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Billet de blog 6 juillet 2024

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Corse : deux Nationalismes en concurrence. Le régional et le national

Le 30 Juin 2024, pour la 1ère fois, la Corse porte des candidats d’Extrême-Droite au second tour des Législatives. Le RN est en tête dans deux circonscriptions sur quatre. Un coup pour les « nationalistes » corses. Les « natios » nationaux chassent-ils sur les terres des « natios » régionaux ? Concurrence ou changement de paradigme politique ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Une progression, très forte, de l’Extrême-Droite

Comme sur l’ensemble de la France métropolitaine, les observateurs s’attendaient en Corse à une progression de l’Extrême-Droite, pour les élections législatives anticipées de Juin-Juillet 2024, consécutives à la dissolution décidée par le Président de la République, le 9 juin, suite au score du RN aux élections européennes ce même jour.

Pour ce scrutin européen, les électeurs français avaient placé la liste de Jordan Bardella (Rassemblement National) en pole position, avec 31, 36% des suffrages.

Le RN était arrivé en tête dans l’île, avec un score encore plus élevé, de 40,8%. S’il on ajoute les 8, 4% de l’autre liste d’Extrême-Droite Reconquête, les suffrages insulaires se sont portés pour moitié sur  l’Extrême Droite.

 Ce résultat, des européennes,  vient confirmer la poussée de ce mouvement dans l’île. Au second tour des présidentielles (24/04/2022) Marine Le Pen arrivait en tête, en Corse, avec 58, 08% (41, 45% au niveau national).

Ce double succès laissait présager une poussée de l’Extrême-Droite, dans l’île pour les législatives anticipées, ce qui a surpris c’est l’ampleur des scores.

Illustration 1

L’ampleur des résultats surprend observateurs et monde politique. Les conséquences  électorales sont fortes :

-Dans la 1ère circonscription de Corse du Sud, « une inconnue du public », Ariane Quarena (RN) arrive en tête (31,2%), devant le député sortant (Horizon) Laurent Marcangeli (30, 7%), avec 166 voix d’avance. Romain Colonna, le candidat nationaliste (Femu a Corsica) est éliminé.

-2ème circonscription de C. du Sud : François Filoni (RN) vire en tête (35,1%), avec 3352 voix d’avance sur le député sortant, Paul-André Colombani (Partitu di a Nazione Corsa).

-1ère circonscription de Haute Corse : le député sortant Michel Castellani (Femu) est en tête (31,74%) devant un autre RN « inconnu du public », Jean-Michel Marchal (28,8%), avec  1107 voix d’avance.

-2ème circonscription de Hte Corse : le sortant  Jean-Félix Acquaviva (Femu) est second (28,63%), derrière François-Xavier Ciccoli (DVD) qui obtient 34,05%, une autre « inconnue du public », Sylvie Jouart (RN) est qualifiée avec 25,42%.

Cette circonscription ne connaîtra pas, finalement, de triangulaire. S. Jouart se retire et apporte son soutien à F. X. Ciccoli. Les accusations « d’entente » fusent. Le candidat Divers Droite dément et dit vouloir siéger avec Les Républicains, en cas de victoire le 7 Juillet. Affaire à suivre.

 Poussée de l’Extrême Droite en Corse, premiers enseignements

Au moins deux des trois députés « nationalistes » sortants sont en difficulté, à l’aube du second tour. Le Président de l’Exécutif de l’Assemblée de Corse, Gilles Simeoni, ne s’y trompe pas : « En tant que nationaliste et démocrate, c’est une défaite » (Corse Matin 1er Juillet). G. Simeoni ajoute : « En Corse (…) nous soutenons ceux qui se présentent contre le RN : Laurent Marcangeli et P. André Colombani ». A ma connaissance, c’est la première fois qu’une personnalité « nationaliste » soutient une personnalité candidate de la classe politique dite « traditionnelle ».

