Après-Brexit : vers un capitalisme britannique sauvage et un État plus répressif
Le discours du Premier ministre britannique du 17 janvier dernier annonce une
rupture franche avec l'Union européenne. D'aucuns ne prêtent aucune intelligence à la
classe politique britannique en l'accusant d'aventurisme. Or, la volonté majoritaire
des conservateurs britanniques de quitter l'UE, que vient de soutenir le nouveau
président américain, révèle que ce projet a été mûri, semble-t-il, depuis longtemps.
Loin d'être « fou », il annonce une politique réfléchie, sinon une contre-révolution,
qui redonnerait au capitalisme britannique la liberté d'exploiter, compromise par
certaines contraintes européennes. Quitter l'UE, c'est se libérer de l'obligation
d'accorder un minimum de droits aux travailleurs, aux consommateurs, aux citoyens
et aux justiciables, sinon à la nature. Le rêve que caresse aussi une partie de la classe
politique française.
Il serait fastidieux d'énumérer les acquis en tous domaines que l'UE a permis à
ses citoyens d'obtenir : économiques et matériels, sociaux, civiques, etc. Certes, ici et
là, on se plaint de la multitude des normes qui protègent aussi bien les travailleurs
(qu'on ne peut faire travailler autant qu'on veut ni obliger à manipuler des produits
chimiques sans protection, etc.) que les consommateurs ainsi que les citoyens (cours
européennes de justice et des droits de l'homme) ou l'environnement dans lequel ils
vivent.
Pour les travailleurs, la directive européenne sur le temps de travail
(2003/88/CE) prévoit que le temps de travail hebdomadaire ne peut dépasser 48
heures en moyenne, heures supplémentaires incluses. Elle impose le respect d'une
période minimale de repos quotidien, à raison de 11 heures au cours de chaque
période de 24 heures. Un temps de pause doit être accordé pendant le temps de
travail, si le travailleur est actif pendant plus de six heures. Pour chaque tranche de
travail de sept jours, elle rend obligatoire une période de repos hebdomadaire
minimale de 24 heures sans interruption, qui s’ajoute au repos quotidien de 11 heures.
Elle institue un droit à un congé payé annuel d’au moins quatre semaines par an. Elle
ajoute, enfin, une obligation de protection supplémentaire en cas de travail de nuit et
le droit à des examens de santé gratuits.
Sait-on qu'une autre directive (89/391/CEE du 12 juin 1989) prévoit la mise en
oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des
travailleurs au travail, la prévention des accidents du travail et l'humanisation du
travail, la participation des travailleurs et la diffusion de l'information ?
Explique-t-on assez aux travailleurs que la sortie de l'Europe pourrait les livrer
aux mains de cupides employeurs ?
Des directives existent qui protègent les populations en matière de santé,
innocuité des médicaments, hygiène et alimentation, environnement, etc., qui peuvent
paraître lourdes et bureaucratiques mais qui ont évité aux pays européens d'être
envahis d'aliments ou médicaments frelatés ou à la nature d'être dévastée, faisant des
pays européens des endroits encore sûrs pour la santé des gens et dotés encore de
richesses naturelles préservées. Les randonneurs et les vélos du dimanche en savent
quelque chose. Outre ces acquis, voici aussi les déplacements facilités, les échanges
d'étudiants, les interculturalités, etc.
La Cour européenne des droits de l'homme est un autre rempart contre les
tentations liberticides et une sérieuse garantie pour un fonctionnement équitable de la
justice dans chaque pays adhérent.
En quittant l'UE, les capitalistes britanniques pourront s’affranchir des normes
concernant la protection des travailleurs, des consommateurs et de l'environnement.
Ils pourront pratiquer plus librement un dumping social qui les placera
avantageusement dans la globalisation. Le Royaume Uni retrouvera la liberté de
négociations commerciales avec les pays tiers. Ses entreprises pourront redevenir
concurrentes grâce à une économie de pas cher et à la baisse de la livre sterling qui
semble accompagner le Brexit. Les travailleurs britanniques y perdront en salaires et
prix des produits importés. Sans compter les coupures dans les budgets sociaux et la
fermeture de nombreux services publics de proximité (bibliothèques, par exemple)
que le gouvernement Cameron avait déjà mises en oeuvre.
L’État, quant à lui, pourra se dégager des restrictions qu'imposent les différents
acquis européens en matière des droits de l'homme. Le dernier rapport d'Amnesty
international montre que les derniers gouvernements du Royaume Uni ont promulgué
des règles parmi les plus liberticides d'Europe tout en rabotant le financement de
nombreux services publics. L’État britannique, dirigé par les conservateurs, vise à
redevenir un État minimal dont la mission principale est la sécurité.
Il n'est pas exclu qu'il révise aussi sa fiscalité en direction d'allègements
propres à rendre la place financière de Londres plus attirante pour les capitaux
internationaux. Cela compensera la suppression de certains avantages qu'ont les
banques britanniques sur le continent. Comme la liberté de négociation retrouvée
avec des tiers leur permettra de s'appuyer davantage sur les places financières de leurs
anciennes colonies asiatiques qu'ont été Singapour et Hong Kong.
Madame May a placé son discours sous la bannière d'un Global Britain. Les
conservateurs veulent ainsi redonner au capitalisme britannique la place qu'ils
estiment devoir lui revenir dans la globalisation actuelle et qui ne se suffit plus de
l’étroitesse du champ européen. Ils ont besoin pour ce faire de pratiquer un dumping
social, monétaire et fiscal et d'exploiter plus librement des travailleurs dont un État
plus répressif contiendrait les protestations. La prise de fonction aux États-Unis de M.
Trump, applaudie par les extrêmes droites, ne peut que renforcer ce mouvement vers
un capitalisme plus débridé et plus dur.