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Billet de blog 5 avril 2022

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Corse: quelle économie pour une autonomie?

Quelle est la situation économique et sociale de la Corse ? Répondre à cette question peut aider à ouvrir des pistes pour un statut d’autonomie. Une autonomie aide-t-elle une région à se développer ? Pour se faire une idée, j’ai essayé de comparer certaines données économiques et sociales de plusieurs régions autonomes méridionales. Il n’y a pas de réponse tranchée. Chaque île doit s’adapter.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Un statut d’autonomie permet-il à une région de s’enrichir, ou du moins d’améliorer sa situation antérieure. Depuis plusieurs dizaines d’années le débat, en Corse, se focalise autour du thème de l’autonomie, voire de l’indépendance. L’actualité a remis en selle la réflexion sur l’autonomie. Mais un constat s’impose, dans les médias : c’est la phraséologie politique qui domine : « plus de pouvoirs régional » et  surtout, beaucoup de considérations juridiques sur une autonomie : « de plein droit » ou bien encore « de plein exercice ».

J’ai déjà résumé, dans un article précédent, les trois volets  « constitutionnels » des statuts d’autonomie connus, autrement dit, la répartition des pouvoirs dans trois domaines :

.Partagés (État-région)

.Exclusif (État)

.Exclusif (Région)

Mais, pour la Corse,  tout cela demeure théorique et se cantonne, pour l’instant, aux grands principes. Chaque région autonome voit ces trois domaines s’appliquer, concrètement, à des prérogatives différentes. Elles ont été négociées, de manière précise, préalablement, entre l’Etat central et les différentes régions. Elles ne portent pas partout, sur les mêmes thèmes politiques et économiques.

En Corse, pour le moment, nous ne savons pas quels sont les points précis sur lesquels pourraient s’exercer les pouvoirs,  exclusifs et/ou partagés.

Je n’entends pas, ici, faire de propositions. Il s’agit d’abord de comprendre quel est l’état des lieux en matière économique et sociale. Une (brève) comparaison avec d’autres îles autonomes peut nous y aider.

De plus cette comparaison, même si elle n’est pas raison, peut nous permettre de relativiser nos difficultés, réelles ou supposées. C’est aussi une méthode pour faire la part du possible et du fantasmé.

Un outil de comparaison, le PIB

Pour comprendre la situation de la Corse, au niveau européen, j’ai choisi le Standard du Pouvoir d’Achat (SPA), une des versions du PIB.

Le Produit Intérieur Brut (PIB) est une mesure de l'activité économique. Il est défini comme la valeur de tous les biens et services produits moins la valeur des biens et services utilisés pour leur création.

Le standard de pouvoir d'achat (SPA) est un indice s'apparentant à une monnaie et permettant la comparaison des pays sans qu'interviennent les différences de prix et de pouvoir d'achat.

A l’intérieur de l’UE, la méthode est employée pour comparer les pays utilisant l'euro car si ces pays utilisent une monnaie commune, les différences de prix font qu'ils ne peuvent pas être comparés en se basant directement sur l'euro. On l'obtient en divisant la valeur initiale des agrégats par leur valeur en Parité de Pouvoir d’Achat (PPA) (Définition INSEE).

J’ai choisi les pays méridionaux, de l’UE, qui possèdent des îles et régions à statut d’autonomie : l’Italie,  le Portugal et l’Espagne. Cette dernière est un pays organisé en 17 communautés autonomes, plus deux villes autonomes, enclaves sur le territoire marocain (Ceuta et Melilla).

Pour comparer les PIB, j’ai retenu la région la plus riche (+) et la région la plus pauvre (-) ainsi que les îles autonomes et quelques régions autonomes (Aut.) d’Espagne et d’Italie.

Pour la France je n’ai retenu que les régions métropolitaines, hors outre-mer. La Corse est en queue de peloton.

Il faut noter que, pour le classement européen,  l’outil statistique de l’UE, Eurostat, introduit les régions et les provinces (équivalent des départements) dans son tableau comparatif des PIB « régionaux ».

PIB/SPA par habitant (2018) source : Eurostat   

France

IDF (+) : 178

Nord (-) : 80

Corse : 84

Italie

Province Bolzano (Trentin Ht Adige) (+) (Aut.) : 156

Calabre (-) : 56

Sicile  (Aut.): 59

SARDAIGNE (Aut.) : 70

Espagne-17 régions autonomes

Communauté Madrid (+) : 125

Estrémadure (-) : 67

Catalogne : 108

Baléares : 98

Portugal

Lisbonne métropole (+) : 100

Nord(-) : 65

Madère (Aut.) : 75

A noter : le classement 2018 a été réalisé sur 281 régions, dans « l’Europe des 28 », avant le départ de la Grande Bretagne de l’UE (2020).

La région la plus pauvre (PIB/SPA) de l’Union Européenne est la  région bulgare de Severozapaden : (34). La région la plus riche de ce classement 2018 était celle de Londres : (186).

 Si l’ on compare les écarts de richesses des différentes régions, à l’intérieur de chaque pays européen, nous voyons que c’est en France que les écarts sont les plus réduits. Dans différents pays européens, une ou quelques régions peuvent concentrer une grande partie des richesses, avec des écarts régionaux parfois considérables. En France, les écarts sont réels, mais jamais énormes. La caractéristique française est la prédominance de la région Paris Île de France. Pour vérifier ces niveaux d’écart, il faut consulter le site des statistiques européennes Eurostat.

Le taux de pauvreté, l’autre classement

Le taux de pauvreté correspond à la part de personnes dans la population totale dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté.

