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Billet de blog 30 juillet 2018

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Inapproprié, vous avez dit inapproprié?

L’affaire Benalla, qui est en réalité sauf à être dans le déni, l’affaire Elysée&Co, comporte une arborescence d’éléments langagiers qui ressortissent de la novlangue. Renommée éléments de langage, feuille de route sémantique ou charte de valeurs. Parmi ceux-ci, figurent inapproprié et approprié. Ce qui est pour le moins… inapproprié.

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Approprié et inapproprié sont utilisés par les pouvoirs dominants comme des vocables passe-partout, des mots-valises, des camoufleurs ou encore des euphémismes. Ils font partie de cette cohorte dont font aussi partie, entre autres : bavures (policières), optimisation (fiscale), (contre-)réforme, plan social et plan de maintien de l’emploi (licenciements), charges (cotisations sociales). Dans l’affaire BenallÉlysées, ils tentent de recouvrir divers manquements ou actes répréhensibles, aux sens éthique et juridique.

Ainsi, le directeur de cabinet de E. Macron mentionne dans le courrier adressé à M. Benalla, le 3 mai, « un comportement manifestement inapproprié ». Il semblerait qu’il ait alors connaissance des faits montrés par les vidéos. Et il lui inflige (sic!) une mise à pied de 15 jours qui, de nouvelles révélations le montreront par la suite, n’a pas été suivie d’effet, au vu et au su des personnes et services concernés. Ni comporté la retenue sur salaire, contrairement à ce qui fut d’abord affirmé. Une sanction que le porte-parole de l'Élysée Bruno Roger-Petit qualifia, dans une conférence de presse post-révélation du Monde, d’appropriée. Imaginons un.e syndicaliste occupant son usine et la défendant contre les forces de l’ordre ou un groupe de vigiles privés envoyés par la direction, donnant des coups de casque sur la tête ou de pied dans le ventre de l’un d’eux. Une mise à pied de 15 jours (sans retenue de salaire, évidemment)? Chiche! De fait, une chemise déchirée, un jet de confettis, un brûlage de pneus, le renversement de pots de leurs et de chaises, un camion-poubelle détourné pendant quelques heures dans le cadre d’un mouvement social, des insultes aux forces de l’ordre, un refus de se faire contrôler une fois de plus par les mêmes policiers ou de donner son Adn, sont autrement sanctionnés, par l’employeur et par la justice, l’employeur faisant d’ailleurs appel à la justice (ce que l’employeur de M. Benalla a tout fait pour éviter, y compris contre la loi). Quant à la sanction envers M. Benella dite « la plus lourde prise dans l'histoire de la Ve République », selon le même porte-éléments de langage, c’est soit une ignorance affligeante, soit un mensonge sidérant, soit une parole de mépris.

Participant à un débat sur la réforme constitutionnelle (cela s’appelle concordance des temps!) à l’Assemblée nationale, la ministre de la justice, garde des sceaux Nicole Belloubet a parlé de « gestes absolument inadaptés ». Manifestement, absolument, mais seulement inadaptés. Ni répréhensibles, ni délictueux. Un peu comme l’optimisation fiscale dite agressive, mais pas frauduleuse. Nous sommes le 19 juillet, l’affaire a déjà manifestement mais peut-être pas encore absolument, dans son entièreté, montré son ampleur et son sens. Le même jour, le président des députés La République en Marche, Richard Ferrand évoque sur LCI un "comportement manifestement inapproprié »… Le 22 juillet, E. Macron aurait évoqué le « comportement inacceptable » de son proche collaborateur. Quelle audace, près de trois mois après! En revanche, il ne qualifie pas d’inacceptables son propre comportement et celui de son exécutif, dans leurs tentatives de minimiser, dissimuler, empêcher les investigations, et d’accuser « les médias » et les adversaires politiques. Bref, tout sauf la description précise et appropriée de la réalité des faits.

