Alain Marshal (avatar)

Alain Marshal

Gueux de naissance et de vocation

Abonné·e de Mediapart

120 Billets

0 Édition

Billet de blog 28 octobre 2023

Alain Marshal (avatar)

Alain Marshal

Gueux de naissance et de vocation

Abonné·e de Mediapart

Norman Finkelstein sur la révolte du « camp de concentration » de Gaza.

Norman Finkelstein, fils de rescapés d'Auschwitz et du ghetto de Varsovie, autorité mondiale sur la question palestinienne et auteur d'un best-seller sur le martyre de Gaza, fait un rappel historique érudit et salutaire sur la situation à Gaza, au lendemain des attaques du 7 octobre.

Alain Marshal (avatar)

Alain Marshal

Gueux de naissance et de vocation

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Mettez fin au blocus ! Mettez fin à ce blocus !  »

Podcast enregistré le 8 octobre 2023. 

Illustration 1

Je vais parler du contexte historique de la situation actuelle,. Il y a eu de nombreux commentaires du genre « C’est le plus grand choc pour l’establishment politico-militaire israélien depuis la guerre d’octobre 1973 », qui s’est déroulée il y a plus de 50 ans, un demi-siècle. Je vais faire un rappel, car beaucoup ne se souviennent pas du contexte historique ou ne le connaissent pas.

De la guerre des six-jours à la guerre de Kippour

Au cours de la guerre de juin 1967, Israël a conquis plusieurs territoires, à savoir le plateau du Golan syrien, le Sinaï égyptien, la Cisjordanie et la bande de Gaza. Ces territoires ont été appelés les « territoires occupés ». Immédiatement après la guerre de juin 1967, l’Assemblée générale des Nations unies, puis le Conseil de sécurité des Nations unies – les deux organes – se sont attachés à définir les conditions de la résolution du « conflit israélo-arabe ». Ce conflit ne s’appelait pas encore « conflit israélo-palestinien ». Il s’agissait d’une dimension plus large, le conflit israélo-arabe, et les termes de base ont été incorporés dans ce que l’on a appelé la résolution 242 des Nations unies. Adoptée à l’unanimité par le Conseil de sécurité, la résolution 242 de l’ONU comportait essentiellement deux volets.

L’élément numéro un était que, conformément au principe énoncé dans le préambule de la résolution 242 de l’ONU selon lequel il est inadmissible de conquérir un territoire par la guerre, Israël était obligé, en vertu du droit international, de se retirer des territoires qu’il avait conquis au cours de la guerre, pendant la guerre de juin 1967, à savoir, je le répète, le plateau du Golan, la Cisjordanie, y compris Jérusalem-Est et Gaza, ainsi que le Sinaï égyptien. L’autre composante de la résolution 242 de l’ONU, conformément au principe selon lequel chaque État du système des Nations unies a le droit de vivre en paix avec ses voisins, était que les États arabes devaient reconnaître le droit d’Israël à exister en tant qu’État dans la région, conformément aux principes de la Charte de l’ONU. C’était la contrepartie, la pleine reconnaissance par Israël du droit d’exister en tant qu’État dans la région.

Lorsque la résolution a été adoptée, l’ONU a nommé un médiateur spécial, Gunnar Jarring, pour tenter de parvenir à un règlement sur la base de ces principes. Dès le début, il était clair que le principal protagoniste du drame serait l’Égypte. À l’époque, l’Égypte était la puissance la plus redoutable de la région et il était admis qu’il n’y avait aucune possibilité de règlement sans l’assentiment de l’Égypte, sans l’accord de l’Égypte. Gunnar Jarring est parti en mission de paix, faisant la navette diplomatique entre l’Égypte et Israël. Finalement, après plusieurs tentatives avortées, il s’est résolu à proposer des conditions pour mettre fin au conflit. Il a présenté ces conditions à l’Égypte et à Israël. Ces conditions étaient strictement conformes à la résolution 242 de l’ONU. L’Égypte a accepté les termes de la « mission Jarring ». La balle était alors dans le camp d’Israël. L’Égypte a accepté non seulement de reconnaître Israël, mais aussi de signer un traité de paix formel avec Israël. Et maintenant, comme je l’ai dit, la balle était dans le camp d’Israël, et dans un moment très dramatique, Israël a répondu, et je vais maintenant citer Israël, « Israël ne se retirera pas sur les lignes d’avant juin 1967 ». Cela signifie qu’Israël a refusé de se conformer à l’un des éléments de la résolution 242 de l’ONU, à savoir qu’il est inadmissible de conquérir un territoire par la guerre, et qu’Israël était donc obligé de renoncer au contrôle de tous les territoires qu’il avait conquis au cours de la guerre de 1967.

