décidé de taxer deux tiers de l’indemnité à 1,67% et un tiers à 33,3% (Médiapart, 2 décembre 2015 ; Libération, 22 mars 2016). Les cas sont innombrables où l'arbitrage du ministre vaut loi. Or, seuls quelques citoyens – en général les plus fortunés ou puissants – peuvent accéder à cet arbitrage. Le commun des contribuables, non.
Les affaires politiques en cours ont montré que certains justiciables candidats à la présidence de la République pouvaient se croire au dessus-des lois. L'opinion au contraire réclame une égalité de traitement devant la Justice. De la même façon, pour établir une égalité de traitement des contribuables devant les procédures fiscales, il convient de repenser le statut de l'administration fiscale vers plus d'indépendance. Dans de nombreux pays, l'Espagne par exemple, celle-ci est indépendante et dirigée par un président qui a, protocolairement, rang de ministre. L'administration des Impôts n'a pas besoin de l'avis des politiques pour calculer un impôt défini par la loi. Il suffit d'appliquer la loi. La création d'une Agence de l'administration fiscale, soustraite aux ordres du politique, dirigée par une personne nommée directement par le président de la République et chargée d'appliquer la loi fiscale, celle votée par les élus souverains, irait dans ce sens.