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Médecin, Professeur agrégé de cardiologie, enseignant à l'universitaire de Douala au Cameroun, Médecin des hôpitaux de France

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Billet de blog 5 janvier 2022

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SI J'ÉTAIS PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DU CAMEROUN...

Le Président de la République du Cameroun, dans son allocution de fin d'année 2021, a une fois de plus promis monts et merveilles à un peuple qui croupit dans une misère extrême. Dans un pays où l'universitaire est un pauvre type, les autorités et les médecins se soignent à l'étranger, les annonces présidentielles inquiètent depuis 40 ans.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le discours présidentiel du 31 décembre 2021 nous a, comme depuis bientôt 40 ans, apporté son lot d'espoirs et de désillusions. 

Des espoirs souvent battus en brèche par la dure réalité d'un quotidien désespérant pour plus de 95% de la population de ce pays pourtant très riche.

Il n'est point question de demander au Président de la république de lire un discours de vérité à lui écrit par ses gardiens du temple, au risque de créer une psychose généralisée qui finirait par avoir raison de l'incroyable résilience de ce peuple majoritairement Bantou. Bantou donc docile jusqu'à la déraison. 

Je peux donc admettre cet optimisme fallacieux distillé annuellement par le Président. Optimisme dont la rationnalité sur les questions sécuritaires auxquelles fait face notre pays est questionnable.

Je ne m'attarderais pas sur l'autosatisfaction de la gestion de la crise sanitaire ou le refus de tirer un constat d'échec de la gestion d'une CAN dont les péripéties abracadabrantesques auraient mis des centaines de personnes en prison dans un pays sérieux. Je laisse aux économistes le soins de nous rappeler que les chiffres de croissance annoncés par le Président ne sont vrais que dans l'imaginaire des *2% de rassasiés* qui narguent les *98% d'affamés* de ce pays.

Par contre, je ne peux ne pas analyser le discours présidentiel sur deux questions régaliennes que sont *l'ÉDUCATION et la SANTÉ .

UNE NATION SANS UNIVERSITÉS PERFORMANTES EST VOUÉE A NE PAS SE DÉVELOPPER

 *Si j'étais Président* de la république du Cameroun, je ne me serais pas risqué d'annoncer la création de 3 nouvelles universités sans avoir au préalable fait le bilan de celles ouvertes et dont le fonctionnement inquiète. Des dysfonctionnements essentiellement liés à l'absence de moyens financiers dont fait cruellement défaut l'État. Quel est donc cet état qui ne cesse de multiplier ses poches de dépense alors qu'il est en instance de dépôt de bilan?

A moins que l'ADN de la gouvernance du régime en place depuis 40 ans ait muté de "rigueur et moralisation" vers "chiffres et impunité" ; autrement dit, la *quantité sans la qualité* ni le contrôle de qualité de sa petite quantité négligeable.

Je tiens à rappeler aux auteurs du discours Présidentiel que je suis un enseignant universitaire qui réclame à l'Etat des primes de recherche de depuis 2016. Une maudique somme, un minuscule reliquat de 550 000 F cfa de primes que l'université n'est pas capable de me payer depuis...plus de 5 ans. Évidemment pas la faute au rectorat, mais à une politique en amont qui pond des décrets de création d'universités sans avoir de l'argent pour.

Les nombreuses grèves initiées par le syndicat des enseignants (SYNES) démontrent à suffisance que le mal est généralisé.

En créant de nouvelles fabriques de la déshumanisation des gardiens du savoir , le régime tente de tuer ce savoir. Pauperiser les enseignants pour mieux les contrôler. Les mettre au pas pour éviter une révolution de velours que seuls les vrais intellectuels peuvent porter. Le régime a appris de la révolution française de la fin du XVIII siècle. 

 *Si j'étais Président* de la République du Cameroun, je doterais les universités existantes des conditions modernes de travail : (1) de vrais amphithéâtres dotés de toutes les commodités pour un enseignement performant et humain, (2) de vrais laboratoires où il ne manque pas de l'eau ni l'électricité pour des travaux dirigés, (3) des bureaux pour que chaque enseignant se sente un peu digne à pouvoir se poser pour se reposer entre deux cours, (4) un salaire non pas de catéchiste, mais un bon salaire, comme l'enseignant Tchadien qui gagne plus de 2 fois le salaire d'un camerounais qui est de moins de 300 000 Fcfa pour un assistant.

 *Si j'étais Président* de la République du Cameroun, les responsables des universités seraient votés par leurs pairs et non nommés par moi . 

Un chef d'établissement ne peut pas (ne devrait pas) adopter la posture d'un demi-dieu (le Dieu étant moi le Président). Seuls les géomètres ont droit de cité dans le temple du savoir que devrait être l'université. *Un géomètre ne se comporte pas en demi-dieu* .

L'HÔPITAL CAMEROUNAIS : CE GRAND MALADE CHRONIQUE

L'annonce de la dotation de nos régions de centres hospitaliers de référence (ce qui suppose de performance), pour moi médecin de terrain, est un coup politique qui n'apportera qu'un bien-être relatif à quelques chanceux.

En effet, le système de gestion de ces nouveaux "bijoux" (je dirais architecturaux plus que fonctionnels) ne saurait ne pas emprunter les modes sinueux que tous les autres hôpitaux de référence déjà existant dans les deux grandes capitales que sont Yaoundé et Douala.

Le Centre Hospitalo-Universitaire de Yaoundé (CHU-Y)est fermé pour grands travaux qui coûteront des centaines de milliards aux contribuables. Jamais, dans aucun pays au monde, on n'a totalement fermé un centre hospitalier universitaire pour décrépitude avancée. On meurt à l'hôpital Central de Yaoundé (HCY) pour manque de couveuses ou déchiqueté comme un rat. On meurt à l'hôpital Laquintinie de Douala (HLD), Hôpital Général de Douala (HGD) ou ailleurs pour parfois des abcès à la fesse. Je ne parle pas des cas plus sérieux. On n'évacue à l'étranger les entorses du petit doigt de la main gauche d'un droitier alors que les hôpitaux de référence pilulent au pays. Même les médecins courent à l'étranger quand c'est chaud. On évacue les malades Covid à l'hôpital américain de Paris. Pourtant les bijoux d'Ebolowa, Bafoussam et Sangmelima sont à portée de ces privilégiés.

 *Si j'étais Président*  de la République du Cameroun, j'aurais pris les mesures suivantes: (1) aucun membre de mon gouvernement ne se soignerait désormais à l'étranger, mais dans nos hôpitaux de référence que je dissémine partout. Je serai un exemple en la matière. (2) Je ne nommerais plus les médecins aux postes lucratifs de directeurs d'hôpitaux. Le double inconvénient de ce choix politique étant la fragilisation du corps médical dont la ressource humaine experte est déjà rare; en plus d'une incompétence en management hospitalier de ces médecin-directeurs qui ne sont pas formés pour cela dans les facultés de médecine. (3) Je formerais donc des administrateurs hospitaliers pour une gestion plus professionnelle de l'hôpital. (4) Je ferais appliquer le principe qu'aucun hôpital public ne réceptionnera plus des équipements de fortunes (seconde main) facturés au prix du neuf. (5) Je révoquerais tous les dirigeants hospitaliers qui distraient l'argent prévu pour la maintenance des équipements, entretenant ainsi une perte de chance certaine aux malades obligés d'être transférés pour la réalisation d'examens pourtant disponibles à l'hôpital.

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