À ce moment-là, en 1971, alors qu’Israël refusait de se conformer au droit international et à la résolution 242 de l’ONU en particulier, le Secrétaire général de l’ONU – qui s’appelait U Thant – a été nommé président de l’Assemblée générale des Nations unies. Il était originaire de Birmanie et c’était un être humain remarquablement décent – probablement, à mon avis, pour ce que cela vaut – le seul Secrétaire général décent que les Nations unies aient jamais eu. C’était une personne très modeste, un bouddhiste, mais il était aussi remarquablement honnête dans sa position. Il a déclaré, juste après le rejet par Israël de ces conditions pour mettre fin au conflit, « Il ne fait guère de doute que si l’impasse actuelle dans la recherche d’un règlement pacifique persiste, de nouveaux combats éclateront tôt ou tard ». Ainsi, étant donné l’obstination d’Israël, son refus de respecter le droit international, comme l’a souligné U Thant, une guerre devenait alors inévitable. De nouveaux combats éclateraient tôt ou tard.

Après avoir refusé d’accepter les termes d’un règlement, Israël a poursuivi l’expansion de ses colonies dans la péninsule du Sinaï, qui était alors un territoire égyptien. Il est devenu évident qu’Israël ne renoncerait jamais au contrôle du Sinaï, le Sinaï égyptien. À ce moment-là, l’Égypte n’a cessé de dire, ou le chef de l’État égyptien de l’époque, Anouar El-Sadate, n’a cessé de dire : « Nous allons attaquer. Vous ne nous donnez aucune option. Vous refusez de céder le territoire que vous avez conquis. Vous ignorez le droit international, vous ne nous donnez pas d’autre choix que la guerre. »

Comme je l’ai écrit dans un livre publié il y a des décennies maintenant, j’ai dit, parce que cette guerre d’octobre, comme la plupart d’entre vous le savent, a été qualifiée de « surprise ». Israël a été choqué. En fait, comme je l’ai écrit, « Aucune guerre dans l’histoire n’a été lancée avec autant de publicité que l’attaque-surprise d’octobre 1973 ». On peut se poser la question suivante : « Pourquoi Israël a-t-il ignoré les avertissements d’Anouar el-Sadate sur son intention d’attaquer ? » C’est là qu’il faut se plonger dans l’état d’esprit des dirigeants et de la population israéliens actuels. L’opinion des Israéliens, et elle était très répandue, était que la guerre n’est pas un jeu arabe, que les Arabes n’avaient pas d’option militaire. Après l’humiliante défaite subie par les Arabes en juin 1967, ce que l’on appelle parfois la guerre des Six-Jours, l’idée s’est ancrée chez les dirigeants israéliens, mais aussi chez la population elle-même, que les Arabes étaient incapables de se battre. Le ministre des affaires étrangères israélien de l’époque, le général Moshe Dayan, célèbre à l’époque – il est aisément reconnaissable à son bandeau de pirate sur un œil – et héros de la guerre de juin 1967, a déclaré : « La faiblesse des Arabes est due à des facteurs trop profondément enracinés pour être, à mon avis, facilement surmontée. » Il parlait du retard moral, technique et éducatif des soldats des armées arabes. Yitzhak Rabin, autre grande figure de l’histoire militaire israélienne, mais aussi de l’histoire politique israélienne, a déclaré à l’époque : « Il n’est pas nécessaire de mobiliser nos forces chaque fois que nous entendons des menaces arabes », c’est-à-dire les menaces de Sadate. « Les Arabes ont une faible capacité à coordonner leur action militaire et politique. » Le ministre des affaires étrangères israélien de l’époque, Abba Ebban, commente dans ses mémoires que l’atmosphère de « destinée manifeste » [idéologie ancrée aux Etats-Unis au XIXe siècle, selon laquelle la nation américaine aurait pour mission divine l’expansion de la « civilisation » vers l’Ouest, et à partir du XXe siècle, au monde entier], qui considère les peuples voisins comme des races inférieures, a commencé à se répandre dans le discours national. Et un historien militaire israélien a rapporté que le surnom donné aux soldats égyptiens était « les singes ».

