Bordel a entre autres significations : désordre, bazar, mais aussi sale, comme dans « bordel de merde » ou ce « sale pays » (Zola, Sartre). Genre darmaninesque : Salir le pays, le drapeau, la patrie, la « croissance », la présidence M&co. Il y aurait aussi un peu de chaos, pour ne pas dire de chienlit (De Gaulle, mai 1968). Bordéliser est un néologisme, un peu comme dans : darmaniser.
Il est possible de penser que G. Darmanin, ici désormais GD (comme dans : j’ai des …) exprime une fébrilité certaine face à la montée des colères, des revendications, des luttes, dont les sujets retraites, salaires, conditions de vie et de travail, discriminations, services publics, pratiques policières violentes, entre autres.
Il est possible de penser que GD veut monter sur ses ergots sans ergoter, sans barguiner, sans langue de bois. Et même, comme il est avancé dans ces cas-là par les porte-parole des pouvoirs : faire peuple, user de la langue du peuple, parler comme lui - argutie qui conjugue ignorance, mépris, démagogie. C’est ridicule, et le ridicule hélas ne tue pas les gens de pouvoir, qui osent tout, même cela. Se souvenir ainsi de N. Sarkozy et son « casse-toi pauv’ con » à une personne qui refusait de lui serrer la main. Sans oublier la catégorisation des « fumeurs de clopes et bouffeurs de diesel », entre autres, décidément.
Il serait encore possible de se souvenir de son, à GD, « adresse » pour ne pas dire remontrance à M. Le Pen, la jugeant « trop molle » sur des questions comme « l’immigration ». Conjuguant machisme, paternalisme, volonté de dépasser l’extrême-droite sur la droite, en vertu d’une certaine idée de la « concurrence libre et non faussée » en matière populiste, vraiment.
Oui, mais il faut surtout penser à ceci, résumé très succinctement pour indiquer un sens, une trajectoire. Quelques faits et dates récentes :
> Début 2016, au moment d’une des luttes contre la contre-réforme Code du travail, l’alors dirigeant du syndicat patronal Medef avait qualifié les militants CGT de « voyous et de terroristes ». Il avait bien voulu, merci monseigneur, revenir sur terroriste, mais pas voyous, faut pas exagérer dans la « repentance » (clin d’oeil, évidemment).
> En mars, dans la foulée en quelque sorte, dans l’émission On n’est pas couché l’éditocrate Franz-Olivier Giesbert déclara : « Les présidents ont plus peur de la CGT que de Daech ». Il persista dans son édito du Point : «Même si la comparaison peut paraître scabreuse, est-il si illégitime d'oser la formuler ? La France est soumise aujourd'hui à deux menaces qui, pour être différentes, n'en mettent pas moins en péril son intégrité : Daech et la CGT.» Vous avez dit : scabreux? L’excellent site Acrimed, qui ausculte la sphère médiatique, a recensé la fréquence, la récurrence et la novlangue autour des vocables « otages », « prise d’otages » ou « en otage » « blocage du pays, de l’économie, de la refondation… » à chaque grève notamment des transports et de l’énergie. Sans parler du récent « mise en danger des personnes », lors de grèves ou du retrait dans les services hospitaliers. (Voir l’excellent site Acrimed, observateur avisé de l’espace médiatico-politique, qui en recense la fréquence, la récurrence, la violence discursive.)
> En octobre 2017, E. Macron lance à des salariés de GM&S luttant contre les licenciements venus l’interpeller : "Certains, au lieu de foutre le bordel, feraient mieux d'aller regarder s'ils ne peuvent pas avoir des postes là-bas ». C’était le langage du peuple, ou pour se faire comprendre, paraît-il! GD, élève attentif et appliqué.