Le seuil de pauvreté, calculé chaque année,  est fixé par convention à 60 % du niveau de vie médian de la population. Il correspond à un revenu disponible de 1 102 euros par mois pour une personne vivant seule et de 2 314 euros pour un couple avec deux enfants âgés de moins de 14 ans. 10 nov. 2021

Pour mieux comprendre la situation de la pauvreté en France, nous pouvons nous référer à la méthode de l’INSSE.      

En s’appuyant sur les statistiques de l’INSEE, l’Observatoire des inégalités, publie (Fev. 2021) son classement des régions pour 2017. La Corse est la région métropolitaine au taux le plus élevé.

Régions- taux de pauvreté

La Réunion                         25,0

Martinique                        18,8

Corse                                   11,3

PACA                                    10,2

Hauts de France                   9,8

Occitanie                              9,7

Île de France                        9,4

Grand Est                              8,2

Nouvelle Aquitaine              7,5

Centre Val de Loire               7,4

Normandie                             7,3

Auvergne Rhône Alpes         7,0

Bourgogne Franche-Comté 6,9

Bretagne                                  5,8

Pays de la Loire                       5,7 

Seuil de pauvreté de 50% du niveau de vie médian     Source : INSEE-Données 2017

    En faisant le calcul par Département, c’est la Seine St Denis qui a le taux le plus élevé : 17, 5%, suivi de la Hte Corse : 12, 6%.

Les îles, terres de chômage

Enfin, un des indicateurs important demeure le taux de chômage. En Corse, au 31 Décembre 2021, il s’élevait à 7,2%, très proche du taux national (7,4%).

En Corse le chômage des jeunes pèse dans les statistiques. 11 000 jeunes de 16 à 29ans étaient inactifs ou au chômage (INSEE – Nov. 2021, données 2018). Cette situation concerne plus les femmes que les hommes. Géographiquement, le Sud de la Corse est nettement plus touché par le chômage et l’inactivité des jeunes.

Le taux d’activité des femmes, en Corse (67,0%) est le plus faible de France Métropolitaine et inférieur à la moyenne de province (France métropolitaine, moins Paris) 71%.

Un point positif : « Cependant, en douze ans, il progresse plus rapidement que dans les autres territoires (+ 8 points) et l’écart avec la moyenne de province se réduit » Données INSEE 2018, publiée le 2 Dec. 2021.

C’est banal à dire, mais la Corse est une île. De ce fait, il est impossible pour un insulaire d’aller travailler dans une région limitrophe et de rentrer chez lui, à la fin de la journée. Il n’existe pas de marché frontalier de l’emploi. Le chômeur insulaire est donc enfermé dans le seul marché local. C’est une donnée qui n’est jamais abordée par les économistes, mais qui pèse sur le climat social.

Si nous tentons une comparaison avec d’autres îles de pays européens méridionaux, la Corse n’est pas la plus mal classée.

Illustration 1

L’emploi des femmes dans le Mezzogiorno

Si nous faisons un détour par l’Italie, nous constatons que : « Les femmes au chômage résident principalement dans le Sud mais au cours des vingt dernières années il y a eu une redistribution : on passe de 53,6 % en 1991 à 37,6 % en 2011. Le Centre a augmenté de 20,5 % à 26,6 % tandis que le Nord passe de 25,8 % en 1991 à 35,8 % en 2011 ». C’est ce qui ressort d’une étude publiée par deux chercheurs de l’Universita degli Studi di Bari Aldo Moro.

De plus, l’étude monte que les femmes vivant dans le Mezzogiorno se trouvent face à un marché du travail plus dur et un système de garde d’enfants fortement limité.

La crise sanitaire est arrivée sur ce terrain déjà aride. Selon la SVIMEZ (association pour l'industrialisation du Mezzogiorno), les confinements, liés au COVID, ont coûté cher à l’emploi féminin en Italie en général et dans le Sud en particulier : « L’urgence sanitaire a détruit près de 80% de l’emploi des femmes (…) ramenant le taux d’emploi féminin à un peu plus d’un point au-dessus du niveau de 2008 ». Et particulièrement « Dans le Sud, les emplois féminins perdus sont presque le double de ceux créés au cours des onze années précédentes ». In Rapport SVIMEZ 2020.

Formation-emploi, une connexion mal comprise par la population

La conscience du lien entre marché du travail et formation n’est pas au rendez-vous. Dans un sondage (IFOP) réalisé en Corse et publié en Juin 2012*, les premières préoccupations demeurent l’emploi et le pouvoir d’achat.  Mais les personnes sondées ne placent l’éducation et la recherche qu’en cinquième position, derrière l’immigration et l’environnement.

* Sondage IFOP réalisé sur un échantillon de 702 personnes (18 ans et plus), par téléphone,  selon la méthode des quotas. Du 24 au 26 Mai 2012, pour Corse-Matin, France Bleu Corse, France 3 Corse.

Même absence d’intérêt pour la formation intellectuelle et professionnelle dans un sondage réalisé en 2013 pour le magazine Paroles de Corse (Mars 2013). Pour cette consultation**, la question de la formation n’est même pas abordée.

Illustration 2

             **sondage effectué par Opinion of Corsica, sur 515 personnes, selon la méthode des quotas.

Même constat au niveau national. Le pouvoir d’achat demeure la première préoccupation des Français (30%). Dans un sondage (ELABE pour BFMTV) réalisé en Septembre 2021, l’Éducation n’arrive qu’en neuvième position (17%).

Le faible niveau de formation générale, en Corse, ne peut-être séparé de la structure de l’emploi.

Le nombre d’actifs (hors chômeurs) possédant un diplôme universitaire (env.  6%) représente moins de la moitié du niveau de la région Occitanie, par exemple. Ces lacunes de formation se retrouvent, en bas de l’échelle. La proportion d’actifs, sans diplôme, en incluant les BEP et les CAP, reste la plus élevée de France Métropolitaine. Au total, la situation n’est pas reluisante : 

« Les quatre régions d’outre-mer, le Nord - Pas-de-Calais, le Languedoc-Roussillon, la Corse, la Picardie et Champagne-Ardenne cumulent des difficultés d’emploi et un faible niveau d’éducation de leur population ». Source : Direction de l’Évaluation, de la Prospective, et de la Performance (DEPP), Février 2014.