L’un des constats est que les « nationalistes » corses sont passés d’une position offensive, à une situation sur la défensive. Jusqu’au milieu des années 90, les observateurs politiques considéraient que les « natios » régionaux  fixaient  le vote d’Extrême-Droite et constituaient ainsi un barrage contre le Front National. Les scores de ce parti restaient limités, dans l’île, à l’exception des élections européennes. Les scrutins européens étaient souvent vus comme des votes « défouloirs ». Considérées, à tort ou à raison, comme sans enjeux locaux, les européennes voyaient une partie de l’électorat se « défouler », luxe qui lui était quasiment interdit dans des élections à enjeux importants au niveau insulaire (Législatives, Conseils Généraux, municipales et même Présidentielles).

Ainsi, en 1984, J. Marie Le Pen fait une percée aux européennes en frôlant les 11% au niveau national et atteint les 22% à Ajaccio, « record national ».

Le « barrage » des nationalistes corses, face au FN, est aussi constitué en amont. Ainsi, en 1992, J. M. Le Pen est quasiment interdit de territoire en Corse. Voir, plus-loin  De 1992 à 2012 : du père "interdit ". à la fille admise.

 Cette forte poussée des « natios » nationaux,  aux législatives de 2024, représente-t-elle  l’annonce d’un déclin, des « natios » régionaux ? La question est désormais posée.

Illustration 2

[1]Incidents 1992  contre la venue de J. Marie Le Pen - 1992

[2] Libération Marine Le Pen fait corps avec «l'âme corse » 

On peut considérer qu’il existe un « tournant » dans la position du FN, face au thème de l’identité nationaliste corse, en 2007, sous l’impulsion d’un responsable de ce parti, Olivier Martinelli. Dans ses positions idéologiques, le FN passe d’un antinationalisme corse à une « fusion » entre identité nationale et identité locale. Le résultat est rapidement visible : un sondage, paru dans le magazine Corsica, le 4 Avril 2007, montre qu’un sympathisant nationaliste sur trois se déclare prêt à voter en faveur de J. M. Le Pen, au 1er tour des Présidentielles. Déjà les prémices des scrutins suivants.

La concurrence électorale, dans une région économiquement pauvre

Pour les observateurs, il existe plusieurs lectures à l’opposition entre « natios » régionaux et « natios » nationaux.

.D’abord, les attaques « contre le fascisme » émanent, principalement de la branche indépendantiste du « nationalisme » insulaire. Les indépendantistes sont souvent classés plus à gauche. Sur les subtilités au sein de la mouvance « nationaliste » insulaire, on peut lire « Le nationalisme dans la Corse contemporaine » de Thierry Dominici (enseignant université de Bordeaux. Revue Pôle Sud (2004).

.Ensuite, il y a la question de la concurrence politique dans un même « panel » sociologique. La Corse est petite et sa population limitée, autour de 350 000 habitants. L’analyse de la population (démographie, économie…), aide à comprendre les comportements électoraux.

-L’observation de la démographie est significative. « La population augmente en moyenne de 1,0 % par an, soit la croissance la plus dynamique des régions métropolitaines (+0,3 % en moyenne nationale) » [INSEE données 2015-2021].

Cette évolution est due exclusivement au solde migratoire, le solde naturel étant très légèrement négatif sur l’île entre 2015 et 2021. En Corse, la fécondité est la plus faible de France métropolitaine (1,37 enfant par femme en 2022) et la population est la plus vieillissante (117 personnes de 65 ans ou plus pour 100 jeunes de moins de 20 ans en 2020), 3 hab. sur 10 ont 60 ans ou plus. Le vieillissement rejoint une autre donnée, la pauvreté : en Corse, «  un tiers des revenus des ménages pauvres est composé des pensions et des retraites » [INSEE].

Le niveau de vie insulaire présente un certain nombre de particularités : l’île est la région la plus pauvre de France métropolitaine. C’est également une région où se trouvent les revenus parmi les plus faibles. A cela, il faut ajouter un haut niveau d’inégalité de revenus et d’inégalités selon les régions de l’île.

Tout cela, alors même que la Corse est la région où les prix sont « supérieurs à ceux de la province (France métropolitaine, hors Paris).

Illustration 3

 L’observation de ces données socio-économiques peut expliquer la nature de la concurrence politique sur une population faible démographiquement et socialement. Ces données peuvent aussi aider à comprendre un certain « glissement » d’une partie de la population vers l’offre politique d’Extrême-Droite, par peur d’un déclassement. Nous reviendrons, en fin d’article, sur cette notion de « déclassement » qui semble avoir une importance plus grande que celle accordée par les médias.

