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Billet de blog 16 septembre 2023

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Répulsif

Dédoublement intérieur ou Réel dédoublé. Réel ou virtuel. La mort n'existe peut-être plus. La souffrance de l'autre est de l'autre côté d'un écran. Le tourisme, les loisirs, côtoient désormais les guerres. Ce qui n'empêche pas de manger au restaurant quand le monde crève de soif et de faim.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Paix de septembre © Alain Chellous

Avertissement aux lectorat infantile ou sénescent

Avertissement à propos de l'Avertissement®: ce dernier ne constitue pas le cœur de l'article. Il peut donc être zappé sans préjudice majeur pour votre lecture (passer alors directement sous la deuxième photo de l'article): les conséquences probables seront un gain notable de temps et pas plus d'incompréhension. Vous pouvez cependant lire l'Avertissement® qui succède immédiatement au paragraphe que vous lisez à l'instant. Cette lecture préalable à l'article présenté plus bas, intitulé "Répulsif", vous prendra de 2 à 200 minutes (selon la méthode de lecture que vous aurez choisie : Illettrée®, Laborieuse® ou Rapide®: notre conseil est de choisir la formule "Rapide®" ). Cette lecture préventive non indispensable vous apportera toutefois une certaine sérénité, vous faisant croire (à tort, il est vrai!) que votre prudence vous assurera une meilleure compréhension (induire cette fausse croyance est l'objectif principal assumé de l'Avertissement®). Voici l'Avertissement® proprement dit:

Avertissement® proprement dit:

Primo, le texte proposé ci-dessous n'a été validé ni par la rédaction du journal en ligne Médiapart qui ne peut être acheté que par ses lectrices et lecteurs, ni par notre Service de Contrôle des Rhétoriques Utilisées dans l'Interface MDPT / USDMHD (NDLR: Interface achetable par tout lobby, mais à prix élevé). Cette non-validation est expliquée par la bonne raison suivante: les démarches formelles de validation n'ont pas été effectuées, pour nécessité de publication en urgence. Ce texte n'a par ailleurs subi aucune correction ni proposition de correction ou modification, non pas du fait de l'excellence de son contenu et/ou de sa forme, bien évidemment, puisque les premiers retours du Comité de Lecture et de Censure aboutissent à la conclusion exactement contraire (texte impubliable en sa forme actuelle - vacuité du contenu - opacité déconcertante du propos).
D'autre part, ce texte, qui n'est pas spécialement drôle (le moins qu'on puisse dire), ne brille pas par sa scientificité: il ne cite quasiment pas ses sources, ne géolocalise pas l'expérience rapportée, ni ne rapporte les conditions exactes de l'expérimentation, fait preuve d'une subjectivité peu contextualisée, ne présente pas de bibliographie détaillée sur le sujet. Ainsi, il ne fait pas preuve du souci minimal indispensable ici, de ce qu'on pourrait qualifier "d'éthique de transparence". (NDLR: cette dernière formule, fort discutable, est contestée par notre Conseil de Sécurité Rhétorique, qui estime que la transparence est une qualité physique sans rapport de subordination (ou même d'un quelconque rapport d'association libre...) avec l'éthique, laquelle relève d'une pratique théorique incarnée, conjuguant donc biologie, philosophie d'une part, mais aussi individualité et collectivité, et encore échappe à toute catégorie délimitée ou même à toute définition statique finalisée, se rapprochant plutôt de la dynamique extra-disciplinaire 1).

Pour être carrément clair (ce que la "transparence" n'est pas forcément en pratique, bien au contraire, puisqu'elle est définie par son coefficient d'opacité qui ne peut être nul) et préciser les limites de la confiance que vous pourrez apportez à ce qui va suivre, si vous poursuivez votre effort de lecture, vous devez savoir que ce texte a été initialement unanimement refusé par notre Conseil Scientifique. Il ne doit sa publication en catastrophe, qu'aux menaces évidentes de son auteur de nuire à la réputation de notre institution (ou pire) en cas de refus de notre part d'accepter son texte. Menaces prises au sérieux, par la connaissance approfondie que nous avons de l'auteur. Il a donc paru préférable de lui céder, par calcul stratégique d'économie de temps et d'énergie mentale. Ceci ne constitue aucunement une faiblesse ou un déshonneur, mais atteste de notre maturité actuelle, d'une capacité à raisonner et décider, au-delà de toute considération de réputation ou crainte du qu'en dira-t-on. L'essentiel est de nous consacrer, encore et encore à nos travaux.