Ce que l’on peut donc conclure, je pense, à propos de la guerre d’octobre 1973, c’est que, premièrement, elle n’a pas vraiment été une surprise dans le sens où, une fois qu’Israël a refusé de se retirer du Sinaï, comme l’a dit U Thant, la guerre est devenue inévitable. Mais l’autre point que je voudrais souligner, parce que c’était un lieu commun à l’époque, et c’est maintenant un lieu commun dans la discussion actuelle autour des événements à Gaza et en Israël – on parle de ce qui s’est passé en octobre 1973, comme aujourd’hui, en disant qu’il s’agissait d’un échec en matière de renseignement. Mais en fin de compte, à mon avis, il ne s’agit pas d’un échec en matière de renseignement, mais d’un échec politique. Israël aurait pu faire la paix, mais, partant du principe raciste que les Arabes ne résisteraient pas, il a choisi la conquête. C’était le problème à l’époque, et il me semble, comme Mouin Rabbani l’évoquera, que c’est le problème aujourd’hui. Il ne s’agit pas fondamentalement d’un « échec du renseignement », mais d’un échec politique, car le calcul politique des Israéliens était, et est toujours, qu’il est possible d’humilier et de soumettre les Arabes indéfiniment car ils sont intrinsèquement incompétents et qu’en fin de compte, la force l’emportera et les Arabes en général – ou les Palestiniens en particulier – se soumettront.

La situation humanitaire à Gaza

Permettez-moi maintenant d’évoquer le contexte de la situation actuelle, car si on ne connait pas ces faits de base, on ne peut pas vraiment comprendre ce qui s’est passé. Premièrement, 70 % de la population de Gaza est composée de réfugiés de la guerre de 1948 et de leurs descendants. En d’autres termes, 70 % de la population de Gaza est composée de personnes qui ont été expulsées de leur patrie en 1948 et de leurs descendants (et, à ce stade, des descendants des descendants) de ceux qui ont été expulsés. En vertu du droit international, 70 % de la population est considérée comme réfugiée. Deuxièmement, la moitié de la population de Gaza – 2,1 millions d’habitants – est constituée d’enfants. Nous parlons, et je pense qu’il ne faut jamais l’oublier, nous parlons d’enfants. Troisièmement, Gaza est l’un des endroits les plus densément peuplés de la terre. Elle est plus densément peuplée que Tokyo, et cette population est confinée dans une bande de huit kilomètres de large et de 40 kilomètres de long. Qu’est-ce que cela signifie concrètement ? Ce matin, j’ai cherché une analogie ou une façon d’imaginer ce que cela signifie. Ce que cela signifie, c’est que je fais mon jogging tous les matins le long de la côte de Coney Island. Cela fait 8 kilomètres. C’est la largeur de Gaza – mon jogging matinal – et sa longueur est inférieure à celle d’un marathon [42,195 km]. C’est 40 kilomètres. C’est Gaza. Huit kilomètres, mon jogging matinal, par 40 kilomètres, un marathon.

La moitié de la population de Gaza est actuellement au chômage. Je me suis penché sur un livre que j’ai écrit il y a quelques années, qui retrace l’histoire, et ce chiffre est resté constant. Environ la moitié de la population est au chômage au moins depuis 2010, mais probablement depuis plus longtemps. 60 % des jeunes sont au chômage. Environ la moitié de la population est classée par les organisations humanitaires comme souffrant d’une grave insécurité alimentaire. Sauf exception, personne ne peut entrer à Gaza et personne ne peut en sortir. Si vous imaginez une société soumise à un régime de famine, confinée dans une région qui compte parmi les plus densément peuplées au monde et dont la moitié de la population est âgée de moins de 18 ans, c’est-à-dire classée parmi les enfants, vous ne serez pas surpris d’apprendre que l’ancien Premier ministre britannique conservateur, David Cameron, a décrit Gaza comme une « prison à ciel ouvert ». Vous n’aimerez peut-être pas l’entendre, mais Baruch Kimmerling, qui était l’un des sociologues israéliens les plus éminents avant de mourir prématurément, a décrit Gaza dès 2003 – gardez à l’esprit que c’était avant qu’Israël ne renforce le blocus de Gaza, ce sur quoi je reviendrai – en 2003, il a décrit Gaza comme « le plus grand camp de concentration qui ait jamais existé ». C’est ça, Gaza.

