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Billet de blog 29 septembre 2024

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Les bébés de Gaza qui n’ont jamais célébré leur premier anniversaire

Pour des milliers de parents palestiniens, la joie de la naissance s'est vite transformée en un chagrin déchirant, lorsque leurs nouveau-nés ont été tués par les bombardements israéliens. Cet article d'un journal israélien en dresse six portraits, leur donnant un nom et un visage, privilège rarement octroyé aux Palestiniens, qui ne sont (dans le meilleur des cas) que des statistiques.

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Par Ibrahim Mohammad, 18 septembre 2024

972mag.com

Traduction Alain Marshal

+972 Magazine est la version anglaise du site israélo-palestinien « Sikha Mekomit » (« Appel local » en hébreu), lancé en 2010 par Noam Sheizaf, un contributeur régulier à Foreign Affairs et Foreign Policy. Ce média réunit une dizaine de rédacteurs provenant d’Israël et des Territoires palestiniens occupés, dont d’anciennes plumes d’Ha’aretz, le principal journal de la gauche israélienne.

Ibrahim Mohammad est un journaliste palestinien indépendant de la ville de Gaza qui couvre les questions humanitaires et sociales. Il est titulaire d'une licence en journalisme et médias de l'université Al-Aqsa.

Le 16 septembre, le ministère de la Santé de Gaza a publié un document de 649 pages contenant les informations personnelles de 34 344 Palestiniens tués par les attaques israéliennes sur l’enclave au cours des 11 derniers mois. Cette liste apparemment interminable est pourtant incomplète : selon le ministère, plus de 41 000 Palestiniens sont tombés martyrs depuis le 7 octobre, mais beaucoup n'ont pas encore été identifiés. Parmi les victimes identifiées, on compte plus de 11 300 enfants, dont 710 ont été tués avant d'avoir un an.

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Voici l’histoire de six de ces enfants, arrachés au monde avant d’avoir pu souffler leur première bougie, racontée par leurs familles.

Asser et Aysal Abu Al-Qumsan, âgés de quatre jours

En août, le monde entier a découvert les images de Muhammad Abu Al-Qumsan, 33 ans, brandissant les actes de naissance de ses jumeaux nouveau-nés. Déplacée du quartier d'Al-Rimal à Gaza début octobre, sa famille avait trouvé refuge dans le camp de Shaboura à Rafah, avant de fuir à nouveau vers un appartement à Deir Al-Balah, au centre de la bande de Gaza. C’est là qu’un obus d’artillerie israélien a tué ses jumeaux, Asser et Aysal, à peine quatre jours après leur naissance, ainsi que leur mère, Jumana.

Le 10 août, Muhammad et Jumana avaient accueilli avec bonheur leurs jumeaux à la suite d'une césarienne difficile à l’hôpital de campagne américain de Deir al-Balah. Mais leur joie fut vite submergée par une douleur indescriptible.

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Asser and Aysal Abu Al-Qumsan, tués à l'âge de 4 ans (Photo : Muhammad Abu Al-Qumsan)

« Au début de la guerre israélienne, après avoir été déplacés à plusieurs reprises pour que ma femme puisse finir sa grossesse en sécurité, j’ai finalement trouvé refuge chez un parent, dans les tours Al-Qastal, à l’est de Deir al-Balah », raconte Muhammad à +972. « Jamais je n’aurais imaginé que cet appartement serait ciblé par les missiles de l’occupation. »

« Après avoir pris le petit-déjeuner avec ma femme et sa mère le matin du 13 août, je suis allé chercher les certificats de naissance de mes enfants au service des affaires civiles de l'hôpital des martyrs d'Al-Aqsa à Deir al-Balah », a-t-il poursuivi. « Quelques minutes après les avoir reçus, et alors que j'étais encore à l'hôpital, j'ai reçu un appel téléphonique d'un voisin m'informant que l'armée israélienne avait bombardé l'appartement où se trouvaient ma femme et mes enfants, et que tous les occupants avaient été évacués vers l'hôpital où je me trouvais à ce moment-là.

« J'ai d'abord pensé qu'ils n'avaient été que blessés, mais le choc m'a submergé lorsque j'ai découvert que leurs corps avaient été placés dans les réfrigérateurs de la morgue de l'hôpital », poursuit Muhammad. « L'un des jumeaux avait été déchiqueté, ses traits étaient méconnaissables, tandis que l'autre baignait dans son sang, tout comme sa mère. Quant à leur grand-mère, l'obus israélien lui avait tranché la tête. Le choc et la scène horrible dont j'ai été témoin ont été trop difficiles à supporter pour mon esprit et mon cœur. Je me suis évanoui et je me suis effondré sur le sol ».

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Muhammad Abu Al-Qumsan tient les certificats de naissance de ses jumeaux nouveau-nés. (Photo Muhammad Abu Al-Qumsan)

Après la naissance des jumeaux, Jumana a publié sur son profil Facebook un message annonçant la nouvelle, qui a réjoui tous ceux qui la connaissaient. Un flot de félicitations et d'expressions de bonheur a suivi, malgré les tragédies environnantes. Quatre jours plus tard, le même message a été rempli de condoléances : les commentateurs ont exprimé leur choc à l'annonce de la mort de Jumana et ont présenté leurs condoléances pour son décès et celui de ses enfants.