Mais le niveau de formation s’est amélioré en Corse, pour la période 2007-2017. C’est ce que précise l’INSEE dans une étude publiée en Novembre 2020.  En même temps, cette étude révèle que « à structure économique identique, les entreprises de Corse emploient en proportion davantage de jeunes non-diplômés que la moyenne des autres régions métropolitaines ». Ce constat atypique peut être lu ici. Cette photographie entre sous qualification et emploi soulève un problème de nature politique.

La sous qualification : mécanique économique ou résultante sociopolitique ?

Un bas niveau de qualification (professionnelle et universitaire) et un différentiel de niveau de revenus sont les deux marques du marché du travail insulaire. Ce constat induit un questionnement : s’agit-il, seulement, d’un effet « mécanique » : la nature des emplois ne nécessite pas un niveau élevé de formation et produit des salaires bas. Ou bien, cet effet « mécanique » est-il aussi le résultat de mœurs sociopolitiques ?

   1) La mécanique économique :

La nature de l’économie ne produit pas une demande de formation.

Un des indicateurs du niveau de revenu est le montant du salaire des cadres. Les chiffres publiés par l’INSEE, en 2009,  plaçaient la Corse en dernière position.   

Illustration 3
   En dix ans, la situation semble s’être améliorée, au niveau des écarts Corse/continent, pour certaines catégories. Les écarts pour l’’encadrement demeurent.

Illustration 4

 En 2019, seul le MEDEF de Corse contestait un si grand écart, « sauf pour les cadres »,  tout en reconnaissant des différentiels.

Le niveau de salaire des cadres dit beaucoup de choses.

D’abord il montre que  le montant d’argent disponible pour la consommation est limité, mais surtout il est à mettre en face de la nature de l’activité économique. Là encore, la Corse montre ses limites.

Au 1er janvier 2011, 31 000 établissements du secteur marchand non agricole étaient implantés en Corse. Des unités de petite taille : 96 % ont moins de 10 salariés.

En 2018, les petits établissements (PME-TPE) dominent toujours le tissu économique insulaire : 55% n’ont pas de salariés (1 employé/patron), 95% comptent moins de dix salariés. Seulement 2% enregistrent plus de 20 salariés, un pourcentage égal au niveau national.

Par conséquent, le profil des entreprises est à mettre en relation directe avec le montant des rémunérations. La faible « surface » économique d’une entreprise ne génère pas toujours de hauts revenus, pour ses cadres ou pour le patron, unique employé.

Un chiffre résume la situation : 63% des entreprises corses ne sont constituées que du seul gérant.

L’importance du volume des saisonniers dans le secteur touristique accentue le phénomène. Seulement 1% des saisonniers sont cadres et 10% occupent des professions intermédiaires (INSEE).

Illustration 5

Un emploi sur cinq est saisonnier

Illustration 6

 La saisonnalité est courte, six emplois sur dix durent maximum quatre mois.

Les emplois saisonniers ne sont pas rémunérateurs. Les salaires horaires nets sont inférieurs de 20%  aux salaires non saisonniers.

 2) Une résultante sociopolitique :

C’est l’analyse de la sociologue Liza Terrazzoni (École des Hautes Études en Sciences Sociales) :« Un  certain nombre de jeunes construisent leur avenir dans le tissu relationnel de leur parentèle ». Oh Corse île d’amour ! In revue Vacarmes (n°64) 2013/3. Autrement dit, une partie des emplois seraient obtenus, moins par une qualification classique (diplômes, stages, apprentissage…), que par un réseau relationnel… de type clientélaire. Pour des tas de raisons, notamment budgétaires, les emplois "clientélaires" tendent à devenir rares, mais au niveau mentalité il existe toujours une certaine dynamique du clientélisme, qui participe à ralentir l'efficience d'un système qui reposerait sur le jeu formation/emploi.

Vu la nature des emplois proposés, une formation « pointue » ne s’impose pas toujours. C’est dans ce type d’emplois que le clientélisme politique peut trouver à s’appliquer.  Dès que les emplois proposés nécessitent une compétence précise, les employeurs font comme partout ailleurs, ils cherchent the right man in the right place. Encore faut-il faire la part des emplois qui nécessitent une qualification.

L’économiste, Guillaume Guidoni confirme, l’état du marché : « L’économie corse ne semble pas très demandeuse de formation en l’état actuel ». Site Corse Économie 27 Mai 2010. En 2010, G. Guidoni faisait le constat que : « c’est aussi l’une des conséquences du manque de demande sur le marché du travail pour des jeunes diplômés du supérieur ».

En plus de dix ans,  les proportions n’ont pas réellement évolué. Les conséquences demeurent, globalement, les mêmes. Les entreprises de Corse emploient, en proportion, davantage de jeunes non-diplômés que sur le continent. De nombreux emplois, plus qualifiés,  sont occupés par des personnes venant de l’extérieur (continent, UE). Les jeunes qui choisissent une formation qui ne correspond pas au marché du travail insulaire savent, la plupart du temps, qu’ils iront travailler hors de l’île.

 En conclusion de ce chapitre, il est visible que le marché du travail (la nature des emplois proposés) induit plusieurs comportements :

. Un non-besoin de formation d’un certain type, pour ceux qui souhaitent « rester au pays ». Ce premier constat induit un refus de formation dans des domaines qui nécessitent une mobilité géographique (une haute saison en Corse et une basse saison à l’extérieur). Ce qui explique, notamment, que ces types d’emplois « à deux vitesses » soient souvent occupés par des personnes venant de l’extérieur.

