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Billet de blog 29 octobre 2018

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« Je ne vous répondrai pas », lance et tance le président.

La langue et la posture de E. Macron énoncent avec clarté l’état des choses et sa pratique de l’État. Répondre signifie en même temps : donner une réponse, et être responsable. L’a-responsabilité présidentielle a encore frappé. Et là, il s’agit de la vente d’armes de destruction massive à une dictature.

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« Je ne vous répondrai pas », a tonné Macron au salon Euronaval le 24 octobre 2018. Répondre à quelle question? Celle de la vente d’armements divers à l’Arabie saoudite, chef de file d’une « coalition » menant depuis 2015 une guerre au Yemen contre la rébellion houtite*. Une guerre non validée par l’Onu, d’où le terme et la pratique de coalition, déjà employés, par exemple, par Bush pour mener la sienne en Irak. Guerre principalement aérienne et largement tournée contre les civils, hommes, femmes et enfants, ainsi que les infrastructures vitales. Une guerre hors la loi avec les conventions internationales en la matière, tant dans la façon de la mener (bombardements indifférenciés, contre des civils et des bâtiments non militaires, etc.) que dans le refus de « corridors humanitaires » demandés par l’Onu, dont le rapport du groupe d’experts mandaté sur la violation des droits de l’homme au Yemen a conclu en septembre à des crimes de guerre. Guerre ayant déjà provoqué la mort, il faudrait dire : l’assassinat, de quelque 10 000 humains, et l’exil, faudrait-il dire la migration?, de dizaines de milliers d’humains, ainsi que l’état d’urgence humanitaire pour 22 millions de Yéménites, selon la même ONU. Dont fait partie la France.

E. Macron balaie tout cela d’un revers de main, pour ne pas dire d’une revers de poing, car il y a de la violence dans sa réponse non réponse, au prétexte que « Mon agenda n’est pas dicté par les médias, que cela vous plaise ou pas. » Que cela vous plaise ou non? Pitoyable et méprisant en même temps. C’est quoi votre agenda, sur ce sujet, monsieur le Président? Vous estimez-vous victime de questions décrétées  intrusives voire illégitimes, que vous rhabillez donc en tenue de combat sous l’expression « agenda » des médias? Dans le même temps, le ministre allemand de l’économie a appelé les Européens à ne plus autoriser l’exportation d’armes vers l’Arabie saoudite. (Nous réclamons la « convergence et un front commun France-Allemagne », pour employer ce vocable macronien à géométrie ultra-variable!) Dans le même temps, des débats et enquêtes, parlementaires notamment, ont eu lieu dans de nombreux pays exportateurs d’armes vers l’Arbre saoudite : Suède, Pays-Bas, Belgique, Royaume-Uni, et… États-Unis - même si les exportations continuent plus ou moins.

E. Macron ne répond pas, directement, mais, mais… il a déjà répondu ou fait répondre. Par exemple, le 12 octobre à la télévision il a affirmé qu’il est « faux de dire que l'Arabie saoudite est un grand client aujourd'hui de la France dans quelque domaine que ce soit, ce n'est pas le cas ». Ah!, vraiment? Soit il ne connaît pas le dossier, ce qui relèverait d’une hénaurme incompétence ou légèreté. Soit il ment. Ce pays est le 2e acheteur mondial d’armement français, derrière l’Égypte, autre dictature criminelle : 1,4 milliard € en 2017, quelque 12 milliards depuis 2008. Il avait ajouté, pour camoufler la chose : « Nous avons avec l'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis un partenariat de confiance dans la région qui est important, qui n'est pas commercial, qui est stratégique… ». Que la novlangue est belle, décidément! Quant à Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires étrangères, il déclare dans l’Opinion le 25/10/2018 : « La France n’est que le sixième fournisseur d’armes de l’Arabie saoudite. » Cela s’appelle désormais : vérité alternative, complémentaire au story-telling, à traduire par : affabulation. De toutes façons, la question n’est pas celle du volume d’armes vendues, mais du respect des traités et conventions internationales, dont la France est signataire et que bien d’autres pays ont décidé d’appliquer.

