Depuis les années Reagan-Thatcher, celles des contre-réformes sur tous les terrains : social, économique, fiscal, démocratique, écologique, etc., les « explications » ne manquent pas. En d’autres termes, le fameux « déficit de pédagogie » est une hypocrisie et un mensonge (comme le déficit des finances publiques, soit dit en passant). Le plus fameux, systémique, est Tina, There is no alternative, qui est par nature une atteinte à la démocratie en voulant clore le débat et les choix. Il n’y aurait pas d’autre option que les politiques économiques « libérales » (traduction : menées au profit du capital, d’une hyper-minorité de la population ici et ailleurs). Et dans ce cadre, il n’y aurait pas d’autres possibilités que, ouvrez la boîte à outils : réduction du « coût du travail » (gel ou baisse des rémunérations, précarisation, temps partie, etc.), baisse des impôts (des hauts revenus et patrimoines, des grandes entreprises et transnationales), compétitivité (baisse du « coût du travail » + dégradation des conditions de travail, maladies professionnelles, burn-out, suicides), réduction des dépenses publiques (des services publics, des solidarités sociales, mais pas des niches fiscales, exonérations et autres CICE). Pour ne prendre que quelques exemples.
E. Macron s’inscrit pleinement dans cette idéologie, celle d’un monde vieux, sclérosé, revanchard. Et, pire encore que ses prédécesseurs, il l’assène au nom de son « expertise » (inspection des finances), de sa « connaissance du code des affaires » (affaires privées, acquise à la Banque Rothschild), de ses savoirs (philosophiques voire historiques, qui lui font dire par exemple que « le peuple n’a pas voulu la mort du roi et qu’il faut remplacer cette absence… par lui-même). Cela s’appelle AA, ou argument d’autorité. Il désigne la figure de style et la posture qui n’entendent pas, n’entendent pas être contredites et n’entendent pas les arguments et faits qui leur son opposés (ce qui fait passer les « On est à l’écoute, On a entendu, On est proches » pour des provocations). AA qui n’hésitent pas à pratiquer les omissions, les manipulations, les mensonges ou tout simplement le déni de la réalité… tout en se réclamant du pragmatisme et du principe de réalité. Cela conduit naturellement aux : « Parce que », « C’est comme ça », « Je l’ai décidé et l’ordonne ». Ou encore : « J’assume ».
Les exemples d’argu-menteurs et de com-menteurs sont nombreux. Ainsi l’ISF ferait fuir des milliers de personnes chaque année et ferait perdre des milliards d’euros de recettes fiscales, par an? Bercy donne les chiffres : 170 millions de pertes fiscales par an, environ 600 personnes parties, beaucoup pour raisons professionnelles et revenant. En revanche, la suppression coûte par an quelque 4 milliards de recettes fiscales et rapporte près de 90 000 euros en moyenne à environ 350 000 contribuables. Les 20 milliards par an du CICE produiraient « d’innombrables emplois »? Son comité de suivi a fait l’évaluation (le gouvernement a tendance à l’oublier, celle-là aussi) : 100 000 emplois environ. Totalement couteux et inefficace, sauf pour les hauts dirigeants et grands actionnaires. Et cela aurait permis de créer des dizaines de milliers d’emplois dans les services publics, qui en manquent et sont de plus en plus démantelés. La « simplification du code du travail », en d’autres termes les facilités de licenciement et le recul des droits sociaux contribuerait à l’emploi (et accessoirement à l’émancipation des travailleurs)? Raymond Soubie, conseiller de présidents - de la République et de grandes entreprises, sur C dans l’air du 26 juin 2017, à la question de savoir s’il y a « des exemples de dérégulation du droit du travail ayant permis de réduire le chômage et la précarité des salariés », admet, après un silence éloquent : « Euh non… ». Le 21 septembre 2017 au 7-9 de France Inter, l’économiste Philippe Aghion, l’un des inspirateurs économiques de F. Hollande et conseillers économiques de E. Macron, professeur au Collège de France (ce qui évidemment ne légitime pas par nature son « autorité »), à la question : « Y a-t-il un lien prouvé et démontré entre la facilité à licencier et la facilité à embaucher ? » répond : « Je pense qu’il y a eu des études, je ne peux pas vous dire quelle étude, mais enfin c’est prouvé, c’est établi ». Ahurissant, sans être étonnant. Il préfère dire cela que de reconnaître qu’elles existent, montrant un lien néfaste sur le plan économique, social et humain. Les exemples pourraient être multipliés, des premiers de cordée au « travailler plus pour gagner plus sarkozien-hollandien au « nous voulons que le travail paie » macronien.
Ce n’est pas une question de rationalité, mais de dogme, de foi, de défense de classe. La révolte Gilets Jaunes l’a éclairé : ces « argus »sont tellement menteurs, contraires aux pratiques et à ce que vit et subit la majorité de la population, que ça ne passe plus et ça craque de partout, le pouvoir est ébranlé. Pierre Dac, humoriste et Compagnon de la Libération, l’avait argumenté à sa façon : « Quand on entend ce qu’on entend et qu’on voit ce qu’on voit, on a raison de penser ce qu’on pense. » La taxe diesel a été le chiffon … jaune. Prétendument faite en faveur de l’écologie voire de l’égalité (oui, avec l’essence!), elle était en réalité destinée à alimenter le budget général de l’Etat, plombé (sic) par les cadeaux multiples et généreux faits aux possédants, ceux-là même qui ont grandement et prioritairement contribué financièrement à faire élire Macron (ainsi que l’a démontré Julia Cagé, dans Le Prix de la démocratie et ses nombreuses interventions ).
