Par Alain Marshal
Le 10 septembre 2025, une nouvelle attaque israélienne contre les infrastructures civiles du Yémen a visé plusieurs sites dans la capitale, Sanaa, dont les bureaux de deux journaux, 26 septembre et Le Yémen. Le bilan est extrêmement lourd, au moins 50 personnes, dont 31 journalistes, ayant été tuées dans cette attaque et plus de 165 autres blessées. Et pourtant, ce crime de guerre majeur a été purement et simplement passé sous silence en Occident, tout comme l'assassinat sans précédent de la moitié du gouvernement yéménite 14 jours plus tôt.
Ce déni n'est pas sans rappeler la déclaration du folliculaire génocidaire Raphaël Enthoven (« Il n’y a AUCUN journaliste à Gaza. Uniquement des tueurs, des combattants ou des preneurs d’otages avec une carte de presse. »), et montre que loin de constituer une exception, il ne faisait qu'affirmer tout haut ce que de nombreux analystes et commentateurs pensent tout bas, tant la réaction au massacre sans précédent de journalistes à Gaza, tout comme celle au premier génocide de l'histoire assumé on ne peut plus explicitement par ses perpétrateurs et diffusé chaque jour en direct, a été tiède, permissive voire incitative. Pour nos « belles âmes occidentales », il n'y a pas de « journalistes » au Yémen, seulement des « rebelles houthis », de même qu'il n'y a pas de « civils » à Gaza, seulement des « membres du Hamas » (actuels ou potentiels).
Aujourd'hui, tous ceux qui n'ont pas rapporté et condamné ce crime de guerre manifeste, tous ceux qui, comme Mediapart (se retranchant derrière l'AFP), Libération, TV5 Monde, La Croix ou Le Figaro, n'ont parlé que de « sites houthis», de « cibles militaires » ou de « bâtiment utilisé par les forces armées houthies », validant la propagande israélienne jusqu'à 48h après les faits, alors que la réalité était connue dès le 10, doivent être également considérés comme des complices actifs ou passifs, voire des apologistes des crimes israéliens. D'autant plus que même si 26 septembre est une publication du ministère de la défense, il emploie des journalistes civils, sans parler du fait que les rédactions des deux journaux ciblés étaient situés dans des zones résidentielles, et que des femmes et enfants figurent parmi les victimes.
Les images des frappes israéliennes contre les Bureaux de deux journaux yéménites le 10 septembre.
— Alain Marshal (@AlainMarshal2) September 14, 2025
Dernier bilan : 31 journalistes tués, 22 blessés.
Un crime de guerre manifeste. Aucune mention dans les médias. pic.twitter.com/UbhqwYthQC
Voici le communiqué du Syndicat des journalistes yéménites publié le 11 septembre :
« Le syndicat des journalistes yéménites condamne avec la plus grande fermeté le crime de guerre odieux perpétré par l’agression brutale d’Israël le mercredi 10 septembre 2025, qui a directement visé les bureaux des journaux 26 Septembre et Le Yémen dans la capitale, Sanaa. Cette attaque a entraîné la mort et des blessures parmi plusieurs de nos confrères journalistes et professionnels des médias, ainsi que des dizaines de victimes parmi les habitants du quartier voisin.
Selon un premier bilan, 35 personnes ont été tuées et plus de 131 blessées, pour la plupart des civils sans défense, dans un crime qui constitue une honte pour l’humanité et s’ajoute au long registre des crimes israéliens contre les journalistes et les civils.
Au sein du Syndicat des journalistes yéménites, tout en réaffirmant notre condamnation de ce massacre ignoble, nous :
- Exprimons notre pleine solidarité avec les familles des martyrs et des blessés, ainsi qu’avec la communauté journalistique et médiatique yéménite, systématiquement prise pour cible par l’agression israélienne.
- Réitérons notre position ferme et inébranlable de soutien au peuple palestinien de Gaza, confronté à une guerre génocidaire menée par la machine de mort sioniste.
- Appelons la communauté internationale, ainsi que les organisations humanitaires et de défense des droits humains, à agir de toute urgence pour condamner ce crime, traduire ses auteurs en justice et mettre un terme à la politique d’impunité pour l’occupation israélienne.
- Exhortons l’ensemble des syndicats et associations de journalistes arabes et internationaux — au premier rang desquels l’Union des journalistes arabes et la Fédération internationale des journalistes — à élever la voix et à se solidariser avec les journalistes yéménites et palestiniens systématiquement pris pour cible par l’ennemi israélien.
