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Billet de blog 27 septembre 2018

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La Chine s’est-elle matériellement développée grâce aux États-Unis ?

On dit et répète que c’est grâce à l’ouverture du marché américain, au libre-échange et aux investissements occidentaux dans les premières zones franches de Shenzen que l‘économie chinoise a décollé. Ce n'est pas suffisant.

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La Chine s’est-elle matériellement développée grâce aux États-Unis ?

Les décisions protectionnistes du gouvernement de M. Trump à l’encontre de la Chine ont conduit les analystes et commentateurs à s’interroger sur les causes qui ont permis à la Chine de devenir le grand exportateur que l’on connaît aujourd’hui. On dit et répète que c’est grâce à l’ouverture du marché américain, au libre-échange et aux investissements occidentaux dans les premières zones franches de Shenzen que l‘économie chinoise a décollé. Ajouté à cela la pratique, en Chine, de rapports de production caractérisés, grâce à la dictature, de taux d’exploitation de la main d’œuvre au moins dix fois plus élevés que dans les pays capitalistes développés. La Chine allait donc devenir l’atelier du monde en exportant librement des produits pas cher vers des économies occidentales ouvertes qui, elles, en retour allaient perdre leurs industries.

Cela n’est pas suffisant. Pour au moins deux raisons essentielles.

  1. La capacité d’administration éprouvée du Parti communiste chinois

Les États-Unis avaient et ont pour voisin un grand pays qui pouvait jouer ce rôle : le Mexique. Des zones franches y ont été créées pour accueillir les firmes américaines bien avant, dès 1946, et les maquilladoras s’y sont multipliées par centaines à la frontière avec les États-Unis. La documentation montre que l’exploitation de la main d’œuvre y était, et reste, l’une des plus intensive du monde. Les États-Unis ont, par la suite, signé un accord de libre-échange qui ouvrait totalement le marché américain aux produits fabriqués au Mexique (Alena, 1994). Cela n’a pas suffi pour faire du Mexique un pays aussi puissant que la Chine. Il est plutôt gangrené par le trafic de drogue qu’on estime atteindre la moitié du PIB. Les firmes américaines s’en sont détournées pour investir plutôt en Chine. Bien que voisin des États-Unis, le Mexique n’a pu concurrencer les produits chinois qui venaient de 10.000 km plus loin.

Malgré une corruption endémique mais moins dévastatrice qu’au Mexique, la première raison du succès chinois est interne et tient à une gestion différente du pays par les autorités, marquée par une capacité d’administration éprouvée du Parti communiste chinois, alors qu’au Mexique les 70 ans de pouvoir (1930-2000) du Parti révolutionnaire institutionnaliste ont conduit au délitement complet de l’État.

  1. Une inconvertibilité du dollar qui permet d’acheter les produits chinois avec du papier

Ce n’est pas l’attractivité propre de la Chine qui en a fait un fournisseur des États-Unis. Ceux-ci, dans les années 1960, affaiblis par les contradictions internes liées aussi bien à la guerre du Viêt-Nam qu’à une crise de performance industrielle, creusent leur déficit commercial et, en 1971, décrètent l’inconvertibilité du dollar. Ils peuvent ainsi acheter avec du papier les produits étrangers. Au même moment, après bien des soubresauts, le système chinois aborde une transition qui conduit Deng Xiaoping au pouvoir.  Celui-ci lance en 1978 les quatre modernisations (dans les domaines de l'agriculture, de l'industrie, de la défense nationale, et de la science et de la technologie). En 1980, les premières zones économiques spéciales (Shenzhen, Zhuhai, Shantou, Xiamen) sont instituées: les entreprises étrangères sont autorisées à y investir avec une fiscalité allégée. C’est le début d’une grande aventure dynamisée par des importations américaines pour lesquels les États-Unis n’ont pas besoin de se procurer de moyens de paiement. C’est une bonne fortune pour les échanges extérieurs de la Chine et des États-Unis. Le résultat est aujourd’hui sous nos yeux.

Si, au début, les Chinois étaient friands de dollars qui ne coûtaient rien au gouvernement américain, leur puissance économique et politique d’aujourd’hui change la donne. Leur utilisation du yuan dans leurs relations internationales s’intensifie mais ils ne peuvent encore obliger personne à l’accepter comme moyen de paiement. Grâce à une puissance militaire américaine inégalée, le dollar reste roi. Qui refuserait un paiement en dollar ? Les États-Unis ont les moyens de punir les récalcitrants et ne s’en privent pas. Les Chinois, quant à eux, à travers des traités de libre-échange entre pays asiatiques et des programmes comme une ceinture et une route, cherchent à multiplier les accords avec des pays favorables à ce qui pourrait offrir une alternative au dollar et qui pourraient leur permettre de diminuer leurs besoins en dollars.

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