« Offensive de paix » palestinienne et réaction israélienne

Comment Gaza est-elle devenue Gaza ? Comment est-elle passée d’une dénomination sur une carte à un objet de mort et de destruction incessantes ? Permettez-moi de me répéter : 1967, résolution 242 de l’ONU, retrait total d’Israël en échange d’un accord permettant à Israël d’exister en paix avec ses voisins. Dès le début des années 1970, l’organisation palestinienne représentative de l’époque, l’Organisation de libération de la Palestine, a accepté ces conditions pour résoudre le conflit, ce que l’on a appelé le règlement à deux États. L’OLP l’a accepté. Pour Israël, c’était une source de panique, car si les Palestiniens acceptaient une résolution du conflit conformément à la résolution 242, Israël allait être mis sur la sellette. « Pourquoi n’acceptez-vous pas les termes du droit international ? »

Alors Israël, pris de panique, a fait ce qu’il fait toujours : il a tenté de provoquer l’Organisation de libération de la Palestine afin d’obtenir d’elle une quelconque action militaire. Ensuite, Israël est intervenu avec l’intention d’essayer de détruire l’OLP. Pourquoi Israël voulait-il détruire l’OLP ? Un très bon historien israélien, Avner Yaniv, a expliqué qu’Israël devait mettre fin à « l’offensive de paix palestinienne ». Pour ce faire, Israël a lancé une attaque contre le Liban en juin 1982. À l’époque, l’OLP avait son siège au Liban, et au cours de cette guerre, Israël a tué, selon les estimations, entre 15 000 et 20 000 Palestiniens et Libanais, en grande majorité des civils.

Cette histoire particulière est en fait une histoire vivante pour un certain nombre d’entre nous, comme Sana Kassem qui est parmi nous. Je tiens à saluer Sana parce qu’elle se trouvait à Beyrouth en août 1982 lors du bombardement israélien brutal de Beyrouth. C’est une survivante. En plus d’être une mère et une merveilleuse enseignante, elle est en première ligne pour défendre les droits des Palestiniens depuis cette horrible invasion.

Lorsque vous entendez les chiffres [le nombre des victimes] aujourd’hui, aussi choquants soient-ils, je dois toujours rappeler aux gens que tous les chiffres, dans toutes les attaques israéliennes sur Gaza et même aujourd’hui, pâlissent en comparaison de l’horreur qu’Israël a infligée au Liban en 1982. Les Palestiniens ont été vaincus en 1982, du moins sur le plan militaire, et ont subi une défaite majeure. Et les choses ressemblent à ce qui se passe périodiquement. Il semblait que c’était la fin des Palestiniens ou de la lutte palestinienne. Le conseiller à la sécurité nationale, Zbigniew Brzezinski, a dit de façon célèbre : « Bye-bye P.L.O. », que c’était fini.

Intifadas et « trahisons » de l’OLP

En 1987, les Palestiniens des territoires occupés, voyant qu’ils ne recevaient aucun soutien de l’étranger, ont décidé de prendre leur destin en main. Ils ont lancé ce que l’on a appelé l’Intifada, une révolte civile non violente contre l’occupation israélienne de ces territoires. J’ai passé pas mal de temps là-bas pendant les étés de cette révolte civile. Et pour ceux d’entre vous qui ne s’en souviennent pas, je peux simplement dire qu’il s’agissait d’un soulèvement profondément inspirant des masses du peuple palestinien, des Palestiniens les plus ordinaires, de tous âges, littéralement de tous âges, je dirais de trois à quatre-vingt-dix ans. Vous aviez des enfants en bas âge et des grands-mères qui, à leur manière, ont participé à cette révolte civile non violente. Les Israéliens ont lancé une répression très brutale de cette révolte, célèbre pour le slogan du ministre de la défense de l’époque, Yitzhak Rabin, qui a déclaré : « Nous allons infliger force, puissance et coups » aux civils palestiniens pour qu’ils se rendent.

