La solidarité avec la Palestine a insufflé un nouveau sens à ce mouvement politique aguerri.
Par Shuaib Almosawa, journaliste indépendant basé à Sanaa, capitale du Yémen
Drop Site News, 25 octobre 2024
Traduction Alain Marshal
Sanaa, YÉMEN — Le 17 octobre, un bombardier américain B-2 a effectué 15 frappes visant ce que les responsables de la défense ont décrit comme des caches d’armes entretenues par les Houthis, également connus sous le nom d’AnsarAllah. Ce mouvement politique bien armé, aligné sur l’Iran, contrôle actuellement une grande partie du nord-ouest du Yémen. Ces bombardements font suite à une campagne de frappes menées par les Houthis contre des navires et des cibles en Israël, en représailles à la guerre menée par ce dernier dans la bande de Gaza.
Les frappes américaines auraient ciblé des installations souterraines fortifiées abritant des dépôts d’armes dans la capitale, Sanaa, ainsi que dans la province de Saada. « Ces actions visaient à réduire la capacité des Houthis à poursuivre leurs attaques imprudentes et illégales contre la navigation commerciale internationale et contre le personnel et les navires des États-Unis, de la coalition et de la marine marchande dans la mer Rouge, le détroit de Bab Al-Mandeb et le golfe d’Aden, ainsi qu’à limiter leur aptitude à menacer les partenaires régionaux », a déclaré le CENTCOM [division du département de la Défense américaine responsable des opérations militaires et de la sécurité au Moyen-Orient et en Asie centrale] dans un communiqué.
Il reste douteux que ces frappes aient l’effet escompté. Alors que la guerre entre Israël et Gaza entre dans sa deuxième année, AnsarAllah semble déterminé à poursuivre ses attaques en solidarité avec la Palestine. « Cette attaque ne dissuadera pas le Yémen de continuer à soutenir et assister Gaza et le Liban face à l’arrogance israélienne appuyée par les États-Unis », a déclaré le politburo des Houthis dans un communiqué publié après les bombardements.
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Des Yéménites participent à une cérémonie à la mémoire du chef du Hamas, Yahya Al-Sinwar / Source : Mohammed Hamoud, Getty Images
Depuis qu’il a pris le pouvoir en 2014 à la suite d’une révolte populaire contre le gouvernement allié à l’Arabie saoudite, Ansarallah a fait preuve d’une remarquable capacité de résistance, face notamment à des offensives militaires soutenues par l’aviation émiratie et saoudienne. Le groupe s’est solidement enraciné dans le pays. De nombreux sites frappés par les États-Unis, notamment al-Hafa et le quartier de la télévision, avaient déjà été des cibles fréquentes de la coalition dirigée par l’Arabie saoudite. Au fil des années de combat, AnsarAllah a adapté sa stratégie militaire pour échapper et résister aux frappes aériennes, en dispersant ses stocks de munitions et en limitant les infrastructures lourdes au sol, rendant celles-ci moins vulnérables aux frappes.
AnsarAllah a également investi dans des infrastructures souterraines pour protéger son matériel militaire et ses dirigeants des attaques, notamment de nombreuses bases et dépôts de missiles dissimulés, visibles sur certaines images satellites. Malgré les frappes aériennes répétées des États-Unis et d’Israël, y compris des attaques sur le port stratégique de Hodeidah au début de l’année, le groupe reste inflexible.
« Notre nation a pris position »
Lorsque la guerre de Gaza a éclaté, le Yémen était sur le point de signer une trêve négociée par l’ONU avec l’Arabie saoudite, qui aurait mis fin à une décennie de conflit. Combinée à un blocus aérien et maritime, la guerre menée par l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis avait plongé une grande partie du Yémen au bord de la famine, entraînant une pénurie généralisée de médicaments et autres produits vitaux, ainsi qu’une propagation accrue des maladies. Fin 2021, on estimait à 377 000 le nombre de morts au Yémen résultant des attaques militaires et économiques de la coalition.
