Claudy Siar est un homme de média de premier plan, excellent présentateur de plusieurs émissions dont la mythique « couleurs tropicales » sur radio France internationale (RFI). Il a eu le privilège d’être choisi comme présentateur du sommet Afrique-France du 08 octobre 2021 à Montpellier.
Au-delà de toutes les réticences de l’opinion publique africaine sur le bien-fondé de ce rendez-vous atypique, voire inutile, entre la France et ses éternelles colonies africaines ; une phrase de cet homme-clé de cette nouvelle approche de la Françafrique a attiré mon attention.
Cette phrase introduisant l’entrée magistrale du Président Emmanuel Macron résume le mal qu’ont certains africains à s’affranchir de leurs « maîtres » Français en particulier, de l’Occident en général. Ouvrez les yeux et lisez ceci : « Allez ! Nous sommes entre nous, soyons honnêtes : jamais un Président français n’était allé aussi loin dans sa volonté de donner la parole à l’Afrique par le biais de sa jeunesse ».
J’ai dû réécouter cette séquence plusieurs fois pour me rassurer de ne pas rêver. De la part d’un des plus engagés défenseurs de la souveraineté de l’Afrique, il y a de quoi être très inquiet. J’ai eu des larmes aux yeux en écoutant cet aveu de capitulation de certaines forces vives de l’émancipation africaine, des annoncés dignes successeurs des icônes de la lutte africaine à une réelle indépendance que sont les Camerounais Um Nyobè et Felix Moumié, le Ghanéen Nkwame Nkrumah, le Burkinabé Thomas Sankara, le Congolais Patrice Lumumba ou le Sud-Africain Nelson Mandela. La liste est loin d’être exhaustive.
Claudy Siar n’est pas un cas isolé dans cette affaire de Montpellier. L’universitaire Achille Mbembé et l’économiste Kako Nubukpo cristallisent eux aussi une dose d’incompréhension : quel intérêt à réunir des gamins sans aucune influence sur la gouvernance des autocrates africains pour expliquer au Président français que l’aide au développement des pays africains sous sa forme actuel participe au sous-développement du continent ? Quel impact ce spectacle, certes à louer sur le plan de la symbolique, aura véritablement en termes de mutation des réflexes grégaires des acteurs de la vampirisation des sociétés africaines ? Aucun ! Emmanuel Macron le sait et c’est d’ailleurs pour cela qu’il a organisé ce folklore. Pour preuve, il se contenta de renvoyer vers ses homologues africains pourtant absents du débat toutes les patates chaudes des très offensives élues africaines.
L’Afrique doit construire sa respectabilité
A propos de la phrase querellée de Claudy Siar, qui assume l’assujettissement de l’africain à son maître Français, le juriste Camerounais Richard Makon oppose le fait que « l’Afrique doit construire sa respectabilité ». Dans cette optique, l’Afrique ne saurait se satisfaire de la « volonté » d’un chef d’Etat d’un pays qui sans le pillage assumé de ses colonies ne serait qu’un nain européen. La France n’a pas à « donner la parole » à la jeunesse africaine autant que les chefs d’Etats africains ne donneront jamais la parole à la jeunesse française. Aucun peuple occidental ne donnerait d’ailleurs cette opportunité à ceux-là qui ne sont que leurs vassaux. Remercier Emmanuel Macron pour une « faveur » inédite dans les rapports Françafrique renvoie à une subordination émotionnelle du nègre vis-à-vis de son bourreau. Il est connu que certains nègres ont fini par trouver leurs négriers sympathiques. Claudy Siar trouve Mr Macron sympathique parce qu’il donne la parole à une jeunesse innocente bien que déterminée ; en même temps (macronien) qu’il fricote avec des octogénaires croulants qui n’ont jamais donné la parole à ladite jeunesse. Le Président Emmanuel Macron se comporte en véritable colon qui se croit légitime de « donner la parole » à une jeunesse qui n’est pas la sienne.
La légitimation subtile d’une forfaiture non-assumée
Pour légitimer cette indispensable (à la prospérité française) Françafrique des temps modernes, une Françafrique obligée de composer avec la grogne de l’Afrique qui veut le changement, quoi de plus subtile que de changer les acteurs traditionnels illégitimes (chefs d’états) par les « bons » enfants du continent ? Une jeunesse innocente, pleine de bonnes intentions mais dont la naïveté ne résistera point à la « realpolitik » des rapports « gagnants-perdants » qui fait le jeu de la France. Si même les intellectuels Achille Mbembé, Kako Nubukpo et Claudy Siar semblent si naïfs, que dire de cette jeunesse qui n’a fait qu’exprimer ce que nous lisons quotidiennement sur les réseaux sociaux ? La colonisation en mode 3.0 d’Emmanuel Macron passe par un nouveau profil d’intermédiaire. En bête politique et seigneur des joutes verbales où les vérités fusent « en toute sincérité et respect », le Président Macron a compris la nécessité de remplacer les « anciens blancs d’Afrique» que sont les dictateurs en place (« Ce continent qui est jeune est dirigé par trop de personnes qui sont devenues un peu trop vieilles et qui ont le pouvoir depuis très longtemps », dixit Emmanuel Macron) par les « nouveaux blancs d’Afrique » que sont certains leaders d’opinions instruits et influents. Une intelligentsia sans réel pouvoir décisionnaire mais à l’immense crédit de sympathie des peuples. Le pillage de l’Afrique pourra continuer sans entrave. Une autre façon de coloniser qui plairait bien à Eric Zemmour, obnubilé par un « déclassement » de la « vraie France » qui s’obstine à maintenir l’Afrique en état de suffocation chronique.