Dans le cadre de la riposte contre le coronavirus au Cameroun, une autorisation de mise sur le marché (AMM) a été accordée le 8 juillet 2021 à 4 produits issus de la pharmacopée traditionnelle camerounaise. Plusieurs pays africains ont consacré les produits de leurs recherches médicales dont l’utilisation a rarement dépassé les frontières nationales de chacun desdites décoctions. Ceci interroge tant les médicaments non-africains s’exportent dans tous les coins du monde dont en Afrique.
Une autorisation de complaisance ?
Les raisons qui ont justifié l’AMM ministérielle camerounaise étonnent par leurs incohérences et absence de rigueur intellectuelle. Morceaux choisis des arguments du ministre camerounais de la santé publique : « (…) l’autre critère qui a joué en la faveur de ces médicaments c’est leur longue utilisation au sein de la communauté. Pour que ces produits puissent accéder au stade de médicament, il faut pousser les études un peu plus loin, et nous encourageons les promoteurs dans ce sens », poursuit-il. Or Monseigneur Kleda et les autres inventeurs des « potions miracles » ne disent pas qu’ils sont à une étape intermédiaire de la démonstration de leur efficacité. Au contraire, ils clament soigner à des taux affolants, frisant les 100%. Ils n’ont jamais envisagé « pousser les études un peu plus loin ». « Pour dire que ces produits intègrent notre protocole de soins, il faut les avoir dispensés à un certain nombre de patients qui n’ont exclusivement pris que cela et qui ont eu les résultats. En l’état actuel des choses, nous ne pouvons pas prendre ce risque, parce que si on donne exclusivement ces produits aux patients et que le principe actif n’agit pas sur le COVID-19, on va dégrader leur état de santé et cela ne sera pas à notre avantage », a indiqué prudemment le ministre tout en rajoutant « tout ce qui ne tue pas peut être consommé dans le cadre de cette pandémie. Si ça peut donner une aisance psychologique et aider l’organisme à mieux combattre le virus, pourquoi ne pas le faire (…)».
Il me semble inquiétant de justifier la permissivité des conditions d’octroi des autorisations d’utilisations des produits à usage humain par la supposée innocuité desdites substances et la longue tradition de leurs utilisations. Le ministre Camerounais avoue que cette autorisation ne s’est appuyée sur aucune étude sérieuse (« Pour que ces produits puissent accéder au stade de médicament, il faut pousser les études un peu plus loin »). Je lui donne d’ailleurs raison lorsque qu’il confesse qu’« il faut les avoir dispensés à un certain nombre de patients qui n’ont exclusivement pris que cela et qui ont eu les (bons) résultats pour dire que ces produits intègrent notre protocole de soins». Dès-lors l’on comprend mieux pourquoi ces produits ont été relégués au rang d’adjuvants, c’est-à-dire de substances d’appui augmentant l’efficacité ou diminuant la toxicité d’un produit. En quelque sorte des seconds couteaux.
La recherche médicale : le doute indispensable ou le dogme religieux ?
A l’instar du Pr Didier Raoult en France, chercheurs tradipraticiens africains clament mordicus dans toutes les plateformes médiatiques (et non dans les revues scientifiques dédiées) soigner des dizaines de milliers de malades. Des chiffres avancés péremptoirement et dont la vérification sur des bases scientifiques est impossible. Et lorsque le professeur Marseillais s’est risqué de publier ses données, le monde scientifique s’est vite rendu compte de la falsification des chiffres avec retrait de malades dont l’évolution péjorative aurait battu en brèche le message optimiste servi au monde.
Les résultats scientifiques se défendent dans les revues scientifiques et non dans les médias. La médecine ne saurait s’accommoder du dogmatisme prôné par l’opinion publique et de nombreux médecins sans repères méthodologiques qui devraient être appris dans toutes les facultés de médecine de monde. La recherche médicale a des règles universelles et non cloisonnées. Il n’y a pas de méthodologie de recherche et de validation des résultats desdites recherches selon qu’on n’est blanc ou noir, africain ou d’ailleurs. Aucun médicament ou vaccin consommé dans le monde n’est mis sur le marché de quelque pays que ce soit sans le passage obligé de publications dans les revues scientifiques. Le processus de publication dans les revues sérieuses permet de valider les avancées médicales tout en fustigeant les arnaques.
Le brevet d’invention ou le refuge des paresseux
Le discours des inventeurs des décoctions africaines est assez similaire, s’appuyant sur les brevets d’invention pour justifier leur efficacité auto-proclamée.
Qu'est-ce qu'un brevet d'invention ? Le brevet consiste en un droit délivré par un État ou une institution internationale telle l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) à un inventeur, pour interdire à des tiers d'exploiter son invention par des moyens commerciaux durant un délai limité (généralement de 20 ans). Dès-lors, le brevet d’invention d'un traitement de la Covid-19 n'est que la preuve que la composition du principe actif appartient à un tel. En d’autres termes, il n’est point la preuve que son principe actif soigne l’infection à coronavirus. On comprend donc aisément que le rôle de l’OAPI n’est pas de délivrer des autorisations de mise sur le marché (AMM).
Extrapoler la valeur du brevet d’invention à la preuve d'efficacité ouvrant droit à l'AMM est un saut qualitatif scientifiquement malsain. Ce n’est ni plus ni moins que de la tromperie scientifique. Refuser de publier les résultats d’une recherche médicale rend tout simplement compte de son incapacité à être un vrai scientifique, car la science ne s’accommode pas du flou (« quand c’est flou c’est qu’il y a un loup »). Le Dr Marlyse Ndi Peyou, inventeuse de la décoction Ngul Be Tara déclara dans un duel avec moi le 05/08/2021 (qu’elle abandonna par KO technique) sur les antennes de Radio Equinoxe émettant depuis la ville de Douala (Cameroun): « si nous publions nos travaux, nous allons nous faire voler notre invention ». Quelle curiosité intellectuelle ! On n'est pas obligé de délivrer la composition exacte de son concept dans un rapport rendu public avant son brevetage. Une fois le brevet obtenu, la propriété intellectuelle protège contre toute usurpation potentielle. Si les millions d’inventions médicales annuelles refusaient de publier leurs travaux, serions-nous encore vivant ? Ô que NON!
Aucune AMM n’est délivrée dans le monde sans une publication des résultats du candidat-médicament…sauf au Cameroun et en Afrique.
La recherche scientifique africaine doit rentrer dans l'histoire civilisationnelle de notre village planétaire : une question de souveraineté de nos nations et de survie de nos peuples.