De l’identité au racisme, il n’y a qu’un pas

Les actions et incidents racistes qui touchent la Corse, comme d’autres régions de France métropolitaine, sont-ils à mettre en lien avec l’identité exprimée par le « nationalisme » corse ? La sociologue Marie Peretti-Ndiaye de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) répond par une autre question : « Le racisme présent en Corse peut-il être perçu comme découlant en grande partie d’une histoire socio-politique tourmentée, très liée aux évolutions contemporaines de la nation française et aux discours portés par ses institutions ?».

 En 2003,  la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme présente un chapitre sévère sur les actes racistes, commis en Corse, dans son rapport national : « La lutte contre le racisme et la xénophobie. 2002 ». In Rapport de la commission nationale consultative des droits de l’homme. Chapitre « Les actions en Corse » P. 42 à P. 49. Ce rapport déclenche une levée de boucliers dans l’île. Pour sa part, la sociologue Marie Peretti-Ndiaye estime que : « Un certain nombre d’acteurs politiques de l’île, évoqués dans le débat public sous le qualificatif « nationalistes », ont été cités, nous l’avons vu, par différents rapports de la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Hommes. Mais le racisme présent en Corse ne peut pas être imputé de façon aussi systématique à l’idéologie véhiculée par ces acteurs ».  Pour réfléchir aux thèmes : racisme en Corse et nationalisme, nous pouvons nous référer au travail de la sociologue Marie Peretti-Ndiaye, intitulé « La Corse, une figure rhétorique du racisme ».

Illustration 4

Sans rentrer dans des exemples, il faut comprendre ici le terme racisme comme un rejet des personnes « exogènes », quelles que soient leurs provenances. L’île est la 3ème région de France métropolitaine accueillant le plus d’immigrés (33 600), soit 9,9% de la population globale (INSSE 2018). La communauté marocaine demeure majoritaire (29,1%), chez les immigrés, soit environ 10 000 personnes. Une part qui régresse, elle était de 42% en 1999.  Aujourd’hui les nouveaux flux d’immigration sont, majoritairement, d’origine européenne. Principalement du Portugal (23%) et d’Italie (12%), pour ce qui concerne les personnes d’origine étrangère.

La majorité des personnes arrivant en Corse, sont d’origine française. Les données 2020 du recensement,  nous apprennent que 12% des personnes arrivées sont étrangères. Parmi elles, 3,5% vivaient sur le continent français, 4,5% dans l’UE et 4% hors UE. Donc 88% des nouveaux arrivants, en 2020, sont de nationalité française.

Illustration 5

Nous avons vu, dans un chapitre plus haut, «la concurrence électorale dans une région économiquement pauvre » que la progression de la population de l’île tient au solde migratoire positif. Marie Peretti-Ndiaye peut affirmer, sans crainte de se tromper : « L’idée selon laquelle le départ des Corses et l’arrivée de nouveaux venus engendre une perte en termes de culture et d’identité est ici d’importance ».

 La mise en avant permanente de l’identité par les « natios » régionaux, peut-elle expliquer un glissement vers les « natios » nationaux et leur thème de « l’immigration zéro » omniprésent?

"Le nationalisme corse revendique une forme identitaire" c’est ce qu’explique le géographe Joseph Martinetti, suite au score de Marine Le Pen, aux Présidentielles en Corse. In Challenges 26/04/2022. Ce journal en déduit que le nationalisme corse : « (…) partage donc parfois des références avec l'extrême-droite ».

Plusieurs fois, les responsables des partis « nationalistes » insulaires se sont expliqués sur ce thème. Notamment lors des manifestations racistes qui ont touché l’île en Décembre 2015. « Le nationalisme corse est totalement aux antipodes de tous les phénomènes de racisme, de xénophobie ou d'exclusion » (Le Point 28/12/2015).

Un écart semble se dessiner entre les positions des leaders « nationalistes » insulaires et une partie de l’électorat des « natios » régionaux.  A la lecture des résultats de différents scrutins, commune par commune, il est évident qu’une partie de l’électorat « natios » régional, vote Extrême-Droite, lors de scrutins nationaux. Suite aux scores élevés du RN aux Présidentielles de 2022, Le site Le Grand Continent s’interroge : « D’où vient le vote Le Pen en Corse » (15 Mai 2022), mais aucune réponse définitive n’émerge.