. Une grande partie des personnes non formées, se tournent vers les emplois « clientélaires ».

.Une partie de « l’élite », des insulaires formés, est vouée à travailler à l’extérieur  -faute d’emplois correspondant à leur qualification, sur place. Ou bien il faut accepter un travail d’un niveau inférieur à sa qualification. Ou être parent d’un chef d’entreprise déjà installé.

Ces trois principaux traits caractérisent le marché de l’emploi en Corse. Nous pouvons retrouver, de façon moins prononcée, ces traits dans certaines régions du continent  -notamment les zones de montagne isolées- mais l’insularité ajoute à l’isolement.

 Ce constat montre la difficulté de régler la revendication d’une forme de « corsisation des emplois ».  Soit l’île se condamne à ne pas changer sa structure économique et par conséquent la réalité de son marché de l’emploi, soit il faut réorienter l’activité vers des objectifs économiques plus ambitieux, avec des emplois mieux rémunérés, mais nécessitant une meilleure formation.

Plus facile à dire, qu’à faire.

L’abandon précoce des études : l’Italie souffre plus que la France

Au sein de l’Union Européenne, ce qu’il est convenu d’appeler le « décrochage scolaire » régresse. Pour la période 2007-2016, les données d’EUROSTAT situent la France en dessous de la moyenne européenne. Plusieurs pays du sud de l’UE, voient également leur taux de « décrochage » baisser durant cette période, mais demeurent au dessus de la moyenne.

En France, la Corse fait partie des régions où ce « décrochage » se situe « nettement au dessus de la moyenne nationale ». C’est le constat dressé par le CNESCO (Centre National d’Étude des Systèmes Scolaires) qui a étudié les inégalités territoriales en 2017.

Pas d’amélioration l’année suivante : « En 2018, parmi les 47 000 jeunes résidant en Corse âgés de 16 à 29 ans, 11 000 ne sont ni scolarisés, ni en emploi. L’île se distingue par une proportion de JIC (Jeune Inactif ou au Chômage) plus importante qu’en moyenne métropolitaine (23 % soit 4 points de plus). Elle se situe au second rang régional derrière les Hauts-de-France (24 %) » - Flash INSEE Novembre 2021.

L’Italie arrive en troisième position pour le « décrochage », après la Roumanie et l’Espagne. Dans la péninsule italienne, c’est la Sicile qui arrive en queue de peloton, suivie des Pouilles et de la Campanie. En Sicile, 21, 20% des élèves ne terminent pas leurs études secondaires. C’est la région où se trouve le plus grand nombre d’abandon des études avant l’âge maximum fixé par la loi (16 ans).

Une jeunesse « en bocal »

Si on regarde la situation du sous emploi des jeunes dans la tranche 20/24 ans, les chiffres publiés par l’INSEE en 2009 sont édifiants. La Corse arrive en  4ème position (20, 4%) des régions métropolitaines devant Champagne –Ardennes (20%), Nord-Pas de Calais (24%) et Languedoc-Roussillon (24, 9%).  Les écarts avec Champagne-Ardennes (vers le bas) et d’autres régions (vers le haut) ne sont pas très importants.

Neuf ans après ce tableau, la situation évolue peu. En 2018, 11 000 jeunes insulaires de 16 à 29 ans ne se trouvent ni en emploi, ni en formation (un jeune sur quatre). Cette photographie peut grandement expliquer ce que certains appellent le « malaise de la jeunesse corse ».

Il faut ajouter à cela que la dimension insulaire ne rentre pas dans les calculs statistiques. En effet, une partie des habitants des régions françaises continentales peut se déplacer, dans la même journée,  pour travailler dans les régions limitrophes, dans des emplois qualifiés ou non. En Corse ce n’est, bien sûr, pas possible. On imagine mal un individu travailler à Livourne (Italie) ou à Nice et rentrer le soir à Ajaccio ou Bastia.  On parle donc d’une pauvreté « en bocal ».

Le travail ne paye pas toujours

Le bas niveau des revenus est  lié à la faiblesse des revenus du travail. Si le salaire médian, en Corse, s’approche de la moyenne nationale,  toutes catégories confondues le salaire horaire est faible, dans le secteur privé et semi public. La raison principale est, selon l’INSEE « la sous-représentation des catégories sociales les mieux rémunérées ». L’île compte moins de cadres que la moyenne nationale. Les emplois qualifiés sont rares. Le choix des métiers est faible. Toujours selon l’INSEE « 50 % des hommes actifs sont concentrés dans 14 familles professionnelles (FAP), contre 19 pour l’ensemble du pays ».

Constat à mettre en relation avec la structure de l’économie corse, qui pèse sur le niveau des revenus. Il faut ajouter à cela, la nature des contrats. Ils sont souvent courts. Entre 2008 et 2018, on notait une faible progression des Contrats à Durée Déterminée et une légère régression des Contrats à Durée Indéterminée.

Au 4ème trimestre 2019, la masse salariale a progressé de manière significative (+ 4,9% sur un an). Il s’agit du taux de progression le plus élevé de France métropolitaine. Les salaires du secteur privé ont progressé par rapport à 2018 (+2,6%), mais la Corse reste la région métropolitaine où le Salaire Moyen Par Tête est le plus bas.

Tableau du  SMPT (*) mensuel

au 4ème trimestre 2019- en € 

Corse    2247

Bourgogne-Franche comté  2321

Bretagne   2 332

Nouvelle Aquitaine 2358

Hauts de France     2371

Normandie 2388

Grand Est 2393

Centre Val de Loire 2396

Pays de la Loire 2402

DOM 2408

Occitanie 2407

PACA 2469

Auvergne-Rhône-Alpes 2564

Île de France   3461 

France métropolitaine 2676

France (avec DOM) 2671

Source : ACOSS-URSSAF  - traitement CorsicaStat

(*) SMPT : le salaire moyen par tête est calculé

en rapportant la masse salariale à l’effectif moyen du trimestre.

