Un débat sur « l’identité nationale » est désormais ouvert par un gouvernement qui ne cesse de faire la courte échelle à l’extrême droite. Les restrictions adoptées par l’Assemblée nationale sur le droit du sol à Mayotte ont décidé le Premier ministre à annoncer un débat plus large sur « Qu’est-ce qu’être français ? ». A cette question, le ministre de la Justice répond qu’ « être français, ce ne peut pas être le hasard de la naissance ». Ayant choisi de devenir « Citoyen du Monde », il y a quelques semaines, et possédant de ce fait une carte d’identité de Citoyen du Monde, je voudrais exprimer quelques idées force sur cette question.
Si être français signifie de se reconnaître dans les valeurs de la République, Liberté, Égalité, Fraternité, je constate que ces valeurs sont universelles, qu’elles ne sont pas spécifiques à notre identité nationale et qu’elles méritent d’être défendues partout. Surtout, il est assez évident qu’elles ne constituent pas la matrice de toutes les décisions politiques, économiques, sociales et écologiques depuis très longtemps dans notre pays. Que signifie donc de brandir ces valeurs si celles et ceux qui, élu.es, ne les respectent pas ? Ne sont-ils plus « Français » celles et ceux qui prennent des orientations et des décisions qui vont à l’encontre de ces valeurs ?
La question de la laïcité est plus problématique. La « laïcité à la française » est devenu un dogme rigide source de crispations et d’intolérances. Si la séparation de l’État et des religions est indispensable, le fait de vouloir invisibiliser le « religieux » dans l’espace public provoque des lois liberticides qui suscitent des conflits bien inutiles. Au départ, la laïcité devait être au service de l’émancipation de chacun.e, dans le respect des croyances individuelles. Dans les faits, elle est devenue un outil instrumentalisé par des partis extrémistes pour stigmatiser les musulmans. Notre pays a besoin d’une laïcité plus ouverte, qui respecte les croyances dans l’espace public, comme cela existe dans beaucoup d’autres pays démocratiques. Est-ce contraire à l’esprit français que de prôner une laïcité moins stigmatisante et plus tolérante ?
Je remarque également que beaucoup de citoyens dits « français », en votant pour des partis d’extrême droite, voire d’une certaine droite, renient les valeurs républicaines : la liberté quand le droit à l’avortement est remis en cause ; la fraternité quand les migrants sont affublés de tous les maux de la terre et que l’on veut les renvoyer chez eux ; l’égalité, quand les minorités LGBTQ+ sont attaquées dans leur identité et dans leurs droits. Ceux-là qui défendent ces idées nauséabondes sont-ils toujours Français ? Les discours d’exclusion vis-à-vis de certaines minorités sont-ils compatibles avec l’esprit des Lumières, qui est au fondement de notre identité commune ? Les idées de haine qu’ils véhiculent sont-elles compatibles avec les valeurs de la République ? Ces gens-là se considèrent pourtant comme les seuls défenseurs de « l’identité française » ? Je n’ai rien à voir avec ces « Français » là. Je combats leurs idées au nom des valeurs essentielles et universelles que notre pays a proclamées en 1789. A ce titre, suis-je donc moins Français qu’eux ?
Que signifie « être Français » du point de vue de notre histoire nationale ? Faut-il prendre cette histoire « en bloc », la considérer comme faisant partie de notre héritage commun ou bien avons-nous le droit, en tant que Français, de jeter un regard critique sur toutes les périodes où la France, ses élites, son armée, sa religion dominante, se sont égarés sur des chemins qui étaient à l’opposé des valeurs de la civilisation ? Chaque fois que des citoyens français ont dénoncé des crimes, des injustices, des oppressions qui étaient le fait de l’État ou de l’armée française, ne les a-t-on pas souvent accusés d’être « l’anti-France » ? A cet égard, avons-nous eu le courage de regarder en face les tortures commises en Algérie, au nom d’une « certaine idée de la France » ?