Illustration 2
Lac, reflet trompeur du réel © Alain Chellous

Voici ce texte, intitulé "Répulsif"

(Pourquoi ce titre? L'auteur a justifié son titre ainsi: "Répulsif indique l'effet produit sur votre comité de lecture, mais également les effets psychologiques des contrastes ressentis dans ces moments vécus réellement quoique subjectivement et qui comportent de fortes contradictions, répulsions. Ces vécus rapportent autant que des faits, des ressentis de répulsion, chez diverses catégories d'acteurs sociaux tragiques, et font l'objet d'une description implicite dans ce texte rédigé sans aide graphique ni orthographique". Ce titre n'étonnera pas ceux qui connaissent l'auteur qui est affecté de tendances paranoïaques et asociales.)

Septembre. Trois longs jours de marche au paradis. Près de la frontière du pays, là où prend également fin le massif qui nous est cher. Nuit passée en tente microscopique sur des matelas infâmes, abandonnés avec plaisir le matin car nous ne faisons pas de l'itinérance, nous marchons en "étoile". De la marche, ici, seuls nos pieds peuvent nous porter, même esquintés, déformés, un peu douloureux, ce qui fait l'objet d'une fixette hypochondriaque logorrhéique. Mais l'endroit écrase ces jérémiades, bonnes à épurer la pulsion plaintive traditionnelle, dont la fonction essentielle est d'apaiser l'excès de bonheur. Et d'exorciser la crainte de la fin finale.

La sauvagerie saute aux yeux, même ceux d'un bigleux. Fraicheur retrouvée, camping d'altitude, torrents encore vivants, pin cembro, mélèze, pelouses encadrant les dalles de gneiss rouges et grises, lacs miroirs. Rumeurs des torrents, aboiements de chevreuil, cris de rapaces aussi. Petites grenouilles, troupeaux guettés par le loup invisible. Ce mouvement général des lieux, l'air, le chant des ruisseaux, le silence des casses gigantesques de blocs innombrables, l'histoire géologique étalée devant, dessous, au-dessus, le monde impacte le corps, il est en nous. On marche en calculant l'ombre des pentes, celle des arbres, car et ceci jusqu'à la fin de nos jours, il faut fuir les chaleurs, la canicule, même en septembre. Et c'est une chance inouïe de fuir la ville, l'épuisement des nuits impossibles, jambes lourdes, vertiges, malaises, l'étouffoir. Le soleil tape fort là-haut, mais le vent sur les crêtes sauve la mise, au premier nuage, ou plus radical encore, l'assise dans le lac, l'hypothermie redevient une hypothèse crédible.

C'était mon introduction à ce compte rendu d'opération au pays des rêves. La scène suivante, seule, justifie sa transmission publique, entre tant de priorités.

Le séjour se termine avec la quatrième nuit, après les trois jours de marche. Des rêves de fin d'aventure agitent le sommeil, un imbroglio de pertes ou de deuils, le temps qui passe et marque le corps, et on bascule soudain dans des pentes invraisemblables.

A cinq heures du matin, réveil brutal: le crépitement d'une arme. Un tir de kalachnikov, à côté du camping? Un rêve? Deux personnes dans la tente ouvrent les yeux, n'osent qu'à peine parler: le son était réel, non? Deuxième rafale, puis troisième. Des chevreuils aboient loin.

Le silence revenu, la machine à raisonner tente d'éliminer les scénarios d'angoisse, l'irréel, l'invisible, un retour halluciné d'une mémoire de guerre transmise par je ne sais qui ou quoi. Peut-être était-ce une chasse au loup, des chasseurs à mitraillettes anticipant l'ouverture de la chasse, des éleveurs en guerre contre le prédateur, des braconniers fous furieux, ou tout autre chose, une machine, des travaux... mais quand même, en pleine nuit? On revient finalement au plus logique, plutôt qu'un commando de tueurs kamikazes perdus dans la montagne pour massacrer des campeurs en fin de saison: un exercice militaire, c'est sûrement ça, rien d'autre. Mais quand même, sans prévenir, les touristes, il y a des enfants, et si on marche de nuit, que se passe-t-il? Qu'en pensent ces touristes friqués dans des camping-car démesurés luxueux, qui jouent les aventuriers en trimballant leur maison nourrie au pétrole sur des milliers de kilomètres pour faire du camping "nature" et frugal, juste à côté?

Le sommeil revient. Puis, après d'autres rêves, une pétarade lointaine, bien nourrie cette fois, ça répond, et aussi des coups plus sourds, secs: l'hypothèse se consolide avec le jour naissant. Le silence revient.

Comme prévu, on se lève au grand jour, on quitte le paradis, retour à la grande ville. Sur la route étroite qui descend la vallée, on tombe sur des guerriers, des jeunes balaises en tenue de camouflage, armés, dégaines à l'Ukrainienne ou Russe mais c'est l'armée Française évidemment. On dirait un jeu ici, ils font quand même un peu peur, une vibration de mort dans les pierriers. Plus loin, encore des militaires, un hélico dans le ciel. Et puis, juste après, la route descend d'un coup vers le chef-lieu, un rayon de soleil, cette fois, on part vraiment. C'était si beau, ces trois jours.

