Le Britannique Keir Starmer est déjà en train de se dédire de sa propre déclaration réticente. Le seul espoir de changement est à chercher dans la logique des conséquences imprévues.
Par Jonathan Cook, le 26 septembre 2025
Traduction Alain Marshal
La reconnaissance à contrecœur de l’État palestinien par la Grande-Bretagne, la France, l’Australie et le Canada cette semaine est une imposture : c'est précisément le même stratagème qui empêche depuis trois décennies la création d’un État palestinien.
Imaginez que ces quatre grandes puissances occidentales aient reconnu la Palestine non pas à la fin de 2025, alors que la Palestine est en voie d’éradication, mais à la fin des années 1990, durant une période censée être consacrée à la construction de l’État palestinien.
C’est alors que furent signés les accords d’Oslo avec l’appui de l’Occident. L’Autorité palestinienne fut établie sous la direction de Yasser Arafat, avec pour objectif apparent qu’Israël se retire progressivement des territoires qu’il continue d’occuper à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem-Est, et commence à administrer un État palestinien naissant.
À l’insistance d’Israël, notons-le, les accords d’Oslo évitèrent soigneusement toute mention de l’issue finale de ce processus. Pourtant, le discours des responsables politiques et des médias occidentaux était le même : ce processus devait mener à un État palestinien vivant en paix aux côtés d’Israël.
Avec le recul, il est aisé de comprendre pourquoi cela n’a pas eu lieu, même lorsque cela paraissait encore possible.
Le dirigeant israélien de l’époque, Yitzhak Rabin, déclara devant le Parlement israélien que sa vision n’était pas celle d’un État, mais d’« une entité qui est moins qu’un État » : une pseudo-autorité palestinienne locale, entièrement dépendante de son puissant voisin, Israël, pour sa sécurité et sa survie économique.
Après l’assassinat de Rabin par un extrémiste israélien, son successeur, Benjamin Netanyahou, fut porté au pouvoir par une majorité de la population israélienne avec pour mandat de mettre un terme au processus d’Oslo.
Il a multiplié les reniements sur ses engagements de retirer soldats israéliens et milices de colons de Cisjordanie occupée. En réalité, durant cette période censée être celle de la « paix », Israël a colonisé les terres palestiniennes à un rythme inédit.
En 2001, alors dans l’opposition, Netanyahu fut filmé en secret, expliquant comment il avait orchestré ce retournement.
Il expliqua avoir conservé le territoire palestinien, en violation des accords d’Oslo, en imposant « ma propre interprétation des accords », de sorte que de vastes zones puissent continuer à être désignées comme « zones de sécurité ». Il ajouta : « J’ai mis un terme à l’application des accords d’Oslo. »
Interrogé sur l’absence de réaction des puissances occidentales, il répondit : « Les Etats-Unis sont un pays que l’on peut facilement manœuvrer et orienter dans la bonne direction. »
Saboter la paix
Concrètement, depuis la fin effective du processus d’Oslo quelques années plus tard, s’est succédé une série d’initiatives présidentielles américaines de moins en moins favorables aux Palestiniens.
En 2000, les sommets de Camp David organisés par Bill Clinton entre dirigeants israéliens et palestiniens échouèrent à établir ne serait-ce qu’un État palestinien minimaliste, Israël ayant refusé de l'accepter.
La Feuille de route pour la paix de George W. Bush en 2003 tenta, sans grande conviction, de ressusciter l’État palestinien, mais elle fut bloquée par l’acceptation par Washington de 14 « conditions préalables » israéliennes impossibles à remplir, dont la poursuite de l’expansion coloniale.
Barack Obama arriva au pouvoir avec une vision ambitieuse de paix, rapidement anéantie par le refus d’Israël de mettre fin à l’expansion de ses colonies illégales et au vol de nouvelles terres en Cisjordanie indispensables à la création d’un État palestinien.