Le 10 octobre 2023, trois jours après l’attaque du Hamas contre Israël, Abdul-Malik al-Houthi, chef suprême d’AnsarAllah, a promis d’utiliser tous les moyens possibles, y compris l’action militaire, pour soutenir la Palestine. Fin octobre, les Houthis ont commencé à lancer des missiles et des drones contre Israël, exigeant la fin des bombardements sur Gaza. Le mois suivant, ils ont attaqué des navires qu’ils affirmaient liés à Israël ou en direction de ce pays. « Notre nation a pris position et est prête à en assumer les conséquences », a déclaré Al-Houthi.
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Les frappes de missiles et drones houthis ont ciblé le port d’Eilat, dans le sud d’Israël. Le groupe a également décrété un embargo sur les navires prétendument liés à Israël transitant par la mer Rouge au Yémen, appliquant cet embargo par des tirs contre ces navires. Jusqu’à présent, ces attaques ont causé la mort d’au moins quatre marins marchands. Depuis novembre 2023, les Houthis ont mené plus de 100 attaques, entraînant le naufrage de deux navires et en détournant d’un autre. En décembre 2023, le trafic vers le port d’Eilat avait chuté de 85 %, et le volume de conteneurs transportés par la mer Rouge avait baissé de 90 % à la mi-février.
Selon une analyse récente de l'International Crisis Group, la campagne des Houthis pourrait avoir renforcé leur position, tant au Yémen que dans l'ensemble de la région. « Les attaques contre les navires ont aidé à contenir la colère populaire contre la mauvaise gestion des Houthis dans les zones qu'ils contrôlent, car ils peuvent puiser dans le réservoir de sympathie des Yéménites pour les Palestiniens », a écrit l'International Crisis Group. Avec leurs frappes réussies contre Israël et la marine américaine, les Houthis ont également démontré leurs prouesses militaires, renforçant leur position au sein de « l'Axe de la résistance » dirigé par l'Iran, a ajouté l'organisation.
Au début de l'année, les forces américaines ont commencé à cibler des positions houthies au Yémen. Cependant, ces frappes ont eu jusqu'à présent peu d'effet tangible sur les capacités du groupe. Les attaques des Houthis, de plus en plus fréquentes et sophistiquées, incluent désormais des frappes lancées depuis le Yémen qui ont atteint Tel-Aviv. En réponse, Israël a bombardé deux fois la ville portuaire de Hodeidah, la frappe la plus récente, le 30 septembre, ayant touché des infrastructures civiles de stockage de carburant et d'électricité. Le 7 octobre, anniversaire de l'attaque menée par le Hamas contre Israël, les Houthis ont lancé deux nouvelles attaques de missiles et de drones sur la capitale israélienne.
Israël considère tous les membres de l'Axe de la résistance comme des cibles légitimes, qualifiant le Hezbollah, le Hamas et les Houthis de « tentacules d'une pieuvre iranienne ». Contrairement aux bombardements à Gaza et au Liban, où les États-Unis fournissent armes, renseignements et soutien politique, au Yémen, ils ont mené des frappes militaires directes. Des déclarations de responsables américains montrent que tant que les Houthis poursuivront leurs attaques contre des cibles israéliennes et des voies de navigation internationales, Washington maintiendra la pression militaire.
Mais la tâche de neutraliser les Houthis s'annonce difficile. En dépit d'un siège prolongé et de conflits internes, le groupe a accumulé un vaste arsenal d'armes et développé une force navale capable de perturber le commerce mondial. Bien qu'il soit difficile d'évaluer l'efficacité des attaques américaines et israéliennes contre leurs dépôts d'armes, les dirigeants houthis affirment disposer des moyens nécessaires pour maintenir des opérations militaires contre Israël. Même après sept ans de bombardements soutenus par l'Arabie saoudite, équipés d'armes américaines et britanniques de pointe, les Houthis conservent la capacité de lancer des attaques surprises contre des cibles éloignées à l'intérieur d'Israël.
Par ailleurs, le relief montagneux du Yémen offre une fortification naturelle contre les attaques aériennes, y compris les bombes dites « anti-bunker » souvent utilisées par Israël à Gaza et par les États-Unis en Afghanistan. À Sanaa, les forces saoudiennes n'ont pas réussi à détruire des dépôts d'armes situés dans des bases montagneuses naturellement fortifiées, comme Al-Nahdayn, en dépit de multiples tentatives.