En conclusion, le Syndicat des journalistes yéménites affirme que les attaques visant la liberté d’expression et le journalisme national ne feront que renforcer la détermination des journalistes à dévoiler les crimes israéliens et à transmettre la vérité, dans la défense du droit de nos peuples à la liberté, à la dignité et à la souveraineté. »
Malgré cela, le 12 septembre, Le Monde a parlé de « 'martyrs, blessés et plusieurs maisons endommagées dans l’attaque israélienne contre le quartier général de l’Orientation morale', le nom donné aux services de communication des forces rebelles dans la capitale », tandis que Challenges avait qualifié la cible des frappes de « quartier général de la 'propagande' de l'armée houthie », cautionnant ouvertement l'assimilation entre journalistes et soldats : en sera-t-il de même si un jour, une puissance étrangère frappe les locaux des télévisions, radios et/ou journaux du service public, en France ou ailleurs, ou même des médias privés qui ne font que relayer la propagande macronienne / gouvernementale, atlantiste et/ou sioniste ? Ces « journalistes » se rendent-ils compte qu’ils se redéfinissent eux-mêmes comme des cibles légitimes ?
Pour sa part, Human Rights Watch a réalisé l'exploit de publier, au lendemain de cette attaque sans précédent, un article condamnant les Houthis pour leurs crimes allégués contre les journalistes, sans aucune mention de l'attaque israélienne. Sans surprise, RSF est aux abonnés absents. Un naufrage sans retour, pour ne pas dire un enterrement de première classe de toute déontologie et de toute dignité.
Depuis longtemps déjà, il a été montré, par Noam Chomsky notamment, que le slogan « Je suis Charlie » en tant que défense de la liberté d'expression et de la liberté de la presse n'était qu'une imposture monumentale, nos médias ayant toujours sinon applaudi, du moins pudiquement ignoré le ciblage de journalistes quand il était réalisé par les Etats-Unis ou leurs alliés (voir Chomsky : les attaques contre Charlie Hebdo révèlent l’hypocrisie de l’Occident). Les frappes israéliennes contre la télévision d'Etat iranienne au mois de juin dernier n'ont fait que confirmer cette constante ignominieuse dans laquelle non seulement le corporatisme, mais même le droit international humanitaire cèdent le pas devant l'impératif tacite (mais incontournable) de loyauté à Washington et Tel-Aviv.
Jusqu'à ce jour, le plus grand massacre de journalistes était le massacre d’Ampatuan (ou de Maguindanao) aux Philippines, en 2009 : 58 personnes, dont 34 journalistes, avaient été assassinées par une milice liée à un clan politique local pour empêcher une candidature électorale, traduisant la brutalité d’un système de clans et l’impunité régnante dans une zone périphérique de l'archipel. À la différence, le massacre de Sanaa, qui a fait un nombre équivalent de victimes parmi les journalistes, n’est pas l’œuvre d’un gang isolé mais de l’État israélien lui-même, et a ciblé la capitale internationalement reconnue du Yémen, avec la complaisance et même le soutien des puissances occidentales et de leurs chambres d'écho médiatiques.
De plus, les journalistes yéménites ont été ciblés uniquement parce qu'ils étaient journalistes, dans les locaux de leurs médias respectifs, en plein exercice de leurs fonctions. Enfin, cette attaque frappe un pays qui est l’un des plus constants soutiens de la population de Gaza, prenant plus à cœur que quiconque son obligation de prévention du crime de génocide. C’est dire que l’ampleur du crime, sa signification politique et la complicité internationale qui l’entoure en font un événement bien plus grave encore que le précédent philippin. Mais la chape de plomb raciste, atlantiste et sioniste qui recouvre nos sociétés, nos rédactions et notre intelligentsia étouffe ce crime majeur, lui interdisant tout retentissement dans ce qu’on persiste à nommer « l’Occident civilisé », où ne règnent que la loi de la jungle, de l’argent et du silence, et lui ôtant même toute existence, toute réalité. Ce n'est plus seulement du négationnisme, car il ne s'agit pas de discuter de la magnitude ou de la qualification d'un fait, mais de le renvoyer au néant. C'est une dystopie purement orwellienne :
« L'effrayant était que tout pouvait être vrai. Que le Parti puisse étendre le bras vers le passé et dire d'un événement : cela ne fut jamais, c'était bien plus terrifiant que la simple torture ou que la mort. (...) Le mensonge passait dans l'histoire et devenait vérité. “Celui qui a le contrôle du passé, disait le slogan du Parti, a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé.” Et cependant le passé, bien que par nature susceptible d'être modifié, n'avait jamais été retouché. La vérité actuelle, quelle qu'elle fût, était vraie d'un infini à un autre infini. C'était tout à fait simple. (...) Cela s'appelait “Contrôle de la Réalité”. On disait en novlangue, “double pensée”. » (George Orwell, 1984).
