L'analyse de l'attaque de Téhéran par les services de renseignement suggère que les défenses antimissiles israéliennes tant vantées ne sont pas invulnérables.
Par Andrew Roth, correspondant à Jérusalem
The Guardian, 5 octobre 2024
Traduction Alain Marshal
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La base aérienne de Nevatim a été touchée à plusieurs reprises par des missiles iraniens. (Photo : Planet Labs Inc/Reuters)
À la suite de l'attaque iranienne contre Israël dans la nuit de mardi à mercredi, les autorités israéliennes ont déclaré que leurs défenses avaient tenu bon. L'armée israélienne a affirmé que l'Iran avait lancé plus de 180 missiles, mais peu d'informations ont été divulguées concernant les dégâts. Le conseiller américain à la sécurité nationale, Jake Sullivan, a affirmé que l'attaque « semble avoir été repoussée et inefficace ».
Cependant, alors qu'Israël se prépare à riposter, des analystes estiment que ces premiers rapports pourraient avoir été trompeurs et que cela pourrait modifier le calcul d'Israël, notamment s'il craint un affrontement prolongé de type « ping-pong de missiles » avec l'Iran, surtout si Téhéran choisit des cibles plus faciles à atteindre à l'avenir.
Des images satellites et des vidéos partagées sur les réseaux sociaux montrent des missiles frappant l'un après l'autre la base aérienne de Nevatim dans le désert du Néguev, provoquant au moins quelques explosions secondaires. Cela indique que, malgré l'efficacité vantée des systèmes de défense aérienne israéliens comme le Dôme de fer et Arrow, les frappes iraniennes ont été plus efficaces que ce qui a été admis jusqu'ici.
Les experts ayant examiné ces images ont identifié au moins 32 frappes directes sur la base aérienne. Bien qu'aucune ne semble avoir causé de dommages majeurs, certaines ont atterri à proximité des hangars abritant les F-35 israéliens, l'un des atouts militaires les plus précieux du pays.
🇮🇱🇮🇷 15 minutes Iranian missiles hitting Israel … supercut pic.twitter.com/OABH2cWfb4
— Lord Bebo (@MyLordBebo) October 1, 2024
Même si ces missiles n'ont apparemment pas touché d'avions au sol, ils pourraient s'avérer mortels s'ils visaient une ville comme Tel-Aviv, ou des cibles stratégiques comme les raffineries de Bazan près de Haïfa, ce qui pourrait provoquer un désastre écologique à proximité d'une grande ville israélienne.
« L'essentiel est que l'Iran a prouvé qu'il pouvait frapper Israël durement s'il le souhaitait », a écrit Decker Eveleth, analyste au sein du groupe de recherche et d'analyse CNA, qui a examiné les images satellites pour un blog. « Les bases aériennes sont des cibles difficiles, et leur attaque est peu susceptible de faire beaucoup de victimes. Mais si l'Iran choisissait une cible différente, comme une base de Tsahal avec une forte concentration de troupes terrestres, ou une cible située dans une zone civile, le résultat d'une frappe de missile serait bien plus meurtrier. »
Un autre problème pour Israël est le coût économique d'un conflit prolongé avec l'Iran. Les stocks israéliens de défense aérienne sont à la fois coûteux et limités, ce qui pourrait rendre le pays plus vulnérable aux frappes iraniennes à mesure que le conflit s'intensifierait.
« Israël semble s'être publiquement engagé à frapper l'Iran, et il est probable que ce ne soit pas la dernière fois que nous assistions à des échanges de missiles », a écrit Eveleth. « Je crains qu'à long terme, Israël pourrait ne pas être en mesure de soutenir un tel échange s'il dégénère en conflit prolongé. »
Sur le long terme, Israël pourrait viser les infrastructures de production des missiles iraniens pour stopper ces attaques. Le Premier ministre Benjamin Netanyahou a longtemps considéré le programme de missiles balistiques de l'Iran aussi dangereux pour Israël que son programme nucléaire.
La riposte israélienne semble imminente. Selon Ynet, le général Michael Kurilla, commandant du Centcom américain, est attendu en Israël dans la journée. Le président Joe Biden et son conseiller en sécurité, Jake Sullivan, ont déclaré qu'ils seraient en consultations directes avec Israël sur sa réponse militaire. Des sources israéliennes ont informé les médias que la riposte pourrait avoir lieu juste avant ou après l'anniversaire des attaques du Hamas, le 7 octobre.
Les cibles envisagées incluent des sites militaires iraniens, des installations du Corps des gardiens de la révolution islamique ou des infrastructures énergétiques comme des raffineries de pétrole, qui pourraient entrainer des frappes similaires contre Israël. Il existe également l'option d'une frappe directe contre le programme nucléaire iranien, une « ligne rouge" » pour Téhéran, que Biden a mis en garde Netanyahou de ne pas franchir.
« Il est difficile d'imaginer qu'Israël se contente d'une attaque symbolique et limitée, car c'est ce qu'il a fait en avril, et Israël devrait maintenant frapper avec une intensité d'un ou plusieurs degrés supérieure à celle d'avril », a déclaré Ali Vaez, directeur du projet Iran à l'ONG Crisis Group, lors d'un épisode récent du podcast de l'organisation Hold Your Fire.
Il a mis en garde contre un « ping-pong de missiles balistiques entre Israël et l'Iran, qui pourrait à tout moment dégénérer, causer des victimes en Israël qui entraîneraient une nouvelle escalade, et ainsi provoquer l'intervention des États-Unis », ce qui provoquerait des représailles de l'Iran et de ses alliés contre les forces et bases américaines dans la région.
Lors de l'attaque, selon Vaez, l'Iran a « utilisé ses armes les plus avancées, et il dispose d'un stock suffisant pour continuer ainsi pendant des mois. Ce serait le monde dans lequel nous vivrions, à moins que quelqu'un ne mette fin à ce cycle d'escalade.
La seule personne ayant ce pouvoir est le président des États-Unis, dont le bilan ne nous inspire pas beaucoup d'espoir. »
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