Pour diverses raisons qu’il n’est pas utile d’évoquer ici, cette première Intifada palestinienne ou révolte palestinienne, la révolte civile, a en fait été vaincue. Le point culminant de cette défaite a été atteint en 1993, avec ce que l’on appelle l’accord d’Oslo. Et cet anniversaire vient d’être, pour ainsi dire, célébré. C’était il y a 30 ans. C’était le 13 septembre 1993, il y a donc 30 ans ce mois-ci. Mouin Rabbani a d’ailleurs écrit quelque chose d’assez perspicace, à mon avis, sur ce qui s’est passé à Oslo. Le bilan d’Oslo est très simple : il s’agit, comme l’a dit Edward Saïd, professeur et porte-parole des Palestiniens, à l’époque, d’une « capitulation palestinienne ». Israël a décidé de rationaliser son occupation, et rationaliser l’occupation signifiait : « Pourquoi devrions-nous faire le sale boulot et faire mauvaise figure devant les caméras internationales ? Engageons des Palestiniens pour faire le sale boulot à notre place. » À l’époque, l’OLP était désespérée et déjà très corrompue. C’est ainsi que l’OLP a changé de camp, pour dire les choses crûment, mais je pense que c’est exact. L’OLP est devenu le sous-traitant d’Israël pour maintenir l’occupation israélienne, pour ainsi dire, par télécommande. Et nous devons dire qu’Israël a remarquablement réussi. Pour les Israéliens, il s’agissait d’une expérience : « Pouvons-nous créer une classe de collaborateurs qui feront tout notre sale boulot, si en échange nous leur donnons certains des avantages du pouvoir ? » Je me souviens qu’à l’époque, de nombreuses personnes doutaient que les Palestiniens puissent un jour servir de complices volontaires au gouvernement israélien. Et bien que ce doute soit désormais dissipé, ce que l’on appelle l’ « Autorité palestinienne », qui est en fait le descendant de l’Organisation de libération de la Palestine, est un collaborateur volontaire d’Israël.

Il y a eu ensuite une autre tentative, sous le Président Clinton, de sceller un accord entre Israël et les Palestiniens. Cette tentative a eu lieu à Camp David en 2000. Je ne veux pas entrer dans les détails de Camp David. Je me contenterai d’en présenter l’essentiel. L’essentiel a été appelé les « Paramètres Clinton », du nom de notre Président Bill Clinton, pour résoudre le conflit. Pour parler franchement, les paramètres Clinton n’étaient pas terribles, ils n’étaient pas formidables, mais ils constituaient, pourrait-on dire, une base pour parvenir à un règlement. Les Palestiniens et les Israéliens ont accepté ces paramètres avec – les deux parties ont utilisé la même expression – des « réserves ». Toutefois, après la conclusion d’un accord, lorsque les négociations ont repris dans cette région appelée Taba, qui fait partie de l’Égypte, à un moment donné, le premier ministre de l’époque, Ehoud Barak, a interrompu les négociations et la tentative de parvenir à un règlement s’est avérée infructueuse. Peu de temps après, les Palestiniens, fin août début septembre 2000, les Palestiniens entrent à nouveau en révolte civile contre l’occupation israélienne. Là encore, je ne peux pas entrer dans les détails, mais j’aimerais simplement établir les faits de base. Cette deuxième Intifada a commencé de la même manière civile que la première Intifada. Mais le Premier ministre israélien de l’époque, Ehud Barak, a décidé que « nous devions infliger un maximum de morts dès le départ pour éviter que cette Intifada ne devienne incontrôlable comme la première ». Dans les premiers jours de la seconde Intifada, Israël a donc tiré un million de balles sur les Palestiniens qui protestaient de manière non violente. Et à la fin de la troisième semaine, je crois, la proportion était de 20 morts palestiniens contre 1 mort israélien. Face à cela, il était parfaitement prévisible qu’à un moment donné, la seconde Intifada deviendrait incontrôlable et violente. Et c’est effectivement ce qui s’est produit. Il y a eu beaucoup de morts du côté palestinien et du côté israélien. Il y a eu 2 400 Palestiniens tués, 800 Israéliens tués – c’est à peu près trois contre un – la grande majorité était des civils, et cette révolte s’est éteinte. La seconde Intifada n’a jamais officiellement pris fin, pas plus que la première Intifada d’ailleurs. Elle n’a jamais pris fin officiellement, mais cette deuxième révolte s’est éteinte.

