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L'ex-Président du Tchad Hissene Habré est décédé dans une prison Sénégalaise le 24 août 2021 de suite de la Covid-19. Il fut condamné à perpétuité pour crimes contre l'humanité perpétrés au cours de son interminable règne de 1982 à 1990, très loin des standards exigés à un chef d'État qui respecte son peuple. Cet ancien guerrier qui n'a connu que l'arme et les bataillons de guerre est considéré comme l'un des plus sanguinaires hommes d’États que le monde ait connu.
L'homme de la " piscine " (cette ancienne piscine de Ndjamena transformée en prison d'où aucun détenu politique n'en ressortait, sinon gravement mutilé), impitoyable avec ses opposants, emporte avec lui les secrets de sa folie meurtrière. Cette mort est un couteau retourné dans la plaie béante des familles tchadiennes toujours en attente d'un procès qui n'aura jamais lieu.
Hissene Habré n'est pas un cas isolé en Afrique.
Le monde regorge de dictateurs les uns plus cruels que les autres, aucun continent n’étant épargné par cette sélection naturelle de despotes « éclairés ». Un éclairage dont la durée n’a jamais excédée le temps d’un règne jonché de cadavres. L’Afrique n’est donc pas un cas isolé dans la production d’hommes d’Etats ayant confondu la servitude à leurs peuples aux sévices à eux infligés. Les Pinochet (Chili), Duvalier (Haiti), Mussolini (Italie) et autres virtuoses des bains de sang généralisés contre leurs peuples n’ont aucun complexe à avoir de leurs homologues africains. Mais tout de même, la densité de dictateurs dans ce continent qui a connu la traite négrière (et devrait donc être plus humaniste) donne des frissons : Sani Abacha au Nigéria, Samuel K. Doe, Charles Taylor et Prince Johnson au Libéria, Goukouni Weddeye, Hissene Habré et Idriss Deby au Tchad, Mobutu Seseseko au Zaïre (RDC), Omar Mbongo au Gabon, Omar Béchir au Soudan, Mohammar Khadafi en Lybie, Eyadema au Togo, Bokassa le faux empereur de Centrafrique...et bien d'autres dont plusieurs encore en fonction.
Ces dictateurs que nous aimons ou le syndrome de l’Africain
Le tour d'horizon des réseaux sociaux montre à en pleurer combien l'empathie à ses bourreaux de chefs d'États croque-morts est viscérale en Afrique. En effet, Facebook, WhatsApp et autres réseaux sociaux nous renseignent de la perception pathologique que nous avons des actes meurtriers de nos dirigeants. Ils sont presque adulés par les peuples qu'ils ont violemment opprimés. Tout au moins, Hissene Habré et ses homologues lucifériens bénéficient d’une excuse classique des africains : ils sont prisonniers de leurs maîtres occidentaux. La responsabilité quasi-exclusive des puissances occidentales est systématiquement opposée de manière pavlovienne par une vaste majorité d’africains. Le déni de responsabilité endogène des génocides perpétrés par les dictatures africaines s’explique par la sympathie quasi-mystique que les oppressés d’hier vouent à leurs bourreaux.
Lorsque vous vous étonnez des hommages post-mortem qui ne devraient être réservés qu’aux hommes normaux, les réseaux sociaux vous répondent à l’unisson « gouverner c’est très compliqué », « les blancs ont également leurs dictateurs », « on ne peut pas gouverner sans avoir les mains entachées de sang » ou « si un jour tu vois un chef d’Etat qui n’est pas assassin n’oublie pas de m’en parler ». A lire ou écouter les réseaux sociaux africains, la vie d’un innocent ôtée par un dictateur n’a pas plus de valeur que celle dudit oppresseur. Pire, ces victimes ne suscitent que de l’indifférence. Une telle anomalie comportementale qui relève de la fascination par la domination de l’agresseur (ici Hissene Habré et tous les dictateurs) renvoie au syndrome de Stockholm. Ce syndrome psychologique fut décrit par des psychanalystes dès 1932. Ce phénomène a connu ses lettres de noblesses en 1973 lors de la prise d’otages de Stockholm. Le monde scientifique fut étonné de l’empathie et de la contagion émotionnelle qu’avaient les otages pour leurs geôliers, alors qu’ils éprouvaient un sentiment de rejet envers leurs sauveurs (les policiers) accusés d’être la cause de leur drame.
En quoi le syndrome de l’Africain est distinct du syndrome de Stockholm ?