Sur le « double vote » d’une partie de l’électorat « natios » régional, l’universitaire André Fazi pense que : « Quelques milliers usent de ce double vote parce qu’ils ont des préoccupations identitaires très fortes, qui pensent que ces préoccupations sont mieux défendues par les nationalistes au niveau local et plus par la Droite radicale au niveau national ». (RCFM-Radio France 11 Juin 2024). Oui, seulement voilà, les Législatives anticipées ont confirmé et renforcé les résultats des Présidentielles (2022) et des Européennes (Juin 2024). Des candidats RN, inconnus, ont dépassé des élus sortants. Est-ce un « coup de chaud » conjoncturel où un glissement structurel d’une partie importante du corps électoral ? L’île semble n’avoir jamais connu un tel scénario. Il est encore trop tôt pour répondre avec certitude. Cependant, d’autres éléments de réponse apparaissent. Notamment, avec l’arrivée d’une nouvelle donne dans le paysage politique côté nationalistes insulaires, le mouvement Palatinu, dont le dirigeant Nicolas Battini estime que : « Les nationalistes corses arrivent à la fin d’un cycle ». De fait,  Palatinu, qui se veut une association portée sur «  l’Histoire et «  l’identitaire », a présenté des candidats au Législatives, dans trois circonscriptions. Ce nouveau mouvement fait, indéniablement, le lien entre les « natios » régionaux et les « natios » nationaux  du moins au niveau de certaines déclarations. A propos du vote RN de Juin dernier et des consignes de vote pour le second tour, N. Battini n’a pas de tabous : « Nous laissons ainsi nos électeurs libres de leur choix et dénonçons vivement les discours totalitaires qui tendent à culpabiliser les Corses en raison de leur comportement électoral. Nos compatriotes qui ont décidé de soutenir le Rassemblement National n'ont pas à être criminalisés ou vilipendés, mais compris et considérés. ». In site Corse Net Info (4 Juillet 2024). Toujours l’obsession identitaire, au niveau régional et national. Et pourtant.

Le poids de l’identitaire dans le discours politique national et régional

« D’où vient l’obsession identitaire de la politique française ? » C’est la question que pose l’historien Mathias Bernard (Université de Clermont Auvergne) ? In The conversation en ligne (31 Janv. 2022). Il observe que la Gauche n’échappe pas à l’attraction de l’identité même si, ces derniers temps, c’est un thème qui est presque entièrement pris en compte par les partis d’Extrême-Droite. Cette dimension identitaire du débat politique peut expliquer, en partie, les résultats du scrutin du 30 Juin 2024.

 Visiblement, la Corse n’échappe pas à cette « obsession identitaire ». Mais, dans ce cas, on peut parler de double identité.

Ce qui est notable, c’est la contradiction apparente, entre un vote «natio » national aux législatives et aux Présidentielles et un vote « natio » régional aux élections territoriales et dans certaines municipales. L’attitude de l’électorat, au prochain scrutin territorial nous dira si ce dédoublement se confirme ou bien si nous assistons à une « fusion ». C’est la grande question des prochains mois.

Illustration 6

Comment comprendre cette fusion/confusion entre « natios » régionaux et nationaux ? Thierry Dominici, chercheur à l’université de Bordeaux estime que : « Le nationalisme corse pendant des années a été le moteur de la mobilisation sur l’île. Et depuis qu’il est aux manettes du pouvoir  -c'est-à-dire depuis qu’il est passé dans le nationalisme majoritaire-  il ne pouvait pas occuper l’espace public ». Toujours selon T. Dominici : ce constat a permis au « nationalisme banal français (…), de s’insérer dans le jeu politique ». Entretien à RCFM (Radio France) 3 Juillet 2024.