Le redéploiement israélien à Gaza et l’arrivée au pouvoir du Hamas

L’événement majeur suivant survient en 2005, lorsque les Israéliens de Gaza redéploient leurs forces. La presse a faussement décrit cet événement comme un retrait d’Israël de la bande de Gaza. Israël ne s’est jamais retiré de Gaza : ses colons ont été retirés de Gaza, mais Israël a simplement redéployé ses forces de l’intérieur de Gaza vers le périmètre de Gaza. Israël, depuis ce jour et jusqu’à aujourd’hui, en vertu du droit international, reste la puissance occupante à Gaza. Ainsi, comme l’a signalé Human Rights Watch, que l’armée israélienne soit à l’intérieur de Gaza ou redéployée à sa périphérie, elle reste sous son contrôle. Encore une fois, à ce jour, Israël est toujours la puissance occupante à Gaza. J’aurai des choses à dire à ce sujet au cours de la conversation, car à mon avis, il n’est plus exact de parler d’Israël comme d’une puissance occupante. Gaza, la Cisjordanie, Jérusalem-Est, tous ces territoires ont été intégrés à Israël. Ce qui se passe actuellement n’est pas une guerre au sens d’un conflit entre deux États. Il s’agit d’une guerre interne. Et la meilleure façon de la considérer, à mon avis – il faut trouver le bon langage et aucun langage n’est jamais parfait – est de la considérer soit comme une rébellion d’esclaves rappelant les rébellions d’esclaves dans mon propre pays, les États-Unis, soit comme la création par Israël d’un archipel du Goulag. Pour ceux d’entre vous qui connaissent cette référence [à Soljenitsyne], l’archipel du Goulag, ce sont les camps de travail d’esclaves qui ont été établis sous l’Union soviétique à l’époque de Staline. Israël a établi un archipel du Goulag, mais à l’intérieur de son propre pays. Il ne s’agit pas d’une guerre – comme on le dit maintenant – entre Israël et un État étranger. Au minimum, Israël reste une puissance occupante, mais à mon avis, pour des raisons que j’évoquerai plus tard, il ne s’agit plus d’une puissance occupante, mais d’une révolte civile d’une population esclave.

En 2006 – et c’est là que nous en arrivons à la situation actuelle –, en janvier 2006, des élections parlementaires ont eu lieu dans les territoires palestiniens occupés et le Hamas les a remportées. Jimmy Carter était à Gaza, l’ancien Président américain Jimmy Carter était à Gaza au moment des élections, et il les a qualifiées d’ « élections tout à fait honnêtes et justes ». Elles ont été si honnêtes et si justes qu’elles ont profondément déçu la sénatrice Hillary Clinton, qui a déclaré à l’époque : « Nous aurions dû nous assurer que nous faisions quelque chose pour déterminer qui allait gagner ». C’est l’idée que les États-Unis se font d’une élection démocratique.

Dès l’arrivée au pouvoir du Hamas, sa position sur la reconnaissance d’Israël a évolué. Jusqu’alors, il refusait de reconnaître l’existence d’Israël. Mais comme l’a dit l’une des figures de proue de l’ONU à Gaza à l’époque, après l’élection, le Hamas évoluait et il pouvait encore évoluer. L’un des principaux experts de Gaza a écrit plus tard qu’une solution politique était à portée de main du côté du Hamas, mais seulement si l’ingérence active des États-Unis et la passivité de l’Union européenne n’avaient pas saboté cette expérience de gouvernement. Du côté palestinien, et en particulier du côté du Hamas, il existe de réelles possibilités de parvenir à un règlement sur la base du droit international. Israël, les États-Unis et l’Union européenne les ont sabotées.