Le plan largement médiatisé de Donald Trump en 2020, présenté comme « l’accord du siècle » – et élaboré sans consultation de la direction palestinienne – maquilla l’annexion d’une grande partie de la Cisjordanie en « création » d’un État palestinien.
L’équipe de Trump envisagea aussi un projet visant à « inciter » économiquement – dans l’interprétation la plus charitable – les Palestiniens de Gaza à se réinstaller dans le désert du Sinaï, en Égypte.
En réalité, ces deux décennies perdues, pendant lesquelles Israël a continué de brutaliser les Palestiniens et de s’emparer de leurs terres, n’ont pas produit la paix, mais accru la résistance palestinienne, culminant avec la percée d’une journée du Hamas hors de Gaza, le 7 octobre 2023.
La réponse d’Israël fut un génocide à Gaza – auquel Joe Biden s’associa activement dès le premier jour, en envoyant des bombes pour raser l’enclave et en offrant une couverture diplomatique. Dans le même temps, Israël a accéléré sans entrave son annexion de facto de la Cisjordanie.
La dernière « contribution » de Trump fut de dévoiler un « plan pour la Riviera de Gaza », dans lequel les survivants parmi les 2,3 millions de Palestiniens y résidant seraient « nettoyés », et l’enclave reconstruite avec l’argent du Golfe pour en faire un terrain de jeu destiné aux riches.
Selon des révélations publiées cette semaine au sujet d’une version édulcorée du plan, Tony Blair – le criminel de guerre qui supervisa, aux côtés de George W. Bush, la destruction de l’Irak il y a vingt ans – pourrait être nommé « gouverneur » effectif d’une Gaza en ruines.
Vidées de leur substance
Alors pourquoi, après 30 ans de complot occidental visant à éradiquer lentement la Palestine – un État depuis longtemps reconnu par le reste du monde –, plusieurs capitales occidentales ont-elles choisi aujourd’hui de rompre avec les États-Unis et de reconnaître l’État palestinien ?
La réponse courte est que cette reconnaissance n’a désormais pratiquement aucun coût.
Comme à son habitude, le Premier ministre britannique Keir Starmer a fait cette annonce tout en sabordant son propre acte de reconnaissance, en dictant quel type d’État la Palestine devait être.
Non pas un État souverain, dans lequel le peuple palestinien prendrait ses propres décisions, mais un État qui rappelle l’« entité moins qu’un État » décrite par Rabin.
Starmer a insisté sur le fait que le Hamas – le gouvernement élu de Gaza et l’une des deux principales factions politiques palestiniennes – ne pourrait en aucun cas jouer un rôle dans la gestion de cet État. Bien entendu, l’État palestinien ne disposerait pas non plus d’armée pour se défendre contre l’État génocidaire voisin.
Un article publié cette semaine dans le Telegraph révèle que, même après la reconnaissance officielle, Starmer continue d’imposer de nouvelles conditions destinées à vider sa déclaration de tout contenu. Parmi celles-ci figurent :
l’exigence de nouvelles élections palestiniennes – élections qui ne peuvent avoir lieu qu’avec l’autorisation d’Israël, qu’il ne donnera pas ;
une refonte de tout nationalisme palestinien latent auquel Israël s’oppose dans le système éducatif palestinien, alors même que le système éducatif israélien est depuis longtemps imprégné d’incitations génocidaires ;
l’interdiction faite à l’Autorité palestinienne d’indemniser les familles de toute personne qu’Israël déclare « terroriste » – ce qui couvre pratiquement tous les Palestiniens tués ou emprisonnés par Israël.
En d’autres termes, l’« État » palestinien « reconnu » par Starmer est conçu comme la même entité factice et totalement dépendante qu’Israël torture depuis 30 ans.
Cela a toujours été la « vision » occidentale de la solution à deux États.
« Récompense pour le terrorisme »
Mais la vérité plus profonde que cherche à occulter la reconnaissance de Starmer, c’est que si aucun territoire palestinien n’existe plus – Gaza rasée et sa population morte ou expulsée, et la Cisjordanie annexée – la question de l’État devient sans objet.
