Quel symbole ! Le nouvel élu de la 2° circonscription de Seine Saint-Denis a voulu faire son entrée « à l’américaine ». C’est avec un groupe compact d’une quarantaine de partisans, de plusieurs caméras et d’un service d’ordre dissuasif qu’il rentre par l’escalier d’honneur et entreprend de traverser en force une salle des mariages archicomble et acquise à son adversaire. L’échauffourée qui a suivi était inévitable, visiblement recherchée. Il a fallu toute l’autorité du député sortant pour calmer les esprits. Un élu socialiste qui réussit à inaugurer son mandat en se faisant repousser aux cris de « résistance » : voilà qui augure mal de sa volonté de travailler pour des habitants qu’il a d’abord considérés depuis des semaines comme une opportunité de carrière.
Dans ce deuxième tour qui ne l’opposait qu’au député sortant Front de Gauche Patrick Braouezec, Mathieu Hanotin a été aspiré par la vague rose. Seule la ville de Saint-Denis, théâtre depuis quelques jours d’une mobilisation exceptionnelle en faveur de son adversaire, lui a résisté. De peu.
Devant des centaines de personnes réunis plus tard dans la soirée, Patrick Braouezec soulignait cet écart évident entre l’ampleur de la mobilisation des réseaux militants et associatifs et le résultat.
Cet écart n’est pas propre à Saint Denis, ni même à la France. La ferveur des foules réunies par Jean Luc Mélenchon lors de la présidentielle, comme celles réunies par Alexis Tsipras en Grèce n’ont pas fait bouger l’espace électoral comme elles auraient pu l’espérer. Comme si ce « retour de la politique » déjà sensible lors de la mobilisation pour le Non au référendum sur le traité constitutionnel en 2005, restait en partie hétérogène au processus électoral lui-même.
L’espoir de 2005 s’est achevé par la dispersion de la gauche radicale et la victoire de Nicolas Sarkozy. L’espoir suscité par la candidature de Jean Luc Mélenchon aboutit aujourd’hui à un échec électoral et une assez grande invisibilité politique dont l’élection de Saint-Denis est un exemple parmi d’autres.
Les bilans ne vont pas manquer de fleurir et les critiques à postériori de fuser. Pourtant, la récurrence des difficultés et leur caractère international nous suggèrent que ni la trop grande personnalisation autour de Jean Luc Mélenchon, ni l’âge des candidats du Front de Gauche aux Législatives, ni les manœuvres boutiquières du PCF ne permettent de les expliquer. Ce sont des symptômes plutôt que des causes.
Il se trouve que l’élection en ce début de siècle n’a plus le potentiel de politisation populaire et d’affirmation des identités collectives qu’elle a eu durant les deux siècles précédents. C’est vrai dans les vieilles démocraties comme dans les nouvelles : les soubresauts électoraux qui suivent le printemps arabe doivent nous faire réfléchir.
La posture gestionnaire des Etats dans la mondialisation financière décrédibilise les dynamiques antérieures de représentation populaire, cette utopie démocratique et électorale de la fusion du peuple et de l’Etat.
Le divorce est consommé. Seules des forces d’extrême droite, sur des bases xénophobes ou religieuses, sont encore porteuses d’un tel espoir de fusion, aujourd’hui dangereux pour la démocratie et la liberté.
Ce divorce est paradoxal. Car s’il alimente souvent l’abstention, on voit bien qu’il ne détermine pas un désintérêt de masse du processus électoral. Il en change complètement la subjectivité. Le vote instrumental et conjoncturel l’emporte à l’évidence sur le vote d’adhésion durable.
C’est un vote délégataire. Mais ce n’est plus un vote de représentation. Il y a quelque chose qui s’apparente à un processus de « désenchantement » de l’Etat et de ses urnes comme Max Weber parlait autrefois de "désenchantement du monde".
Bref, la politique comme construction d’une volonté collective, a déserté les scènes du pouvoir et son calendrier. Elle se cherche d’autres lieux pour se rendre visible et prendre de la force. Elle a, ces derniers mois, trouvé le chemin des places et des rues : Tahrir au Caire, Puerta del Sol à Madrid, Wall Street à New York, Place de l’indépendance à Dakar… C’est sans doute une alternative à la généralisation des émeutes sans espoir qu’on voit se développer depuis plusieurs années. C’est loin, pour l’instant, d’être une alternative durable aux formes politiques d’organisation et de mobilisation dont nous sommes en train de faire le deuil.
Les échéances viendront vite. On sait déjà que le plan de croissance proposé par Françoise Hollande (à hauteur de 120 milliard d’euros, à peine plus que pour sauver les banques espagnoles) doit être financé au moins pour la moitié par … des emprunts sur les marchés financiers ! Quand viendra l’heure annoncée de la rigueur, le PS disposera d’une majorité cohérente pour la justifier et la voter.
Comme aujourd’hui en Grèce, c’est alors dans la résistance à cet Etat gestionnaire des marchés que cette volonté collective devra se construire.