Mais juste après, on passe un virage en épingle à cheveux, et soudain, ils sont quatre devant nous. Maigres, un cabas à la main, tellement visibles, nom de Dieu. Tellement évidents, la couleur de peau, des baskets minables, pantalons usés, un commando désarmé de fuyards qui marchent, pressés, sans parler. On les dépasse en voiture, je jette un œil, ne sais que faire, regard croisés, je lis la peur, peut-être la mienne, on est déjà passé, ça bouillonne dans ma tête. S'ils ont dormi dans la montagne ou débarqué ici avant l'aube (vu l'heure précoce, ils n'ont pu venir ce matin d'Italie, trop lointaine de cette montagne, pas mal d'heure de marche) ils ont forcément entendu les tirs. Ont-ils croisés les militaires?

Quand plus tard, après un arrêt au village pour ce café, luxe de touristes pas pressés, nous les avons de nouveau dépassés, nous nous sommes arrêtés. Tenter de parler, proposer un contact, une aide, à ces Africains. Aucune langue commune avec eux, on comprend qu'il sont "sudanese", ce qui signifie qu'ils fuient la guerre. Ont-ils entendu les mitraillettes cette nuit, croisé ces soldats, compris que ce n'était qu'une guerre pour de faux, qui se fichait d'eux. Ou bien ont-ils reconnu l'écho des balles qui tuent, là-bas ou ailleurs, la mort qui les poursuit? Ont-ils vu des commandos venus jusqu'ici pour les reprendre?

On a embarqué les deux plus jeunes des quatre. Gestes, téléphones et connexions croisées, on a trouvé leur destination prévue, et aucun contrôle de police. J'étais inquiet sur la route, l'identification aurait été immédiate par les gendarmes nombreux ici, avec les renforts récents de la "border force" 2.Je me suis collé derrière un maudit camping-car luxe, dont l'opacité m'aurait caché un temps de gendarmes postés sur la route: peut-être auraient-ils été distraits, on aurait passé le contrôle avant toute réaction? J'avais si  peur de les amener tranquillement dans la gueule du loup, après avoir insisté pour les aider, eux qui n'avaient rien demandé. Je les aurai vus arrêtés, pour être renvoyés direct en Italie (illégalement), sans rien faire? Vivre la honte d'une arrestation et l'impuissance face à la force publique.

A destination, des tentes agglutinées à côté de la paroisse: la maison qui accueillait depuis des années a fermé cet été, débordée, les bénévoles hyper-engagés épuisés, la préfecture ne répondait pas aux alertes incessantes pour un accueil digne organisé par l'état. Des communautés d'exilé.es, sont entassées ici, venues d'autres montagnes peut-être, en guerre réelles celles-ci, maintenant débarquées dans les hauts lieux des loisirs de montagne, elles croiseront bientôt les skieurs débarqués de leurs SUV pour consommer sans compter dans la grosse station des Hautes Alpes.

Nous avons échangé une poignée de main, courte rencontre entre nos deux planètes, ils ont été engloutis dans la foule auprès des tentes. Cette fois, c'est sûr, on est redescendu sur terre, mais quelle terre?

J'espère que leurs deux compagnons d'exil ont trouvé un autre transporteur, capable de (ou chanceux pour) éviter un de ces maudits contrôles.

Illustration 3
En zone d'exercice militaire sans y penser © Alain Chellous

Notes:

1  En vérité, le sens du mot "éthique" nous échappe largement. Pas une raison pour ne pas le placer aussi souvent que possible.

2 Voir le communiqué de l'ANAFE sur le site ROYA Citoyenne sur la borderforce

Compléments:

- On peut lire sur la juxtaposition du tourisme alpin et des migrants, le texte de Michel Depinoy ici (les-migrant et les vacanciers à la montagne. https://blogs.mediapart.fr/pierre-michel-depinoy/blog/170823/les-migrants-et-les-vacanciers-la-montagne

- Et sur le problème des mondes qui se rencontrent, des récits de passages de frontière, cette conférence de Didier Fassin au Collège de France, sur "les épreuves de la frontière" exposant trois versions d'un même événement ici.

- Sur la vitalité géologique, par extension large du propos, une lecture riche et calme: "Quand les montagnes dansent" de Olivier Remaud (Actes Sud) (publicité gratuite)

- Quant aux actualités de l'USDMHD, elles ne sont pas à jour, du fait d'un cumul de charges notables, observée depuis quelques années et aggravées en période de rentrée. On peut cependant trouver un Compte Rendu (évolutif, travaux en court) en trois parties-pages sur les trois jours en question ici:

- Microbassine

- Danse

- Guerre

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