On obtient la valeur mensuelle en divisant la donnée trimestrielle par 3

Un constat s’impose : la nature des emplois proposés n’est pas un encouragement à la formation professionnelle, surtout pour celles et ceux qui désirent rester travailler sur l’île.

Le type de sociétés qui prédominent, sont les très petites et des petites et moyennes entreprises (TPE-PME), qui regroupent 45% des salariés. Source INSEE. Leur nombre a considérablement progressé de 2008 à 2017. Selon l’INSEE, ce sont les PME qui créent le plus d’emplois.

A noter que l’importance du secteur touristique représente un obstacle à la diversification économique. C’est l’analyse de l’économiste Guillaume Guidoni.

La Corse se situe en tête des régions françaises pour la place du tourisme en matière d’emploi. Selon l’INSEE elle compte, en 2011, 11.500 emplois liés au tourisme, ce qui représente 10,6% du total de l’emploi dans l’île (3,9 au niveau national). Ces données, publiées en Octobre 2015, évoluent peu. Mais une crise économique mondiale et/ou nationale ou bien une crise sanitaire (COVID) peut mettre à mal la mono économie touristique. En résumé, si le tourisme propose des emplois, ils demeurent limités par deux obstacles : leur saisonnalité et la faible qualification exigée. Les demandeurs d’emploi, en Corse, ne semblent pas attirés en nombre par les métiers du tourisme. Les emplois les plus qualifiés et notamment dans l’encadrement  sont souvent pourvus par des personnes venant de l’extérieur de la Corse. Des  chefs d'entreprises signalent que "des jeunes insulaires ne veulent pas travailler dans les métiers du tourisme". Une autre explication est donnée par certains professionnels, à l'exemple de Jean-Batiste Pieri, hôtelier-restaurateur à Ajaccio, très investi dans la défense de la profession. Il accuse la faiblesse des structures de formation hôtelières, dans l'île: "Si l’on ne parle que des jeunes diplômés du tourisme, du CAP au Master, la Corse n’en « produit » qu’une centaine par an. Il en faudrait 10 fois plus pour subvenir – et encore partiellement - aux besoins des entreprises du tourisme insulaire, qui occupent environ 30 000 personnes. Résultat : le secteur se retrouve contraint de recruter à l’extérieur, bien souvent à son corps défendant". Entretien au magazine "INTERVISTA" Avril 2022. Cependant, J.B. Pieri reconnait que: "La tendance nationale, voire mondiale, d’une désaffection de nos métiers, en raison surtout de la disponibilité importante qu’ils impliquent, explique une large partie du problème".

De plus, nous avons vu  -plus haut- que : « « à structure économique identique, les entreprises de Corse emploient en proportion davantage de jeunes non-diplômés que la moyenne des autres régions métropolitaines ». Ce constat est, en partie lié à la nature des emplois touristiques occupés par les insulaires.

Le rapport emplois touristiques/qualification est une constante des régions touristiques. L’archipel des Baléares montre un effet grossissant. Les emplois, dans le tourisme, sont nombreux (+ de 15 millions de touristes les meilleures années) et la saison est plus étalée qu’en Corse. Cette situation produit un effet induit : une partie de la jeunesse arrête ses études, rapidement, pour travailler dans un secteur qui lui offre des emplois.

L’Union Européenne a fixé un objectif ambitieux de formation médian, de « 40% », pour le niveau d’études supérieures, dans la tranche 30/34 ans. La totalité des îles n’atteignent pas cet objectif (2020).  

La fréquentation touristique des îles/population : ratio important, sauf en Sicile

Une enquête comparative, publiée par l’INSEE (2015), sur des données de 2011, porte sur cinq îles : Baléares, Crète, Corse, Sardaigne, Sicile.

A l’exception de la Sicile, toutes les îles connaissent une fréquentation touristique, des hébergements marchands,  supérieure à celle du pays auquel elles sont rattachées. En revanche, seul l’archipel des Baléares connait un tourisme de masse (64 millions de nuitées en 2011). Ce nombre place les Baléares en tête du nombre de nuitées, rapporté à la population. Pour le ratio fréquentation (en nuitée)/ population, la Corse se trouve en troisième position, pour l’année 2011.

Illustration 7

    Depuis cette date (étude INSEE), les ratios n’ont pas beaucoup évolué. La fréquentation a continué à progresser aux Baléares et s’est maintenue, globalement, pour les autres îles. Seule la crise sanitaire a freiné, un temps, l’ensemble des fréquentations touristiques.

Des retombées nuancées et à préciser

Quel est le poids du tourisme (hôtellerie, commerce, transports) et ses retombées dans l’activité économique ?

Pour les Baléares, ces activités représentent 34, 8% du PIB régional. Pour la Corse, le niveau est proche : 31%. Cependant, les retombées en terme d’emplois donnent un avantage aux Baléares. Dans l’archipel espagnol le tourisme représente 30% des emplois. Source : Confederación de Asociaciones Empresariales de Baleares (CAEB).

Pour la Corse, le tourisme représente 10,6% de l’emploi régional (national : 3,9%). C’est la région française où le tourisme pèse le plus dans l’économie. Source : INSEE.

Mais les deux organismes ne détaillent pas entièrement leurs outils d’analyse. Il est donc difficile d’affirmer que la comparaison est parfaitement rigoureuse. Des pistes restent à étudier et à préciser. Ainsi, pour la Corse, les dépenses de transport pèsent « plus qu’ailleurs » (INSEE) dans la consommation touristique. Nous apprenons également que les postes loisirs et services culturels représentent les plus faibles dépenses touristiques, « loin derrière les autres régions ».