Nous rendons hommage aux martyrs de la liberté de la presse (doublés de martyrs de la défense des droits du peuple palestinien, et de son droit fondamental à l'existence, à l'auto-détermination et à la dignité) assassinés au Yémen, dont nous reproduisons les noms et la photographie ci-dessous (30 hommes et 1 femme), en traduisant un communiqué des journalistes des journaux ciblés, 26 septembre et Le Yémen, daté du 14 septembre, qui condamnent cette attaque et honore leurs collègues martyrs :

Agrandissement : Illustration 2

Les martyrs de la liberté de la presse et des droits du peuple palestinien à l'existence, à la liberté et à la dignité. Note : il y a 31 noms et 32 portraits, l'un étant celui d'un enfant, le fils d'un des journalistes assassinés. La victime féminine n'est représentée que par une silhouette, conformément à la tradition de pudeur yéménite, tradition qui, loin d’être respectée, ne fera qu’alimenter le mépris raciste et l’arrogance coloniale d’un Occident qui persiste à voir les peuples arabo-musulmans comme inférieurs, des « animaux humains » imperméables aux « lumières » de la civilisation.
« Les rédactions des journaux 26 Septembre et Le Yémen rendent hommage aux 31 journalistes tombés en martyrs lors de l’agression israélienne qui a visé leur siège dans la capitale Sanaa, entraînant sa destruction totale. L’attaque a provoqué la mort d’une pléiade de journalistes et en a blessé 22 autres, en plus de faire des dizaines de victimes civiles, tués ou blessés.
Nous exprimons notre condamnation la plus ferme de ce crime odieux, estimant que le fait que l’ennemi israélien ait pris pour cible les médias et les professionnels de l’information témoigne de son échec et de ses tentatives désespérées et flagrantes de réduire au silence la voix de la vérité et d’étouffer toute voix qui dénonce ses crimes et révèle la véritable image de cette entité usurpatrice et criminelle.
Ce crime abominable s’inscrit dans une série d’atrocités perpétrées par l’entité sioniste usurpatrice, dans le cadre de son ciblage continu des journalistes et des professionnels des médias, qui ont montré au monde entier la réalité de ses crimes, de sa barbarie, des meurtres, du siège, de la destruction et des attaques visant tous les fondements de la vie à Gaza et en Palestine.
La machine de guerre sioniste ne pourra pas faire taire la voix de la vérité, quelle que soit l’ampleur du sang versé parmi les journalistes, investis de la mission de transmettre la réalité et de dévoiler les crimes commis par le sionisme dans la bande de Gaza depuis près de deux ans.
Le sang des journalistes yéménites s’est aujourd’hui mêlé à celui de leurs confrères dans la bande de Gaza, délibérément pris pour cible par les bombardements criminels de l’ennemi, dans le but d’éteindre la voix de la vérité et de masquer les crimes d’extermination commis contre les habitants de l’enclave.
Nous appelons les Nations unies, le Conseil de sécurité, toutes les organisations humanitaires et de défense des droits humains, ainsi que les syndicats et associations de journalistes et de médias, à condamner cette agression et ce crime atroce commis contre la presse.
L’ennemi sioniste et sa direction nazie portent l’entière responsabilité humanitaire, juridique et historique de ce crime et des autres crimes visant les médias et la presse, ainsi que des crimes perpétrés contre nos frères en Palestine. Il devra payer le prix de ses crimes, tôt ou tard.
Nous adressons nos condoléances les plus sincères et notre profonde compassion aux familles et aux proches des martyrs, priant Dieu Tout-Puissant de leur accorder patience et consolation.
Noms des journalistes martyrs :
Abdelaziz Yahya Yahya Cheikh
Youssef Ali Yahya Shamsuddin
Ali Naji Saeed Al-Sharaei
Sami Mohammed Hussein Al-Zaydi
Mohammed Ismaïl Hazaam Al-Omeisi
Murad Mohammed Ali Al-Faqih
Ali Mohammed Ahmed Al-Faqih
Abdelqawi Mohammed Saleh Al-Asfour
Bachir Hussein Ahsan Dablane
Aref Ali Abdo Al-Samhi
Mohamed Hamoud Ahmed Al-Matri
Abdelouali Abdo Hussein Al-Najjar
Abdo Taher Mousleh Al-Saadi
Abdelaziz Saleh Ahmed Shas
Abdallah Mohammed Abdo Al-Harazi
Mohammed Ahmed Mohammed Al-Zaakri
Zouhair Ahmed Mohammed Al-Zaakri
Mohamed Abdo Yahya Al-Sanfi
Mohamed Al-Azi Ghalib Al-Harazi
Jamal Faras Ali Al-Aadi
Essam Ahmed Murshid Al-Hashdi et son fils Abdelouli Essam
Salim Abdallah Abdo Ahmed Al-Wotiri
Abbas Abdelmalik Mohammed Al-Dailmi
Lutf Ahmed Nasser Hadian
Qais Abdo Ahmed Al-Naqib
Mohamed Ali Hamoud Al-Dhawi
Fares Abdallah Ali Al-Ramisa
Abderrahman Mohammed Mohammed Jaaman
Ali Mohammed Ali Al-Aqil
Amal Mohammed Ghalib Al-Manakhi (martyre)
Abdallah Mahdi Abdallah Al-Bahri »
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