C’est ce qu’entendent les médias lorsqu’ils affirment que la reconnaissance est avant tout « symbolique ». Starmer et d’autres la considèrent comme rien de plus qu’un blâme rétrospectif adressé à Israël pour n’avoir pas joué le jeu.
C’est un exercice sans coût, car même si Israël feint l’indignation face à une reconnaissance qu’il présente comme une « récompense pour le terrorisme », lui et son protecteur à Washington savent qu’il n’y a en réalité rien de concret en jeu.
Si l’administration Trump s’était opposée avec véhémence à une reconnaissance même symbolique – comme l’avaient apparemment fait les administrations précédentes, à l’époque où la création d’un État palestinien pouvait sembler réalisable –, qui peut sérieusement imaginer que Starmer, [Macron] ou le Canadien Mark Carney auraient osé sortir du rang ?
En outre, la reconnaissance envoie un message totalement fallacieux à leurs propres opinions publiques, leur laissant croire que ces capitales occidentales « font quelque chose » pour les Palestiniens. Qu’elles s’opposent à Israël et, derrière lui, aux États-Unis.
Starmer est particulièrement soucieux de diffuser un tel message alors qu’il s’apprête à affronter la conférence annuelle du Parti travailliste, deux ans après le début d’un génocide qu’il a ouvertement soutenu.
La reconnaissance est un immense exercice de diversion, une opération de blanchiment d’image, qui passe sous silence la réalité fondamentale : en dehors de cet acte « symbolique », ces États occidentaux continuent d’armer Israël, de former des soldats israéliens, de fournir des renseignements à Israël, de commercer avec lui et de lui apporter un soutien diplomatique.
Starmer accueille toujours aussi chaleureusement à Downing Street le président israélien, Yitzhak Herzog, qui, dès le début du massacre à Gaza, avait fourni la justification centrale du génocide en affirmant que personne à Gaza – pas même son million d’enfants – n’était innocent.
Non seulement la reconnaissance de la Palestine n’améliorera en rien la situation des Palestiniens, mais elle n’imposera aucun changement de comportement à Israël ni à ses protecteurs occidentaux. Tout continuera comme avant.
Complicité dans l’occupation
Mais il existe une dernière raison pour laquelle certains gouvernements occidentaux élèvent aujourd’hui la voix en faveur de la création d’un État palestinien : sauver leur propre peau.
Contrairement à Washington, qui traite avec un mépris affiché le droit international et les tribunaux internationaux chargés de le faire respecter, nombre d’alliés des États-Unis craignent leur propre vulnérabilité.
À la différence des États-Unis, ils ont ratifié la Convention sur le génocide et relèvent de la juridiction de la Cour pénale internationale de La Haye, qui peut juger leurs responsables pour complicité de crimes de guerre.
Ce mois-ci a été marqué non seulement par la reconnaissance de la Palestine par la Grande-Bretagne, la France, le Canada, l’Australie, la Belgique, le Portugal et une poignée de petits États.
Beaucoup moins remarqué, le 18 septembre marquait la date limite fixée par l’Assemblée générale des Nations unies pour qu’Israël se conforme à une décision rendue l’an dernier par la Cour internationale de justice, lui enjoignant de mettre fin à sa « présence illégale » dans les territoires occupés.
Israël ne se contente pas de bafouer cette résolution – tentative de la communauté internationale de mettre en œuvre la décision de la Cour. Au cours de l’année écoulée, il a suivi exactement la direction inverse : intensifiant la destruction et le nettoyage ethnique de Gaza, et se préparant à annexer la Cisjordanie.
Indépendamment de la question du génocide, la résolution de l’ONU exige également des États qu’ils cessent tout transfert d’armes vers Israël et appliquent des sanctions tant que l’occupation n’aura pas pris fin.