« Jumana et moi attendions avec impatience notre nouvelle vie, qui serait remplie des rires de nos deux enfants, mais l'occupation israélienne nous a privés de cette joie », a déclaré Muhammad. « Je n'ai que de brefs souvenirs et les plus beaux moments de ma vie avec mes jumeaux et ma femme avant qu'ils ne quittent ce monde. Aysal et Asser étaient ma première et ma dernière joie. De quoi étaient-ils coupables ? Pourquoi l'occupation israélienne les a-t-elle bombardés ?

Sabrine Al-Rouh Al-Sheikh, âgée de cinq jours

Sabrine Al-Rouh Al-Sheikh n'était pas encore née lorsqu'une frappe israélienne sur Rafah a grièvement blessé sa mère et tué son père et sa sœur en avril. L'oncle paternel du bébé, Rami Al-Sheikh, a décrit les dégâts causés par les bombardements dans le quartier d'Al-Shaboura : « À l'aube du 20 avril, sans avertissement, des avions ont bombardé notre maison. Mon frère Shukri et sa fille Malak ont été déchiquetés. »

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Malak, Shukri et Sabrine Al-Sheikh

Les médecins ont pratiqué une césarienne d'urgence sur la mère, également prénommée Sabrine, enceinte de sept mois, mais elle est décédée dix minutes plus tard des suites de ses blessures à la tête, à la poitrine et à l'abdomen. Le bébé Sabrine a été transféré à l'hôpital Al-Emirati de Rafah pour y recevoir des soins médicaux supplémentaires ; pendant cinq jours, elle s'est accrochée à la vie face à la mort, avant de succomber et de rejoindre sa famille.

Outre la mère, le père et la sœur de 3 ans du bébé, Malak, 16 autres membres de leur famille élargie ont été tués lors de la frappe.

Son père attendait avec impatience l'arrivée de sa petite fille et voulait l'appeler « Rouh », ce qui signifie « âme », mais j'ai choisi de l'appeler Sabrine Al-Rouh en l'honneur de sa mère, tout en réalisant le souhait de son père avant qu'il ne soit tué », a déclaré Rami à +972. « Combien de temps ces massacres vont-ils continuer ? Le monde ne prête pas attention au génocide qui est en train d'être commis contre nous ».

Manal Abu Al-O’uf, âgée sept mois

Au cours de la première semaine de l'assaut israélien, Mo'emen Abu Al-O'uf, 26 ans, a été déplacé avec sa famille de leur maison dans la ville de Gaza et a trouvé refuge chez des parents à Deir al-Balah — assuré par les avis d'évacuation israéliens que les zones situées au sud de Wadi Gaza étaient sûres. Mais le 14 octobre, un jour seulement après leur déplacement, des avions de guerre israéliens ont bombardé la maison voisine de celle où ils se trouvaient, sans aucun avertissement préalable. Mo'emen et son frère ont survécu à l'explosion avec des blessures, mais sa femme, Alaa (22 ans), sa petite fille, Manal (7 mois), et sa mère, Manal (53 ans), ont toutes été tuées.

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Manal Abu Al-O’uf.

« Au début, j'ai cru que ce qui m'était arrivé n'était qu'un rêve », raconte-t-il. « J'ai ressenti un immense sentiment de perte et de chagrin que seule une personne ayant connu l'amertume de la perte d'un être cher peut comprendre. »

Au cours des onze mois qui ont suivi l'attentat, Mo'emen a été accompagné par les souvenirs de sa famille et la douleur dévastatrice de leur perte. « Les jours les plus heureux de ma vie ont été mon mariage avec Alaa, le 12 décembre 2021, et la naissance de ma fille Manal, mais l'occupation m'a privé de cette joie en les tuant. Elles étaient innocentes. Étaient-elles des combattants ? Portaient-elles des armes ? »

Naeem et Wissam Abu Anza, âgés de cinq mois et demi

Le 2 mars, une frappe aérienne israélienne a ciblé la maison de Rania Abu Anza, 29 ans, dans le quartier d'Al-Salam à l'est de Rafah, tuant ses jumeaux, son mari et 11 autres membres de sa famille réfugiés avec eux. Rania a survécu à l'attaque et a été extraite des décombres de leur maison détruite.

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Naeem et Wissam Abu Anza avec leur père, Wissam

« Nous étions endormis quand la maison a été frappée », raconte Rania à +972. « Soudain, je me suis retrouvée ensevelie sous un tas de débris. Je n'ai même pas entendu le missile qui nous a touchés. J'ai crié, espérant que quelqu'un viendrait nous sauver, mais les corps de mes enfants et de mon mari étaient sous les décombres. Ils avaient tous été tués. »

Rania et son mari avaient lutté de nombreuses années pour avoir des enfants. « Nous avons eu tant de mal à concevoir », explique-t-elle. « J'ai subi trois procédures d'insémination artificielle ; les deux premières ont échoué, mais la troisième a réussi. Je suis tombée enceinte de mes jumeaux, Naeem et Wissam, et je les ai mis au monde le 13 octobre. »

« Je n'aurais jamais pu imaginer perdre mes jumeaux et mon mari », poursuit Rania. « Je rêvais de les voir grandir sous mes yeux, mais maintenant, je suis seule. Encore aujourd'hui, je fouille les décombres de notre maison à la recherche de souvenirs de mes enfants — leurs couvertures, les vêtements que j'avais tant hâte de les voir porter. Je garde encore précieusement leurs affaires, et je porte toujours l'alliance de mon mari, avec qui j'ai partagé les plus beaux jours de ma vie. Mais l'occupation a brisé mes rêves et m'a volé la possibilité d'être mère. »

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