Une étude comparative, plus poussée, serait la bienvenue pour analyser plus finement le détail des retombées économiques et sociales du tourisme.

Enfin, nous noterons que le niveau total des retombées financières du tourisme est en proportion du volume de fréquentation des deux destinations :

-Baléares (max. + de 15 000 000 de touristes/an) : 13 milliards 956 millions d’€. Source : Hosteltur.

-Corse (autour de 3 000 000 touristes/an) : 2,5 milliards d’€.

Pour la Corse, ces montants sont à mettre en face d’une richesse qui s’accroît, mais de manière inégalement répartie.

Des pauvres, des riches, des inégalités…

Malgré (ou grâce à)  un taux de pauvreté élevé, la Corse fait partie des régions qui possèdent une forte proportion de très hauts revenus, confère enquête INSEE publiée le 12 Mai 2020. « Les 10 % des habitants les plus aisés ont des niveaux de vie 3,6 fois supérieurs aux 10 % les plus modestes. Cet écart place la Corse au deuxième rang de province pour les inégalités de revenus derrière la région PACA ».

 La Corse conserve un Produit Intérieur Brut faible, mais ce PIB est celui qui a progressé le plus, avant la crise du COVID. Visiblement, cette progression est très inégalitaire.

Le constat de l’économiste Guillaume Guidoni est édifiant :

«En 1962 le revenu disponible brut par habitant, en Corse, était ainsi inférieur de 41%  à la moyenne nationale. En 2017, l’écart n’était plus que de 8%. » In Le Monde 9 Février 2021.

G.Guidoni précise qu’au niveau méditerranéen : « depuis le début des années 2010 et avant la crise COVID, la convergence est stoppée. En Corse on suit globalement ce même mouvement, avec une stagnation du revenu par tête sur la décennie 2010 et avant le choc COVID ». Echange avec l’auteur, 10 Février 2021.

 Après un an de crise COVID, Le Monde pouvait titrer : « Le sud de la zone euro face au risque de décrochage » 9 Fev. 2021.

 L’île connaît donc un accroissement des inégalités, parallèle à la progression de la richesse globale. Ce n’est pas une particularité, c’est un mouvement général comme le montre le World Inequality Report 2022.


         Corse : Les impôts des très riches, le grand bond

  Le nombre de foyers insulaires payant un impôt sur la fortune (ISF) progresse fortement ces dernières années : +148% entre 2006 et 2016,  progression nationale sur la même période : +53% (1).

Pour le nombre de contribuables redevables, Ajaccio dépasse Bastia, mais c’est dans cette dernière que l’on trouve un patrimoine et un impôt moyen plus élevé (2). C’est ce qui ressort d’une étude publiée par l'observatoire social de la Corse (2018).  

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Pourquoi une telle hausse? Il s'agirait « des « franchissements de seuil liés à des revalorisations de biens" ou "des transferts de résidences principales du continent vers la Corse » selon un ancien directeur de la législation fiscale à Bercy contacté par l’Agence France Presse (AFP).

"Les grandes fortunes en Corse sont quasiment toutes des fortunes corses. C'est dire si la "colonisation de peuplement" apparait comme un concept émotionnel, basé sur le ressentiment, il n'est pas pertinent sur le plan sociétal et économique" Gabriel Xavier Culioli In Journal de la Corse 1er Février 2021.

(1) LISF a été transformé, en Décembre 2017 en Impôt sur la fortune immobilière (IFI)

(2) Le Ministère des Finances ne permet pas la publication des données pour les villes de moins de 20 000 habitants comptant  plus de 50 redevables à l'IFI. Bercy estime que les contribuables concernés seraient trop facilement identifiables. Les données rendues publiques sont donc en dessous de la réalité


  Une autre donnée rapproche la Corse de « l’alignement des planètes », c’est le niveau des familles monoparentales.

Les femmes portent les familles monoparentales

Une famille monoparentale est composée d’un seul adulte, sans conjoint, avec un ou plusieurs enfants de moins de 25 ans.  La Corse est la seconde région métropolitaine en la matière, derrière Provence-Alpes-Côte d’Azur. Source : INSEE.

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Les chiffres insulaires (2015) sont élevés : 12 400 familles, soit 18 000 enfants de moins de 25 ans. Cela représentait 25% des enfants de cette tranche d’âge.

Ce problème n’est pas moral, mais économique et social.

La plupart des parents uniques qui constituent ce type de famille sont des femmes.

Obligées de travailler, ces femmes isolées sont plus souvent en emploi (83%) que celles qui vivent en couple (75%). Elles sont, aussi plus souvent au chômage (15%) que les femmes vivant en couple (10%). Le niveau de qualification de ces mères isolées est plus bas, avec des salaires moins élevés : -20% qu’un couple avec enfants. Conséquence : 30% de ces familles se trouvent sous le seuil de pauvreté, contre 18% dans les couples avec enfants.

 Nous pouvons retenir une certaine progression de l’emploi féminin : « L’écart d’activité entre hommes et femmes se réduit sur l’île. Il demeure néanmoins deux fois plus important qu’en province (10 points contre 5 points) ». INSEE données 2018.

Cependant, le taux de pauvreté des familles monoparentales en Corse n’est que le dixième des 13 régions de France métropolitaine, alors que l’île est la seconde région pour le nombre de familles monoparentales.

Cette proportion, élevée, de familles monoparentales dans l’île est un des éléments qui font dire à l’ethnologue Georges Ravis-Giordani que « la société corse s'est largement alignée sur la France continentale ».