La différence entre le syndrome de Stockholm et le « syndrome de l’Africain » est que le premier concerne la victime directe de l’agresseur, dont le contact permanent avec son bourreau et l’emprise quotidienne qui en découle président la complexité de la dépendance psychologique/psychique d’avec son bourreau. A contrario, le « syndrome de l’Africain » concerne des personnes sensées avoir un détachement suffisant pour une analyse objective des évènements opposant les victimes et leurs agresseurs. En d’autres termes, les personnes souffrant du syndrome de l’Africain n’ont jamais été en contact direct avec l’oppresseur, bien que les conséquences des forfaitures impactent leurs conditions existentielles. L’icône du football africain Samuel Eto’o fils illustre bien cette fascination au mal. Par son soutien à une politique unanimement reconnue comme incapable de sortir des millions de camerounais de l’extrême pauvreté, il se rend coupable d’une complicité de forfaiture. Laquelle forfaiture prive des centaines de milliers de camerounais d’une double/multi-nationalité qui ne présente que des avantages socio-économiques. Il en paie lui-même le prix aujourd’hui avec le débat sur la validité de sa candidature pourtant salutaire au poste de président de la fédération camerounaise de football (FECAFOOT).
Une seconde différence fondamentale est la chronicité de l’accommodation de ces personnes souffrant du « syndrome de l’Africain » au bourreau. Trente années après les exactions d’Hissene Habré, des millions d’africains lui accordent toujours une sympathie imméritée. A contrario, dans le syndrome de Stockholm empathie au bourreau se manifeste davantage à la phase précoce post-évènement.
Cette banalisation du mal relève d’un héritage de notre passé d’esclave puis de colonisé. Le fouet et la mitraillette ont conditionné notre misérable vie d’opprimés. L’Afrique n’a jamais su faire une introspection de sa socialisation manquée, la violence comme socle de son affirmation existentielle. Comme l’a si bien dit un participant à une discussion dans un réseau social, « pour chercher à se libérer d’un esclavage, il faudrait d’abord être conscient qu’on est esclave. Ensuite vouloir se libérer ». Une psychothérapie collective s’impose en Afrique, au risque de rester esclave à jamais. Dès-lors, la première étape consistant à s’épancher sur la nature de la « compromission » de l’africain selon le journaliste engagé Burkinabé Norbert Zongo (« le sens d’un combat », in L’Indépendant, « Edito N° 00... du 03 Juin 1993).
Les niveaux de compromission régissant le syndrome de l’Africain
Ce journaliste assassiné (pour ses idées) le 13 décembre 1998 à Sapouy (Burkina Faso) écrit : « Les peuples comme les hommes finissent toujours par payer leurs compromissions politiques : avec des larmes parfois, du sang souvent, mais toujours dans la douleur ». Il est radicalement opposé à la déresponsabilisation des peuples africains dans la confiscation de leur droit à disposer de leur avenir. Il affirme que « Ces peuples, subjugués et gémissant sous la férule de tyrans militaires ont malheureusement leur part de responsabilité dans le drame qu’ils vivent ».
Norbert Zongo établi trois niveaux de compromission en Afrique :
Le 1er niveau est constitué d’intellectuels opportunistes qui se servent de leurs connaissances livresques pour aider les dictateurs à donner un contour idéologique et politique à leur tyrannie… Le tyran peut voler, tuer, emprisonner, torturer… il sera défendu, intellectuellement réhabilité par des « cerveaux » au nom de leurs propres intérêts. Résultat : la plupart de ces intellectuels finissent par s’exiler, ou sont froidement exécutés ou « se suicident » en prison. Les plus heureux sont ceux qui sont dépouillés de leurs biens et de leurs privilèges avant d’être jetés en pâture au peuple… Un tyran n’a pas d’amis éternels.
Le 2ème niveau est constitué par les opposants de circonstance. Ils se battent et entraînent des hommes sincères avec eux avant de rejoindre l’ennemi d’hier, avec armes et bagages, surtout avec la liste des opposants sincères. Résultat : ils bénéficient des grâces du tyran pendant quelques temps avant d’être éjectés, emprisonnés ou tués… Un dictateur n’a confiance en personne, surtout pas en un ancien opposant.
Le 3ème niveau est constitué des « indifférents ». Les « pourvu que », la pure race des égoïstes myopes (pourvu que mon salaire tombe, pourvu que je n’aie pas d’ennuis, pourvu que rien n’arrive à ma famille…). Ce 3ème niveau est représenté par une masse critique d’africains qu’aiment les tyrans : ils sont nombreux et inoffensifs. Ils votent en masse pour légitimer le mal infligé par ces despotes. Ils sont le vrai bouclier des dictateurs, promptes à défendre la cause desdits dictateurs et leurs bilans macabres.
Norbert Zongo a une sentence connue: « chaque peuple a le régime qu’il mérite ». Si les peuples africains méritent leurs tyrans peut-on conclure qu’ils les aiment? La réponse va de soi au regard de la déferlante des excuses à leurs bilans.