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Billet de blog 14 septembre 2016

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Le cul par terre

Il y a des jours où on en reste assis.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je roule sur le trottoir avec mon fauteuil électrique. Un Noir qui vient de traverser surgit entre deux voitures garées et stoppe net sur la bordure pour ne pas me barrer le chemin. Moi aussi j'ai stoppé net pour ne pas l'écraser (pas une galéjade, mon fauteuil et moi, on fait 200 kilos, et on n'est pas rapide mais ultrapuissant, un vrai tracteur). Un Noir avec bonnet à pompon, la quarantaine apparente, habillé pas riche du tout, je précise parce que vous verrez.

Je lui dis : «Après vous, Monsieur !», parce que j'ai de l'éducation. Il me répond du tac : «Ah non, Monsieur, c'est vous qui avez raison !»

Bon, que je me traduis in petto, avoir raison, avoir le droit, la priorité, j'arrête là les salamalecs et je passe donc non sans remercier. Pour m'arrêter exactement trois mètres plus loin, devant la boulangerie, parce que c'est là que je vais. Une seconde plus tard, le même monsieur est à côté de moi, et il s'arrête à nouveau lui aussi. «Vous allez à la boulangerie ? Je peux vous aider ? — Oui, mais non, ce n'est pas la peine, je ne peux pas entrer (il y a une marche, et on ne peut pas pousser ni incliner mon fauteuil électrique), la boulangère me connaît, elle va m'apporter mon pain. — Mais qu'est-ce que vous voulez, Monsieur ? Je vais vous le chercher.»

Je le sens tenace, et même si j'aime bien les trois phrases échangées avec ma boulangère (parfois plus de trois, on se connaît assez bien, en fait), je ne veux pas désobliger son désir de me rendre service. Un peu comme dans la blague de l'aveugle à qui les scouts font traverser et retraverser la rue dix fois de suite pour leur BA.

«Une baguette tradi», je réponds. Et j'ajoute, en fouillant ma petite sacoche : «Attendez une seconde, je vais vous donner l'argent. — Ah non, Monsieur, pas d'argent, s'il vous plaît. — Mais, Monsieur, je peux payer, je travaille, vous savez ! — Ah non, Monsieur, pas d'argent du tout, ce n'est pas possible...»

On est con, parfois, hein ? En tout cas le voilà qui entre dans la boulangerie, j'en suis encore à sortir mon porte-monnaie qu'il est déjà revenu avec la baguette tradi qu'il me met dans les mains et puis tourne les talons.

Désespéré, je l'appelle : «Monsieur ! Monsieur ! Au moins, ne partez pas sans me serrer la main !» Il fait demi-tour, revient vers moi, me tend sa main que je prends et là il me foudroie : «Monsieur, votre poignée de main, c'est un diamant dans mon cœur.»

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