> Le 30 octobre 2022 GD « commente » la manifestation de Saint-Soline et les heurts entre gendarmes et manifestant.es opposé.es aux mégabassines, ces réserves de substitution destinées à l’irrigation agricole intensive mais menaçantes pour l’usage public et les réserves des nappes phréatiques. Selon lui il s’agit de « éco-terrorisme », à l’égal donc du, suivez le menton, le doigt, le regard, du terrorisme djihadiste. Ce n’est plus là un néologisme, mais une création de toutes pièces. Qui conjugue la volonté de faire peur, comme d’habitude, la tentative de disqualifier et délégitimer, l’imposture politique et juridique (cquoi, l’éco-T? ). Savoir aussi que tout ce qui aux yeux du pouvoir ressemble de près ou de loin à la désobéissance civile, est désormais rapproché de ce « concept » de « éco-T ». Où l’on rejoint l’utilitarisme et l’utilisation de la loi Sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme, du 30 octobre 2017, destinée à la transformation (un des vocables chéris de ce pouvoir) des précédentes lois d’urgence et d’exception, en loi ordinaire, tout en en renforçant certains aspects autoritaires et répressifs. Se souvenir également de la loi Séparatisme. Sans parler des dispositifs visant à contrôler le « respect des valeurs républicaines » (assez vagues et extensives pour servir à discrétion) par des associations en particulier, sous peine de perdre leur droit à l’existence ou-et à des subventions ou droits à dons défiscalisés.
Bordel, la France est l’un des pays au monde disposant du plus grand nombre de lois dans cette catégorie! C’est un bazar juridique de grande ampleur, qui menace l’équilibre, l’équilibre de la démocratie et des libertés, non?
> Ceci encore : la loi pour du 25 mai 2021 pour « une sécurité globale préservant les libertés ». Mais où vont-ils chercher ces intitulés? Chez Mac Kinsey? Bon, Préserver les libertés, ou les Réserver? Et de quelles libertés s’agit-il?
Poursuivons, poursuivons, et qu’un bordel impur. Qu’un pur bordel…
> M. Véran fait partie de ces personnes qualifiées comme « venant de la gauche », genre Castaner, Le Gendre, Borne &co. Comme si c’était un label de, de quoi? Passons, par charité, mais remarquons cette utilisation politico-médiatique « pédagogique ». M. Véran, donc, désormais porte-la-bonne-parole des « plus hautes autorités », a proclamé le 23 juin 2022 son « refus de considérer LFI dans l’arc républicain ». Il est interdit de se gausser, de se fendre la poire, de se bidonner, quoi. Et les député.es LFI, il en fait quoi? Il se croit où, là? Le président n’a dit mot, donc consent, voire inspire.
> Le 30 août 2022, sur le plateau de Quotidien, É. Borne a validé. Elle a considéré que le mouvement insoumis se situait « en dehors de l’arc républicain ». Sa justification ? Le refus de LFI, et de l’ensemble de la NUPES, d’avoir été dans la « co-construction » avec le parti présidentiel lors de la session extraordinaire cet été à l’Assemblée nationale. Pas d’accord pour « co-construire »? Et hop : pas dans « l’arc républicain ». Arc républicain? Cela sort d’où, ce machin? « Co-construire »? Elément de langage pour signifier : on se concerte, on papote, on accepte une cacaouette à la marge. Mais : c’est la seule alternative, c’est comme cela et pas autrement, « c’est pas négociable », « à la fin c’est moi qui décide » comme aime à lancer Macron. Ce n’est plus le « Pas avec moi donc contre moi », mais : « Pas avec moi donc pas républicain.e ni démocratique ». On en est là, dans le langage, dans les expressions, dans déjà certains actes. Inquiétant.
> Le 7 juillet 2022, Pap Ndiaye le ministre de l’Education nationale déclare que « Les Insoumis, par certaines de leurs expressions et certaines de leurs véhémences, me paraissent en situation (...) limite du point de vue de (l’) arc démocratique et républicain ». Certaines? A la limite? Il va encore plus loin que Véran et Borne : arc républicain ET démocratique. Elève paresseux et obéissant.