La Corse connait un coût de la vie plus élevé que la moyenne nationale

 A tous les éléments négatifs énumérés, ci-dessus, il faut ajouter le niveau des prix. En Corse, ils sont « supérieurs de 7% à ceux de province » (France métropolitaine, hors Paris). C’est l’INSEE qui le précise, dans une enquête portant sur les prix en 2022, publiée le 11 Juillet 2023.

En résumé, en Corse,  la vie y est plus cher et les indicateurs socio-économiques sont au rouge : salaires, formation, chômage des jeunes et des femmes, familles monoparentales…).

Autonomies et développement, trois exemples

La lecture du tableau des PIB régionaux et celle des autres données ne permettent par de répondre à la question : est-ce que les statuts d’autonomie permettent aux régions concernées de s’enrichir? Les constats sont variés. Globalement, les PIB progressent, presque partout au sein de l’UE (régions autonomes ou pas), mais il faut noter quelque régression, en Calabre notamment. Les quatre régions italiennes qui possèdent LEUR Mafia, sont en queue de peloton du pays pour le PIB (Calabre, Sicile, Campanie, Pouilles). Une seule, de la « bande des quatre », possède un statut d’autonomie, c’est la Sicile.

Dans l’Union Européenne, les écarts entre régions riches et régions pauvres demeurent. Pour les régions autonomes, le constat semble « simple » : les pouvoirs locaux, renforcés, gèrent de manière politiquement autonome une gouvernance des  économies, qu’ils partagent avec les États.

L’évolution des situations économiques des régions autonomes varie, en fonction de leur potentiel économique et des choix politiques effectués. Un statut d’autonomie ne garanti pas une automaticité de résultat.

Il n’est pas possible de détailler, ici, les modes de développement de l’ensemble des régions autonomes des pays méridionaux, un livre n’y suffirait pas. Je me contente d’un résumé, pour trois régions (Madère, Baléares, Sicile) et de citer un ouvrage de référence, quand c’est possible, et/ou de fournir des liens vers des sites spécialisés.

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.Madère (autonome depuis 1976).  Située dans l’océan Atlantique,  l’île est restée longtemps une région pauvre et une terre d’émigration.  Elle est peuplée de 270 000 habitants, son économie tourne autour de trois pôles principaux, le tourisme (1 600 000 touristes en 2019), l’agriculture (vins, bananes…) et une zone franche.

L’île a connu une forte progression économique, durant la période ou l’île était classée en zone franche. Début de la zone franche : 1987. Ce statut s’est réduit, dans certains domaines, mais une double imposition attractive pour les entreprises, persiste, au moins jusqu’en 2027. Cependant la zone franche ne semble pas avoir rempli le rôle annoncé en matière d’emploi. Du coup, la Commission Européenne, qui avait accordé des prolongements, dans les délais d’application de la zone franche, a dressé un bilan négatif de son fonctionnement et demande la rétrocession des aides allouées à certaines entreprises.

 « Le Portugal devra donc maintenant récupérer les aides auprès des entreprises concernées qui n’ont pas créé d’activité économique et d’emplois réels à Madère ». Décision de la Commission Européenne  - C(2018) 4149 final- Juillet 2018.

.Les Baléares (autonomes depuis 1983) ont connu un mélange de misère et de réussites économiques. Longtemps terre d’émigration (vers France, Catalogne, Amériques…), les Baléares vivaient d’activités agricoles et connaissaient une ébauche d’industrialisation (chaussures, meubles, petite mécanique…). A la fin des années 50, le pouvoir central (franquiste) oriente l’archipel vers le tourisme. L’évolution de ce secteur sera exponentielle. En 1959, l’archipel accueille 298 628 touristes. Le premier million est dépassé en 1965. Les quatre îles atteignent un « record » en 2019, avec plus de 16 millions de touristes. L’archipel est devenu une terre d’immigration. La population passe de 441000 habitants en 1960 à près de 1 200000 hab. en 2020 (source : INE).  

Pour comprendre la genèse, l’évolution et la place du tourisme dans l’économie des Baléares, nous pouvons nous référer à l’ouvrage du géographe majorquin, Miguel Segui Llinas « les nouvelles Baléares » (1995) Ed. L’Harmattan. Pour un regard plus récent, voir le chapitre: «Manger ou manager le littoral, une analyse comparative Corses Baléares " de M. S. Llinas et Véronique Valentini, in « Tourisme et insularité. La littoralité en question » sous la direction de Jean-Marie Furt et Caroline Tafani. Ed. Karthala.

Un point important, les Baléares ne possèdent pas de Mafia « endogène ». En revanche, des mafias de plusieurs pays viennent y faire « leur marché » (Italie, Russie, Chine…). La forte activité immobilière, liée au tourisme, attire des appétits et des volontés de placement (blanchiment). Si les Baléares n’ont pas LEUR Mafia, l’archipel a connu de grosses affaires de corruption, impliquant des entrepreneurs et des élus, jusqu’u niveau de l’Exécutif du gouvernement régional. De fait, les Baléares ne possèdent pas de mafia locale, mais l'archipel doit affronter plusieurs affaires de corruption.

.La Sicile (autonome depuis 1948) est l’île la plus vaste et la plus peuplée de Méditerranée (5 millions d’hab.). Cet archipel possède une économie diversifiée, qui comprend, notamment, un secteur industriel (pétrochimie, chimie, électronique) et une agriculture exportatrice. La place des services publics (régionaux et nationaux) est très importante, voire hypertrophiée. La Sicile est la 7ème région d’Italie (20 régions) pour l’exportation de ses productions (source : ISTAT). Nous avons vu, plus-haut, que la Sicile est la moins « touristico-dépendante » des îles méridionales européennes. 

L’observation de l’économie sicilienne est inséparable de l’étude du rôle de la mafia de l’île (Cosa Nostra). Ce qui caractérise l’emprise des différentes mafias italiennes c’est leur forte territorialité. C’est l’analyse que fait Clothilde Champeyrache, spécialiste de l’économie du crime organisé.