Ce n’est pas tout. Israël a ensuite instauré le blocus de Gaza. Cela m’agace au plus haut point que l’on continue à dire que le blocus a commencé il y a 16 ans, en 2007. Il a commencé lorsqu’Israël a été mécontent des résultats de l’élection palestinienne. C’est à ce moment-là que le blocus a commencé ou, comme l’a dit le représentant de l’ONU à l’époque, que l’activité économique à Gaza s’est arrêtée, passant en mode de survie. C’est à ce moment-là qu’ont commencé les troubles qui ont culminé avec les événements de la semaine dernière, lorsqu’on a dit au peuple, qu’on lui a donné des instructions, qu’on lui a ordonné, qu’on l’a exhorté à organiser des élections, ce qu’il a fait, mais parce que les résultats n’étaient pas ceux que voulaient les États-Unis, Israël et l’Union européenne, il a été puni par l’imposition de ce blocus.

Les guerres israéliennes contre Gaza

En 2007, les États-Unis, l’UE et Israël ont tenté un coup d’État pour renverser le gouvernement de Gaza, le gouvernement du Hamas. Le Hamas a fait échouer le coup d’État et, à ce moment-là, Israël, les États-Unis et l’Union européenne ont renforcé le blocus. À partir du 26 décembre 2008, Israël a lancé l’un de ses assauts meurtriers contre Gaza. Il y en a eu tellement qu’il est très difficile de les compter. L’opération « Plomb durci », à laquelle je vais maintenant me référer, est la plus connue. Israël a lancé ce qu’Amnesty International a appelé « les 22 jours de mort et de destruction », et qui est comparable aux autres attaques israéliennes.

Pourquoi Israël a-t-il lancé l’opération « Plomb durci » ? Les habitants de Gaza ont-ils fait quelque chose qui l’expliquerait ? S’agissait-il d’une provocation ? Les habitants de Gaza ont-ils été les instigateurs de l’opération ? Non. La situation était très claire à l’époque, et elle l’est toujours aujourd’hui. Israël avait subi une défaite militaire spectaculaire en 2006 au Liban lors de la guerre contre le Hezbollah et le Hezbollah avait infligé une défaite massive à Israël. Ce que le chef du Hezbollah, Sayed Nasrallah, a appelé « la victoire divine ». Et Israël s’est inquiété – je ne suis pas sûr que le mot « terrifié » soit le bon, mais il s’est inquiété du fait que ce qu’il appelle sa « capacité de dissuasion » avait été mise à mal. En d’autres termes, après la victoire du Hezbollah, les Arabes ne craignaient plus Israël. Israël a donc voulu rétablir sa capacité de dissuasion et a lancé un assaut meurtrier contre Gaza. Au cours de cet assaut, 1 400 habitants de Gaza ont été tués. Près des quatre cinquièmes d’entre eux étaient des civils. 350 enfants gazaouis ont été tués. Du côté israélien, dix combattants sont morts et trois enfants ont été tués. Israël a également ciblé massivement l’infrastructure et a détruit 6 000 maisons à Gaza. L’un des résultats notables de cet événement – qui a probablement représenté un point culminant du soutien international aux Palestiniens – a été qu’un Juif sioniste sud-africain de renom, Richard Goldstone, a publié un rapport en son nom dans lequel il a documenté en détail ce qu’il a appelé des crimes de guerre et d’éventuels crimes contre l’humanité qu’Israël a infligés au cours de ces « 22 jours de mort et de destruction ». Il s’est ensuite rétracté de ce rapport pour des raisons qui restent à ce jour mystérieuses.

En 2014, Israël a lancé un nouvel assaut intensif sur Gaza. Il s’agissait de l’opération « Bouclier défensif ». Elle a duré 51 jours. Le président de la Croix-Rouge, Peter Moorer, s’est rendu à Gaza. Il s’est rendu à Gaza et il a déclaré… N’oubliez pas qu’il s’agit du président du Comité international de la Croix-Rouge. Il a vu de nombreuses zones de guerre. En fait, son travail consiste à visiter des zones de guerre. Après avoir visité Gaza, il a déclaré : « Je n’ai jamais vu une destruction aussi massive. » 550 enfants ont été tués, 18 000 maisons ont été détruites.