Inapproprié? Son usage ici est approprié à la dénaturation des mots, leur détournement, leur évidement, leur manipulation. Car quels sont les synonymes et la perception de ce vocable? Citons-en quelques-uns : déplacé inadapté, inadéquat, fâcheux, inopportun, intempestif, incorrect, inconvenant, choquant, impoli, grossier, indécent, incorrect, obscène, incongru, choquant, mauvais. Ce peut être le cas, parfois. Mais certainement pas ici, l’inventaire allant de barbouzerie, coups et blessures volontaires (article 222-13 du code pénal), immixtion dans une fonction publique (article 433-12), exercice créant la confusion avec une fonction publique (article 433-13), dissimulation à l’encontre de l’article 40 du code de procédure pénale obligeant « Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs. » Or, l’affaire a été quasi immédiatement évoquée en réunion de cabinet présidentiel, comme le rapporte France Inter. La décision, jugée appropriée, a été prise de ne pas agir, malgré les impératifs éthiques et légaux. Au motif que « si dans les 15 jours l’affaire ne [sortait] pas, elle ne [sortirait] jamais ». Seule la révélation par un média et sa reprise par d’autres mit en branle l’affaire et la justice!

Si les mots, et les actes correspondants, ont un sens, il s’agit  au sens propre de délinquance, de crime, ce dernier mot ne désignant pas uniquement un crime de sang mais, précisément, l’illégal, le hors-la-loi d’un individu ou d’une structure (voir www.lexilogos.com/francais_dictionnaire.htm et le dictionnaire de l’Académie française). Autres synonymes : forfait, forfaiture…

L’usage du vocable inapproprié doit donc être questionné par celles et ceux, personnes et collectifs qui entendent dénoncer des actes, des dispositifs, des systèmes relevant de l’oppression, de l’exploitation et de la domination (ceci énoncé ainsi pour faire synthétique). Il doit être exclu quand il s’agit, par exemple, de fraudes et évasions fiscales, de corruption, de harcèlement et d’agression sexuelle, de viol, d’actes racistes et xénophobes en tous genres, de manipulation des cours boursiers, de non-respect des codes, du travail en particulier, et des lois (ce qui explique pour partie pour quelle raison les pouvoirs dominants ne cessent de vouloir les « simplifier, moderniser et … adapter » afin de les rendre appropriés à leurs objectifs et aux intérêts de leur classe). Car bien souvent, l’usage du vocable inapproprié vise à minimiser et à éviter la justice ou à trouver un accord avec non pas elle, mais avec les pouvoirs en place. Y compris en tentant d’écarter la justice : le rapprochement entre l’évitement de l’article 40 dans l’affaire BenallÉlysées et le verrou de Bercy (accord entre le fraudeur et l’administration fiscale, qui ne transmet pas l’affaire à la justice), est éclairante sur l’opacité recherchée et pratiquée.

Les agissements et les comportements du pouvoir, et au plus  haut sommet de l’Etat, sont-ils seulement « inappropriés »? La question est posée. De fait, cette affaire est parfaitement appropriée, au sens de représentatif, au moment actuel en France (et dans bien d’autres pays), que l’on décide de le nommer post-démocratie,  monarchie post-républicaine, présidentialisme autoritaire ou néo-fascisme du néo-libéralisme. Nul doute que d’autres révélations interviendront, et que le pouvoir macronien tentera de les « réadapter », de les « reconfigurer », de les délégitimer, de les faire oublier. Mais quand le roi est nu, il lui est souvent difficile de se vêtir de nouveaux habits, puisqu’il a déjà opéré la manoeuvre.

Ce pouvoir est-il approprié aux besoins, attentes et aspirations de la grande majorité de la population? Il est de plus en plus évident, même aux yeux de qui a voulu ou espéré y croire, que ce n’est pas le cas. Au contraire : il leur est inapproprié, de façon résolue et violente, de façon symbolique et physique. Affaire, d’Etat et donc d’intérêt public. A suivre et à poursuivre…

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