Il est donc impossible de résumer, ici, une économie à double visage. Seule la lecture d’un certain nombre d’ouvrages* permet de cerner le poids de Cosa Nostra dans l’économie et de mieux comprendre les conséquences sociales, résumées plus haut (Voir PIB).

La Sicile est une région à fortes potentialités et demeure une des plus pauvres d’Italie. Il faut rappeler que Cosa Nostra n’est pas née avec le statut d’autonomie. L’organisation criminelle s’est fondue dans ce statut, comme elle se fondait dans les anciennes institutions, depuis le milieu du 19ème siècle. La collusion entre sphère légale (nationale, régionale) et familles mafieuses est impossible à synthétiser ici.

L’existence même d’une mafia est le résultat de choix et de facteurs politiques anciens (conditions de la réunification de l’Italie, le « Risorgimento » 1870). Une misère persistante dans le sud du pays (Mezzogiorno) accompagne la présence de ces organisations criminelles. A l’origine, elles n’ont pas créé la misère. Elles en vivent et l’entretiennent, elles n’ont aucun intérêt à un développement équilibré. Clothilde Champeyrache parle d’un « (…) saccage du territoire et à un développement économique et social entravé ».

 Le choix de ces trois îles, parmi d’autres, couvre presque entièrement le spectre des autonomies insulaires, dans les iles méridionales de l’Union Européenne.

Les statuts d’autonomie de ces trois régions n’ont pas le même contenu. Plusieurs points convergent, d’autres sont différents. Nous pouvons observer une adaptation  aux réalités locales et historiques. L’exemple sicilien est unique puisqu’il réunit,dans un même lieu, autonomie et Mafia. Cette réalité introduit une confusion qui nourrit le débat sur l’avenir institutionnel de la Corse. Nous aurons l’occasion d’y revenir.

 A la question de départ : l’autonomie favorise-t-elle le développement économique ? La réponse est, forcement, nuancée. En observant différents territoires autonomes, insulaires ou non, nous pouvons constater que leur situation actuelle ressemble à une suite logique de leur histoire politique et de leur culture économique. Le tout étant indissociable des potentialités géographiques.

Il ne semble pas exister d’enquêtes comparatives poussées, sur l’influence des autonomies, sur le développement économique des régions concernées. Avis aux chercheurs.

Autonomie-développement, quel contenu  pour la Corse?

Un point est frappant : depuis des dizaines d’années, le débat politique tourne autour du principe d’une réforme institutionnelle. Mais les débats sur la situation économique et sociale insulaire sont extrêmement rares. Même les opposants à un statut d’autonomie, quand ils mettent en avant la priorité économique, se gardent bien de rentrer dans les détails. A mon sens, cela donne des débats fantasmés et dresse un tableau abstrait. Pour ce qui est de la Corse, il me semble qu’il faudrait un jour arriver à dire ce que nous voulons et s’y tenir.

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Une partie de la jeunesse insulaire (et non « la Jeunesse corse », comme trop souvent lu et entendu) se mobilise et est mobilisée, à nouveau, autour de slogans visant principalement l’État (« français) et ses « affidés » : Colons Fora (les colons dehors) et les conséquences supposées sur la vie de tous les jours, jusqu’aux formules les plus violentes : « Marcangeli collabo » (maire d’Ajaccio « Bonapartiste ») et « Arabi fora » (les arabes dehors). Durant des semaines de rassemblements et de manifestations, pas un mot sur le chômage, sur le niveau de vie (pourtant première préoccupation, selon les sondages) et donc rien sur l’équation niveau salarial (bas)/cout de la vie (élevé). Comme si cela pouvait se régler, essentiellement, par la mise en place d’un statut politique.  Il serait temps de mettre ces questions sur la table. Et c’est avant qu’il faut le faire, comme le rappelle le géographe Joseph Martinetti, dans la conclusion d’un de ses articles : « Comment éviter le double piège de l’immobilisme et de la fuite en avant dans l’économie résidentielle et touristique, source des profits majeurs sans réelle planification et qu’assume désormais une classe active de nouveaux oligarques corses bien décidés à valoriser les potentialités d’une économie résidentielle malgré les sources de déséquilibres sociaux et environnementaux qu’elle implique ».

 Dans un prochain article, j’aborderai les conditions d’accès de certains territoires à un statut d’autonomie. Nous verrons qu’elles sont liées à plusieurs facteurs : politiques, géopolitiques, géographiques… Nous tâcherons de voir si ces données peuvent nourrir la réflexion engagée sur  l’autonomie  de la Corse.

 *Courte bibliographie sur les mafias italiennes et la Sicile:

Histoire de la mafia. Salvatore Lupo. Flammarion

Mafia et politique. Michele Pantaleone. Gallimard

Mafia & Cies. Pino Arlacchi. Presses Universitaires de Grenoble

Un pouvoir invisible. Jacques de Saint Victor. Gallimard

Quand la mafia se légalise : pour une approche économique institutionnaliste. Clotilde Champeyrache. CNRS Editions

 Sites et revues en ligne:

Les blocages de l'économie corse : synthèse en 3 points. Guillaume Guidoni.  Site Corse Economie.  17 Avril 2021

 Cher coût de la vie : En 2022, les prix sont plus élevés de 7 % en Corse qu’en France de province (France métropolitaine, hors Paris).  Données INSEE publication 11/07/2023

Régions de l’Union Européenne (27 pays) PIB par habitant en SPA* (% de la moyenne de l’UE)-2021 Source : eurostat

*Standards de Pouvoir d’Achat.

Statuts comparés: Corse et Îles Aland –Insular Regions and European Integration: Corsican and the Islands Compared. John Loughin (Oxford University)  - 25/30 Aout 1998

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