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Billet de blog 16 octobre 2010

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Lycéens : quand les mots ne suffisent plus

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« Encapuchés » : le néologisme s’installe dans le paysage français aux côtés de la traditionnelle qualification de « casseurs ». Voilà bien des années que la presse et des autorités latino américaines nomment « encapuchados » ces silhouettes juvéniles anonymées qui dans les universités et les lycées, dans le monde entier, défient aujourd’hui les pouvoirs.

Silhouettes sans visage, silhouettes inquiétantes, symboles d’une menace sociale qu’on n’a pas besoin de nommer plus avant. Quand la presse reprend à l’envi le terme de « violences urbaines » pour identifier les échauffourées qui marquent les manifestations lycéennes, quand un syndicat de police va jusqu’à qualifier de « guérilla urbaine » les jets de projectiles, la scène est dressée.

Ce sont nos enfants

Mais penser, ou faire croire, que la violence qui émaille depuis plusieurs années toutes les mobilisations lycéennes viendrait de « l’extérieur », des « quartiers sensibles », qu’elle serait l’œuvre de délinquants ou de jeunes « connus des services de police », ce n’est pas seulement justifier la violence d’une répression qui s’abat sur des jeunes de 15 ou 16 ans. C’est aussi se rassurer à bon compte.

Certes, il y a bien ici ou là quelques « effets d’aubaine » et quelques petit braquages d’occasion. Mais l’essentiel n’est pas là. Quiconque a passé ces dernières années quelques heures devant un lycée bloqué et a assisté à l’inexorable montée de la tension avec la police vous le dira : ces terribles « casseurs », ces farouches « encapuchés » sont d’abord des jeunes ordinaires. Des jeunes ordinaires exaspérés. Nos enfants.

Du CPE à la réforme Darcos

N’ayons pas la mémoire courte. La mobilisation contre le contrat première embauche a d’abord été celle des étudiants qui ont initié d’autres modes d’action : blocage des facs, blocages des gares et des autoroutes. Mais tandis que le débat public se polarisait sur les affrontements entre les étudiants et une « autre jeunesse » lors de grands rassemblements revendicatifs, le regard s’est peu porté aux portes des lycées. Or, quelques mois à peine après les émeutes de 2005, devant des lycées bloqués, les affrontements n’ont pas été rares avec les forces de police. Des voitures, déjà, ont brûlé.

De janvier à avril 2008, la mobilisation lycéenne prend les mêmes formes. Le mouvement de décembre 2008 contre la réforme du lycée les prolonge et les met encore un peu plus en image grâce à l’usage généralisé de Youtube et dailymotion. Lyon, Villeneuve, Lille, Vannes, Sarcelles sont le théâtre d’affrontements parfois violents.

La décision gouvernementale de suspendre la réforme n’est pas étrangère à cette montée de la colère incontrôlée au moment où se déroulent en Grèce les émeutes à la suite de l’assassinat du jeune Alexis par un policier,. Les troubles se poursuivent néanmoins en janvier 2009, à Marseille, à Alès, à Nantes, à Lille, en Ile de France.

Les retraites comme catalyseur d’une révolte latente

Depuis début octobre, l’entrée des lycéens dans la mobilisation anti gouvernementale reprend très vite le chemin de l’affrontement. D’abord dans des petites villes de province : Angoulème, Firminy, Saint-Quentin les 7 et 8 octobre. Puis l’incendie touche la région parisienne et les grandes villes :Saint-Quentin,Saint-Maur le 11 octobre, Meaux le 12, Champigny, Brest, Sarcelles,Dijon le 13. Un premier pic est atteint les 14 et 15 octobre à Montreuil et Saint-Denis, Lens, Chambéry,Lyon,Nimes, Epinay , Les Mureaux et le Val d’Oise le 14, à Argenteuil, Lens, Enghien, Chambéry , Lyon, et le Val de Marne le 15.

Si toutes les manifestations lycéennes ne tournent pas au face à face brutal avec la police, la multiplication récurrente des échauffourées doit être prise très au sérieux. C’est à l’évidence le signe de l’exaspération durable d’une jeunesse à qui on ne tient plus qu’un discours disciplinaire.

Le mouvement lycéen qui s’organise, qui parle clair et défile avec les syndicats nous rassure. Le mouvement lycéen qui casse en silence nous inquiète. A juste titre : il y a des choses que nos enfants ne peuvent plus nous dire que de cette façon.

Le monde a mal à son avenir et il le fait payer à ceux qui en incarnent l’exigence. Les « encapuchés » risquent de se multiplier.

Alain Bertho

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