La Grande-Bretagne et d’autres espèrent sans doute pouvoir truquer les faits pour soutenir qu’ils n’avaient pas compris qu’il y avait un génocide à Gaza avant qu’il ne soit pratiquement achevé – c’est-à-dire dans un an ou deux, lorsque la CIJ rendra sa décision.
Mais ils ne peuvent pas avancer le même argument – « nous ne savions pas » – au sujet de l’arrêt de la Cour internationale de justice sur l’illégalité de l’occupation.
Il va presque sans dire que mettre fin à l’occupation des territoires palestiniens est l’envers de la création d’un État palestinien. Les deux vont de pair.
La Grande-Bretagne et les autres pays ont besoin d’un alibi – aussi fragile soit-il – pour prétendre respecter la décision de la CIJ et ne pas se rendre complices de l’occupation, alors même que leurs actes démontrent exactement l’inverse.
Non seulement ils contribuent à soutenir le génocide à Gaza, mais leurs relations commerciales, leurs ventes d’armes, leur partage de renseignements et leurs manœuvres diplomatiques sont également essentiels au maintien de l’occupation illégale d’Israël.

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Statut de paria
S’il est possible de tirer un mince espoir de la reconnaissance, à contrecœur, de l’État palestinien par ces États occidentaux, il réside dans la logique des « conséquences imprévues ».
Cette reconnaissance pourrait contraindre leurs dirigeants à des acrobaties linguistiques et juridiques si extrêmes qu’ils en ressortiraient encore plus discrédités aux yeux de leur opinion publique, tandis que la pression pour un changement véritable s’intensifierait inexorablement.
Dans tous les cas, le statut de paria d’Israël, qui ne cesse de s'aggraver, semble désormais inéluctable.
Mais il ne faut pas croire un instant Starmer, Macron, Carney et les autres sur parole. Si leur objectif réel était la création d’un État palestinien « viable », ces dirigeants auraient déjà imposé à Israël des sanctions et un isolement diplomatique.
Ils boycotteraient les visites de responsables israéliens au lieu de les accueillir. Ils s’engageraient à faire appliquer le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale visant Netanyahu, au lieu de lui permettre, comme l’a fait la France en juillet, d’utiliser son espace aérien pour se rendre aux États-Unis.
Ils ne détourneraient pas les yeux face aux attaques répétées d’Israël contre les flottilles d’aide à destination de Gaza en haute mer. Au contraire, comme l’Espagne et l’Italie, ils chercheraient a minima à protéger leurs propres citoyens. Mieux encore, ils auraient déjà déployé leurs propres flottes navales pour acheminer de la nourriture à la population affamée de Gaza.
Ils établiraient un parallèle avec la Russie – imposant à Israël un embargo commercial, mettant fin à ses privilèges économiques, comme l’ont fait les multiples séries de sanctions de l’UE contre Moscou.
Au lieu de cela, ils continuent d’aider Israël alors qu’il rase les derniers bâtiments de Gaza, affame sa population et procède à un nettoyage ethnique.
Ne croyez pas un mot de ce que racontent Starmer et les autres. Il y a autant de chances que la reconnaissance de la Palestine atténue leur complicité dans les crimes d’Israël que le processus de « paix » d’Oslo – célébré par leurs prédécesseurs – l’a fait il y a une génération.
En réalité, tout indique que, comme avec Oslo, Israël utilisera cette dernière « concession » occidentale aux Palestiniens comme prétexte pour étendre et intensifier ses atrocités, avec la bénédiction de Washington. On rapporte déjà qu’Israël a fermé le principal point de passage reliant la Jordanie à la Cisjordanie, afin d’étouffer davantage le peu d’aide qui parvient à Gaza et d’accentuer l’isolement de la Cisjordanie.
Starmer, Macron et les autres sont des criminels de guerre qui, dans un monde véritablement juste – où le droit international aurait force contraignante –, seraient déjà sur le banc des accusés. Leurs manœuvres actuelles ne doivent en aucun cas leur permettre d’échapper à leurs responsabilités.
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