Ces dernières semaines, les États-Unis ont défendu et même félicité la campagne israélienne d'assassinats visant les dirigeants du Hezbollah et du Hamas, approuvant de fait la pratique d'Israël consistant à tuer un grand nombre de civils dans le but d'éliminer les hauts responsables de l'Axe de la Résistance. La liste de dirigeants à éliminer pourrait vraisemblablement inclure Abdul-Malik, le leader houthi que la coalition dirigée par l'Arabie saoudite aurait également essayé d'assassiner, sans y parvenir. Israël aura également du mal à le localiser : AnsarAllah reste relativement peu pénétré par les services de renseignement étrangers.
Ce que prévoit AnsarAllah pour la suite
En cas de cessez-le-feu à Gaza, l'avenir de l'Axe de la résistance reste incertain. Hassan Nasrallah, le défunt leader du Hezbollah, affirmait que son groupe respecterait les décisions de la résistance palestinienne concernant la fin des combats. D'autres fronts en Syrie et en Irak pourraient aussi voir une réduction des attaques contre Israël. Cependant, Israël semble déterminé non seulement à éliminer les dirigeants de l'Axe, mais aussi à redessiner la carte politique de la région.
AnsarAllah a toujours affirmé que ses attaques contre Israël ou ses navires cesseraient lorsque le pays mettrait fin à sa guerre à Gaza. Bien que certains responsables américains estiment que les Houthis agiraient selon les souhaits de Téhéran, le groupe a montré des signes d'indépendance. En 2014, selon des sources des services de renseignement américains, AnsarAllah avait défié les demandes iraniennes de ne pas capturer Sanaa, alors que l'Iran négociait un accord nucléaire avec l'Occident.
Malgré sa pauvreté extrême et ses luttes internes, AnsarAllah continue de montrer une capacité remarquable à infliger des dégâts économiques et militaires à des adversaires bien plus puissants.
En déclarant la guerre à Israël par solidarité avec la résistance palestinienne, AnsarAllah s'est également fait connaître à l'échelle mondiale. Dans certaines parties du monde, il est célébré pour sa volonté d'affronter Israël alors que d'autres nations arabes sont restées en retrait. La position d'AnsarAllah a également rehaussé son statut : il est désormais une cible majeure des États-Unis et d'Israël.
S'adressant la semaine dernière à un parterre de responsables arabes lors du Forum international du Golfe à Washington, l'envoyé spécial des États-Unis pour le Yémen, Tim Lenderking, a laissé entendre que les Houthis utilisaient le conflit de Gaza à leurs propres fins. « Je pense que ce groupe l'utilise pour ses propres objectifs et qu'il n'a pas les intérêts du peuple yéménite à l'esprit », a-t-il déclaré, suggérant que les dirigeants houthis imposent aux Yéménites d'assister à des manifestations pour soutenir leurs opérations d'aide aux Palestiniens. AnsarAllah devrait plutôt « faire des choses pour aider le peuple yéménite », a déclaré M. Lenderking. « Nous devons être capables de séparer notre passion, notre douleur, notre fureur, de ce qui se passe dans d'autres parties du monde. Cela ne signifie pas que nous devons approuver ce que font les Houthis », a-t-il ajouté.
Quoi qu'il en soit, le groupe semble vouloir maintenir la pression sur Israël, en lançant un missile sur l'aéroport Ben Gurion de Tel-Aviv le 28 septembre [et d'autres fois, dernièrement le 27 décembre]. (Israël a affirmé avoir intercepté le missile.) « Si le conflit entre l'Iran et Israël s'envenime, les Houthis sont susceptibles de mener d'autres attaques, y compris en coordination avec d'autres groupes de l'Axe, tels que les milices irakiennes », a écrit l'International Crisis Group.
Les Houthis semblent s'être préparés à un long combat, déterminés à tirer parti de l'élan qu'ils ont pris.
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