> Pas vraiment une disruption (euphémisme) avec JM. Blanquer. Qui accusait une « partie non négligeable des sciences sociales françaises d’être gangrénées » (vocable choisi avec soin) par quoi vous savez ou savez pas : le « wokisme », les études sur la colonisation et la colonialité, les études de genres, sur les discriminations, etc. Jusqu’à initier et ouvrir un « colloque » à la Sorbonne sur le sujet en janvier 2022. Pour dénoncer la chose, et les personnes, associations, équipes de recherche, etc. qui débattent et travaillent sur ces sujets. Se souvenir de F. Vidal, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, tentant de « missionner » le CNRS sur « l’influence de l’islamo-gauchisme » dans l’université. Pour émettre un « décret de séparation » avec les "pas-républicain.es" ?
De tout cela ressort un vieux truc des pouvoirs autoritaires : la figure de l’ennemi intérieur, de la 5e colonne (contre la mondialisation heureuse, forcément heureuse du capitalisme financiarisé, et encore plus à la française!), de l’anti france start-huppée nation. Il flotte comme un air rance et glauque de la déchéance de républicanisme voire de démocratie, allant au-delà de la vague mais opportunément manipulatrice accusation de « non-respect » des « valeurs républicaines ».
> GD ne cite pas la CGT ni aucun syndicat de travailleur. Pas fou, il considère que l’intersyndicale actuelle est une réalité, que notamment la CFDT y participe et a exprimé avec la plus grande clarté et fermeté son opposition à la contre-réforme des retraites.
> Comme généralement, il réserve ses attaques contre les « vrais opposant.es", et reste mou, mais moui, contre le F/RN. Logique, le F/RN est mou vis-à-vis de ce pouvoir, par exemple en s’abstenant à l’Assemblée nationale, après les habituelles rodomontades. Faudrait pas se tromper d'ennemi, quand même, ni les mettre dans le même sac (sauf par ci par là, question de rhétorique et de posture).
Faire un rêve, construire un possible, des possibles
Anti-républicains, séparatistes, privilégiés, paresseux, réfractaires, mettant le bazar, salisssant l’esprit des lois de la République… ont accusé les membres et soutneur.es de cette présidence, et des précédentes, toutes choses étant égales par ailleurs.
Mais renversons le discours, avant de renverser la table. Cela ne désigne-t-il pas plutôt en particulier les hauts-patrimoines, les 1% possédant autant que 50% de la population, les managers dirigeants associés des transnationales et « grandes entreprises »? Les avides de dividendes : la France, premier pays européen distributeur de dividendes (dont la fiscalisation a été passée de 45% à 30% dès la première loi des finances de M.&co), crise ou pas crise, quelque 60-80 milliards par an, au détriment du monde du travail, des classes populaires, des conditions de vie et de travail ? Les forcené.es des défiscalisations, subventions exonérations en tous genres (dont les cotisations sociales pour les retraites et l’assurance sociale), quelque 160 milliards par an, dont les 20 milliards du CICE pour 100 000 emplois environ (chapeau l’efficacité, en tout cas pas pour les emplois) et 50% des quelque 120 milliards par an de niches fiscales (les appeler par leur vrai nom : dépenses publiques) jugées par la Cour des comptes « inutiles et coûteuses » ? Et les évadés-exilés-paradiseux fiscaux, si peu poursuivis et punis, même quand ils sont en relation avec des Etats dictatoriaux ou-et directement ou indirectement terroristes ? Et la non-contrainte, vraiment, de l’égalité salariale femme-homme à travail et responsabilités égales, une atteinte à l’égalité républicaine et à la contribution des caisses de retraite (plus de salaires, plus de cotisations sociales)? Et toutes ces lois, ces dispositifs, portant atteinte aux services publics et à leur accès? Et, Et, ET? ET? Et? Et ce capitalisme financier autoritaire et brutaliste, qui met tant et tant le bordel dans les corps, les sociétés, les écosystèmes, les vies et les avenirs des vivants de toutes sortes?
Ce ne serait pas celui qui l’dit qui l’fait, le bordel?