Les AA sont colportés par des « experts » issus de « l’élite » ou-et autoproclamés. Ce n’est pas l’argument qui compte, mais l’« autorité » qui l’assène et entend la faire respecter, son autorité. Contre les illettrés, les ne-sont-rien, les paresseux, les oublieux de traverser la rue, etc. En vrac et sans hiérarchie : inspecteurs des finances passés du service public au service privé et revenus au service étatique, dirigeants d’institutions financières bancaires, assurantielles, éditorialistes, économistes, etc. Il n’est pas désigné ici des métiers, mais des positions et leur utilisation. Gilles Le Gendre, ex-PS et président du groupe LREM à l’Assemblée nationale, résume la chose : « Nous avons insuffisamment expliqué ce que nous faisons. Et une deuxième erreur a été faite : le fait d’avoir probablement été trop intelligent, trop subtil, trop technique dans les mesures de pouvoir d’achat. » (17/12/2018, Public Sénat). Cela laisse pantois, pour être poli. Disons les choses comme elles sont. Ça ne marche pas, ça ne marche plus, le roi est nu, le discours est nu, les mesures, toutes les mesures sont comprises et mises à nu pour ce qu’elles sont : une machine de guerre au total profit de la classe possédante, exploitante, dominante. Il n’y a plus d’en-même-temps, il n’y en a jamais eu, à Saint-Macron de l’Élysée, ou alors pour une seule classe.
Et que se passe-t-il quand les dits arguments d’autorité ne passent plus? Il reste l’autorité, l’autoritarisme. Rappel. En 2005, le peuple consulté par référendum vote à 55% contre la ratification du projet de traité constitutionnel européen. Alors que les AA ont fleuri et ont été sans vergogne diffusés par la majorité des médias. Le Parlement vote Oui et l’affaire est dans le sac. Que se serait-il passé si une partie de la population était descendue dans la rue, avait occupé des ronds-points, fait grève, voire s’était dirigée vers les lieux de pouvoir, dont l’Elysée, pour faire respecter son choix, son vote, sa souveraineté démocratique?
Il faut prendre la mesure des choses et du moment autoritaire, post-démocratique voire pire à l’oeuvre. Apprécier l’intensification actuelle. Pour mémoire, si j’ose écrire cela, se rappeler, par exemple, la criminalisation des grévistes de Continental et des arracheurs de chemise d’un DRH de Air France, les violences contre les jeunes (dont Théo et Traoré), la mort de Rémi Fraisse, la négation des suicides professionnels présentés comme personnels, l’acharnement professionnel et judiciaire, contre les lanceur.es d’alerte, les intimidations policières contre les manifestations anti contre-réformes du code du travail et des retraites, etc. Deux éléments symbolisent la situation. Le passage en force présidentiel, par ordonnances, même si, du fait d’une assemblée « playmobil », les lois auraient été votées. La transcription de la loi dite Etat d’urgence en loi ordinaire, dont le titre contient : « sécurité intérieure » et dont le contenu permet le contrôle, l’empêchement et la répression des acteur.es et mouvements sociaux. Elle est complétée par la loi dite secret des affaires, qui permet aux (grandes et transnationales) entreprises de mener leurs affaires en toute tranquillité et de réprimer les empêcheur.es. Elle s’exprime par l’utilisation massive, et la plupart du temps préventive, inappropriée ou-et disproportionnée, de gaz lacrymogènes (dont les pouvoirs refusent toujours de divulguer la composition), de grenades au TNT GLI-F4, de flash-balls et, fait nouveau, de blindés. Mains arrachées, mâchoires fracturées, yeux atteints, etc., la mise en garde de morts possibles a même été avancée. Ce n’est pas une « crise des gilets jaunes », ni une « crise des migrants », mais un déficit de, une crise de démocratie et de république, de droits humains et citoyens.
« Voici une classe qui se tient sage », a donc dit un policier dominant de son autorité 15O lycéen.nes agenouillé.es bras sur la tête ou allongé.es par terre. Violence symbolique et physique en même temps. Anecdotique, comme les « pédagogues » de tous bords ont prétendu? Ou « pédagogique », comme a résumé Ségolène Royal : « Ça ne leur a pas fait mal, à ces jeunes, de savoir ce qu’est l’ordre ». Il y ici la vérité : c’est d’ordre qu’il s’agit. L’ordre des puissants, des possédants, des castes, des oligarchies, des ploutocraties, des apprentis pouvoirs « providentiels ». Des ordres, ceux que la Révolution française et la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ont cherché à amoindrir, à abolir, à remplacer par l’ordre démocratique et républicain. « Voici une classe qui a intérêt à se tenir sage et à accepter mon ordre », dit la classe au pouvoir. Une classe pour qui la démocratie, c’est voter tous les 5 ans et se tenir sage pendant 5 ans. Et maintenant? Et après?