Dans mon livre Démilitariser la France, plaidoyer pour un pays acteur de paix1, outre que je montre que la France est l’un des pays les plus militarisés au monde, je dénonce la culture militariste qui domine depuis des siècles dans ce pays, ces dépenses d’armement exponentielles, ces défilés militaires du 14 juillet aussi indécents qu’inutiles, cette militarisation constante des esprits, particulièrement de la jeunesse. Je le fais au nom des valeurs « républicaines » auxquelles je crois et que je nomme d’abord valeurs de la civilisation. Suis-je en dehors de la communauté nationale quand je dénonce cette incohérence entre ces valeurs et les choix militaristes de notre pays ou ne suis-je qu’un citoyen qui utilise sa propre liberté d’expression pour dire ce qu’il pense, ce qui est paraît-il au fondement de notre Constitution ? Est-ce un « trouble à l’ordre public » que de manifester ouvertement son désaccord avec la politique de défense de la France ?
Objecteur de conscience au service militaire dans les années 80 et ayant effectué, légalement, un service civil d’une durée double (2 ans), j’ai affirmé par ce choix mon refus de cautionner l’institution militaire, mon refus d’apprendre à tuer, mon refus de toute guerre car il n’existe pas de « guerre juste », ma volonté de contester la course aux armements à laquelle la France participe, ma volonté de défendre autrement que par les armes mon pays si celui-ci devait être menacé. Ai-je été un « mauvais Français » pour ne pas avoir fait mon service militaire ? Je souligne que dans le cadre de mon service civil, j’ai contribué à des réflexions et des écrits sur la défense civile non-violente, au sein de l’Institut de recherche sur la résolution non-violente des conflits (IRNC) et du Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN). Se défendre oui, mais sans se détruire, telle est toujours ma vision de la défense. Cela est en opposition avec les valeurs militaristes de la France ; suis-je donc de fait exclu de la citoyenneté française ?
Non, décidément, il n’y a pas de réponse à cette question « Qu’est-ce qu’être français ? ». La question ne devrait d’ailleurs pas être posée. Elle ne peut qu’être source de divisions, d’exclusions et de violences. Notre communauté nationale est plurielle, elle est faite de métissages successifs, elle s’est enrichie au fil du temps d’influences diverses (africaines, maghrébines, asiatiques, européennes…). Cette diversité est une richesse qui ne doit pas être remise en cause. Certes, toute communauté a besoin de règles, mais ces règles doivent être au service du vivre ensemble, de la justice et de l’intégration. Elles ne doivent pas être un levier pour mépriser, exclure, violenter.
Les seules questions qui mériteraient d’être discutées, en France comme ailleurs, ce sont les questions relatives à notre humanité commune. Comment inscrire la justice au fondement de nos politiques publiques ? Comment faire vivre la tolérance, la diversité et l’ouverture aux autres pour délégitimer les préjugés sources de guerres ? Comment apprendre à vivre ensemble en se respectant, en faisant reculer la violence ? Comment, par la coopération internationale, chercher à résoudre les grands défis qui se posent à l’humanité ? »
C’est précisément parce que je considère ces questions comme essentielles que je suis désormais Citoyen du Monde, au-delà de mon pays de naissance que je n’ai pas choisi. J’appartiens à une humanité globale avant d’être membre d’une communauté nationale. Les frontières sont des constructions plus ou moins artificielles qui ont toujours engendré des patriotismes stupides, sources de guerres entre les nations. La solidarité internationale entre les peuples, le soutien à toutes les luttes pour les droits des peuples opprimés, la responsabilité envers l’avenir de la planète, la culture de la non-violence et de la paix pour un monde plus juste et plus pacifique, tels sont les idées et les combats qui m’animent. Je n’oublie pas mes racines « nationales », mais elles seront toujours un tremplin pour la défense des idéaux universels.
Il y a qu'un seul rêve que je poursuive qu'une seule phrase qui en moi résonne
Par-delà les frontières la Terre doit appartenir à tous ou à personne. HK et les Saltimbanks
1Chronique Sociale, 2022.