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Billet de blog 14 mai 2016

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Loi travail : veut-on transformer les travailleurs en genre ?

Avant, ils étaient une classe. Bénéficiant de statuts collectifs applicables à chacun d'entre eux sans exception. Les luttes et les conquêtes des uns profitaient à tous les autres. Certes, des discriminations de genre existaient (femmes, immigrés). Or, avec la loi travail, d'une classe bénéficiant des mêmes règles, on veut en faire un genre où chaque cas est particulier.

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Loi travail : veut-on transformer les travailleurs en genre ?

Avant, ils étaient une classe. Bénéficiant de statuts collectifs applicables à chacun d'entre eux sans exception. À Lille ou Marseille, mêmes droits (contrat de travail, hygiène et sécurité, etc.). Les luttes et les conquêtes des uns profitaient à tous les autres. Certes, des discriminations de genre existaient (femmes, immigrés) qui minoraient certains droits et avantages.

Des penseurs prophétisaient même qu'avec l'extension du capitalisme à la planète, ces droits deviendraient universels, les travailleurs devenant une seule classe mondiale (Marx) ou, tout au moins, une égalisation des salaires se produirait (théorème de Samuelson).

 La réflexion historique sur la façon dont les capitalistes « extraient » davantage que ce qu'ils misent a conduit à distinguer, depuis David Ricardo, deux situations principales : celle, où soumis à une concurrence, des capitaux égaux tirent un profit égal du travail d'autrui. Il n'y a pas d'exception individuelle en termes de salaires ou de profits. La distinction entre salariés et capitalistes est fonctionnelle : les uns travaillent et perçoivent un salaire ; les autres les commandent et s'approprient un profit résiduel, une fois tous les frais de la production payés. Ce sont des classes fonctionnelles. L'autre situation est celle où, jouissant d'un monopole, grâce à une protection politique, les capitalistes empochent des rentes supérieures au profit qu'ils auraient engrangé dans une situation de concurrence. Il n'y a pas de règle qui égalise les revenus tant des exploités que des exploiteurs.

 Ainsi, contrairement à deux salariés hommes qui, individuellement, percevraient, en deux lieux différents, le même revenu pour le même travail, un homme et une femme (ou un travailleur exotique), requis pour accomplir les mêmes obligations ne sont pas « traités » de la même façon par leurs employeurs respectifs. Le système politique va autoriser les dominants à, selon leur gré, appliquer à chaque individu des règles particulières arbitraires construites le plus souvent sur l'exercice d'une violence individualisée (harcèlement, refus de « papiers », etc.). Ce type de pratique infériorise individuellement les femmes et autres travailleurs « mal traités ». Il est dès lors légitime de les payer moins ou de les exploiter plus. D'en tirer des rentes. En inversant les normes – abandon de la primauté des conventions collectives au profit des accord particuliers d'entreprise – la loi travail institue un système de rentes différentielles selon le rapport de forces interne à chaque entreprise et particularise le « traitement » des travailleurs.

 D'une classe bénéficiant des mêmes règles, certaines fractions du capitalisme veulent en faire un genre inférieur à traiter individuellement selon son propre gré (en individualisant également les contrats de travail). Le but est d'inférioriser les salariés – ils n'ont pas de Rolex – pour en extraire une rente, plus que ne permettrait un système de concurrence « ricardien ».

 Ces fractions du capitalisme ont donc intérêt à revivifier les cultures de genre (femmes, hommes, blancs, bronzés, bobos tertiarisés, travailleurs d'usine, sans-dents, etc.) et un retour aux idées victoriennes (voir Moi David Blake de Ken Loach).

 C'est ainsi que s'opère une conjonction entre les intérêts des élites rentières et la résurgence hégémonique de cultures hiérarchiques de genre diffusées répétitivement par un système médiatique aux mains de capitalistes et portées par des mouvements politiques ascendants valorisant les dominants comme genre et infériorisant les dominés comme autres genres.

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