La « Grande marche du retour »

Dernière chose avant de passer la parole à Mouin Rabbani : dans une dernière tentative désespérée, dans une dernière tentative désespérée de briser le blocus de Gaza, qui en a fait le plus grand camp de concentration du monde, avec la curieuse particularité d’être un camp de concentration où la moitié des détenus sont des enfants. La dernière tentative désespérée des habitants de Gaza, avant aujourd’hui, pour sortir de ce camp de concentration, a eu lieu en 2018, lors de la « Grande marche du retour », au cours de laquelle les Palestiniens ont tenté, de manière massive et non violente, de briser le blocus. Peu de rapports sur les droits de l’homme ont été publiés, mais il y en a eu quelques-uns. Le rapport le plus exhaustif et le plus fiable a conclu, et je fais appel à ma mémoire – mais ma mémoire est assez bonne pour ces choses-là – qu’Israël a ciblé, rappelez-vous, une manifestation civile non violente pour tenter de briser le blocus de Gaza. Israël a pris pour cible des enfants, du personnel médical, des journalistes et des personnes souffrant d’un handicap physique, comme les personnes en fauteuil roulant. À un moment donné, la brutalité est devenue insupportable et, comme par le passé, ce mouvement de protestation s’est éteint. [...]

La situation actuelle

Je reconnais la distinction entre civils et combattants. Mais je sais que je vais sembler me contredire, parce que je pense que ni les formules juridiques, ni les textes sociologiques ne peuvent, en toutes circonstances, rendre compte de la réalité de la vie. La plupart des militants du Hamas, probablement ceux qui ont franchi la clôture, c’est la première fois qu’ils sortent de Gaza parce qu’on suppose qu’ils ont pour la plupart une vingtaine d’années. Le blocus dure depuis 18 ans. Ils ont grandi dans un camp de concentration. Ils veulent être libres. L’une des caractéristiques de la technologie actuelle est qu’ils peuvent voir à l’écran tous ces gens qui marchent librement. Ils veulent être libres. Ils ont rejoint le Hamas, ils se sont portés volontaires. Oui, en vertu du droit international, ils sont des combattants. Est-ce que je pense qu’ils sont des cibles légitimes parce qu’ils sont des combattants ? Vous ne me convaincrez jamais de cela. Vous ne me convaincrez jamais.

Je sais ce que dit la loi. Je sais ce que je suis légalement obligé de dire. Je sais ce qu’en tant qu’universitaire ou universitaire déclaré, je suis censé dire. Mais allez-vous me convaincre qu’une personne qui a grandi dans un camp de concentration et qui veut respirer de l’air libre, est – pour utiliser le langage du droit international – une cible légitime ? Je ne peux pas l’accepter. Je ne peux pas l’accepter. Maintenant, les gens vont dire « Vous êtes un hypocrite, vous dites que vous défendez le droit international, et vous savez que le principe fondamental du droit international est le principe de distinction entre civils et combattants. Maintenant, vous vous contredisez. » Oui, je l’admets. Je ne pense pas que les formules juridiques puissent s’appliquer à toutes les situations. Et je ne crois pas qu’un enfant né dans un camp de concentration soit une cible légitime s’il veut être libre. Je ne vois pas comment ce pourrait être le cas. [...]

Que doit faire Israël ?

Dans le cas de Gaza, la première étape est évidente. La première étape consiste à mettre fin au blocus illégal, inhumain et criminel de Gaza. Alors, quand quelqu’un vous demande « Que doit faire Israël ?! Que doit faire Israël ? » Tout d’abord, mettre fin à ce blocus illégal, inhumain et immoral de Gaza, qui a confiné plus d’un million d’enfants dans un camp de concentration. Je ne sais pas quelle sera la prochaine étape. Je sais en tout cas ce que doit être la première étape. Mettre fin au blocus. Et c’est ce que toute personne de gauche, à l’exception de ce que l’on appelle la « brigade », devrait dire. Chaque personne de gauche devrait dire : « Mettez fin au blocus ! Mettez fin à ce blocus ! »

L’opération « Plomb durci » a duré 22 jours. L’opération « Bordure protectrice », a duré 51 jours. Comme toujours, les États-Unis vont donc donner à Israël suffisamment de temps pour anéantir Gaza. Et si, à un moment donné, Israël est contraint de lancer une invasion terrestre, la question sera de savoir quelle résistance les Palestiniens seront capables d’opposer, combien de victimes israéliennes en résulteront, des victimes parmi les combattants, et si Israël sera contraint, comme il l’a fait par le passé, de mettre un terme à la destruction. Ce sera un long parcours.

Lire la totalité du podcast ici. Traduction Alain Marshal

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.