« Ça ne veut pas dire qu'on ferme les yeux », avait, comment dire, plaisanté, B. Grivaux. Trop jeune ou ignorant pour se souvenir de la publicité : « J’achète tout les yeux fermés aux Galeries Lafayette », et celle de la BNP : « Votre argent m’intéresse ». Ce qui est avancé ici, c’est : « Je vends toutes mes armes les yeux fermés, car l’argent intéresse les industries d’armement », appartenant désormais en quasi-totalité à des groupes privés. (Dans ce sens, ce n’est pas « La France » qui vend ces armes, mais ces groupes, dont le président et le gouvernement français autorisent et facilitent la vente en agissant comme leurs représentants de commerce. Cela s’appelle : complexe militaro-industriel-politique.) La ministre des Armées, ou de l’Armement, ou de la Guerre, c’est comme vous le voulez, Florence Parly avait de son côté osé, en juillet, lors d’une audition devant la commission de la Défense, à l’Assemblée nationale, un exercice de haute-voltige et de basse décence: « Je voudrais (…) mettre un terme à la fiction selon laquelle on vendrait des armes comme des baguettes de pain ». La comparaison, déjà, est éclairante. Selon elle, chaque licence d’exportation serait accordée après un « examen extrêmement minutieux qui est réalisé au plan interministériel, sous l’autorité directe du Premier ministre (et un) débat contradictoire extrêmement approfondi ».  Extrêmement, en effet : extrême ment. Ce genre de présentation ne mange pas de pain… La ministre aligne les « bonnes raisons », pour faire accroire que le président et le gouvernement agiraient pour la « bonne cause » : l’Arabie saoudite ne fait que se défendre à sa frontière (comme si elle n’était pas présente et intervenant au Yémen même); y a du terrorisme partout partout et 30 000 Français dans la région (avec cet « argument, le président devrait rejoindre la coalition russe en Syrie); nous veillons au droit international (avec de belles paroles?, voir plus haut); nous avons demandé à l’Arabie saoudite la mise en place de corridors humanitaires (demander ne mange pas de pain, mais prendre des mesures résolues, déterminées et sans paresse, pour obtenir?), etc., etc. F. Pardi, pardon : Parly, conclut par un sublime : « Il faut regarder comment les armes sont utilisées précisément ». Ben justement, les informations et études existent. De même qu’il existe le Traité international sur le commerce des armes (TCA) qui a force de loi en France depuis sa ratification par le Parlement le 2 avril 2014. Encore faut-il  ne pas tenter des contorsions et et des tartufferies. Ni fermer les yeux. Ni tenter de fermer les yeux et l’esprit des personnes et structures cherchant à faire connaître et à dénoncer la réalité.

E. Macron ne répond pas, et en même temps il assume - un de ses mots chéris -, de ne pas répondre et de laisser « la France » vendre pour des milliards d’armements à un État dictatorial et criminel menant une guerre illégale et barbare en dehors de ses frontières (à l’intérieur, c’est du même « ordre »). En d’autres termes, en même temps il répond de ses actes et n’en répond pas. Trop fort, n’est-il pas? Mais pas nouveau, décidément. Dans l’affaire BenallÉlysée, n’a-t-il pas agi ainsi, en pastichant une scène digne du Tartarin de Tarascon : « Je suis seul responsable. Qu’ils viennent me chercher! » Ce n’est pas que le « ils » est volontairement flou, comme les « paresseux, fainéants, cyniques, réfractaires » qu’il aime brocarder. Ce n’est pas qu’il ne répond pas sur les éléments de cette affaire d’État, après avoir tenté de la camoufler puis de la minimiser. C’est qu’il sait pertinemment qu’il est i.responsable, en vertu de la Constitution. Il peut répondre n’importe quoi! Une attitude bravache, surtout irresponsable en tant que garant de la Constitution et, en outre de la justice, car une telle phrase, lancée avec vigueur pour ne pas dire une violence verbale certaine, a tout pour impressionner la justice, précisément.

Bref, monsieur le Président répond selon son bon plaisir, de la manière qu’il lui plaît. En d’autres termes : « Qu’ils viennent me faire répondre! » et « Silence dans les rangs » et « Ainsi sont mes ordonnances ». Cela s’appelle aussi : Secret des affaires et Affaires secrètes (voir mon article intitulé ainsi). Les affaires sont les affaires est le titre d’une pièce de théâtre de l’écrivain Octave Mirabeau, parue en 1903, lors de cette période appelée Belle Époque, mais pour qui? Ce fut en effet l’apogée de l’affairisme. Dans le nouveau monde, cela s’appelle start-up nation, entre autres. Le président ne répond pas, et en même temps la démocratie et la république sont de plus en plus aux abonnés absents.

* La nature, les forces en présence, les enjeux, etc. de la guerre auYémen ne sont pas abordés ici.

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