Du coup, quid du processus de discussion, avec l’État, autour du thème de l’autonomie de la Corse ? T. Dominici ne croit pas que ces résultats des Législatives puissent stopper le processus de décentralisation. « Sauf si le RN obtient une majorité absolue à l’Assemblé Nationale », entretien avec l’auteur le 5 Juillet 2024. L’universitaire poursuit : « En fait, l’obstacle c’est la politisation d’un problème qui est autant administratif qu’institutionnel (le débat sur le « processus » NDLR). Le gouvernement peut faire que la Corse ait plus d’autonomie, sans reconnaître le peuple et la langue ou la culture corse. Ce serait un échec du nationalisme, mais ce peut être une réussite du processus de décentralisation ».

Une forte décentralisation sans obsession identitaire. Est-ce vraiment possible ? Pour l’instant cette solution émane d’un certain nombre d’intellectuels, mais il ne se trouve aucun mouvement politique pour la mettre en avant.  Le climat politique actuel semble plutôt tourné vers l’exacerbation des identités.

Sur les contradictions entre discours identitaire et poussée touristique et immobilière des entrepreneurs locaux, nous pouvons nous référer à l’analyse du géographe Joseph Martinetti : « La résidentialité touristique, secteur rentable en raison du coût du foncier, les conduit à favoriser le développement de la construction et à ne pas négliger le recours massif à une clientèle extérieure pour développer leurs programmes immobiliers. Leurs intérêts seront-ils longtemps compatibles avec l’affichage environnementaliste des élus nationalistes prêts à des compromis ? »« La Corse « en marche »... vers l’indépendance ? ». Revue Hérodote 2018/3N° 170.

Un dernier aspect et non des moindres, occupe les esprits. Il s’agit de la peur des déclassements sociaux, économiques, géographiques… Ces différentes craintes sont soudées par un ciment : l’identité. Du coup, il est plus facile pour les observateurs (médias, universitaires…) et pour les acteurs (politiques, et entrepreneurs) de parler du concept d’identité que d’aborder le contenu de ces peurs.

Le ciment : la peur du déclassement. La Corse, une région… périphérique

Que ce soit dans l’ensemble de la France ou bien en Corse, un sentiment semble dominer dans une partie de la population : la peur d’être « largué ».

Au niveau national, les articles, recherches et autres rapports se multiplient autour du thème des « zones périphériques ». Cette « périphérie » peut être géographique et/ou sociale. (Zones rurales, quartiers « défavorisés »…). Les débats sur les « clivages » se multiplient : villes contre campagnes, quartiers « riches », contre banlieues pauvres, métropoles riches contre territoires oubliés.

 Toute une novlangue se développe autour d’un thème pourtant ancien : favorisés contre défavorisés. Une redécouverte des fractures sociales à l’intérieur des fractures territoriales. Ce regard entre un « centre » développé et une « périphérie » délaissée par des choix étatiques est présenté par le géographe Christophe Guilly, dans son livre « La France périphérique. Comment on a sacrifié les classes populaires » 2014 (Flammarion).  Cette façon de présenter les déséquilibres sociaux/géographiques est remise en question par Laurent Davezies, spécialiste de l’économie et du développement des territoires au CNAM (Conservatoire National des Arts et Métiers),  dans son ouvrage « L’État a toujours soutenu ses territoires » 2021 (Seuil)

Illustration 7

Un tel débat mérite une enquête faisant la synthèse entre les réalités « périphériques » et le travail de l’État. Pour notre part, il serait déjà bien de comprendre si la Corse est une « périphérie » ou bien encore une « banlieue défavorisée », avec les symptômes, connus, de ce genre de zone. 

 Une série d’éléments, en Corse, nous entraine vers la théorie de la « banlieue » : pauvreté, faible niveau de formation, zone de « non droit », isolement géographique à l’interne et vers l’extérieur… liste non exhaustive. Pour Stéphane Guilly « la question qui obsède les Corses est celle qui hante la France périphérique ». In Le Figaro 14 Décembre 2017. Cette peur d’un déclassement explique-t-elle la prégnance d’un vote « nationaliste » ? Pour C. Guilly la « question identitaire » est réelle, mais il ne faut pas oublier « les fondamentaux démographiques ». Le géographe poursuit, en estimant : « qu’il y a aujourd’hui, partout dans le monde occidental, un problème de représentation politique. Les électeurs se servent des indépendantismes (…) pour dire autre chose ».

La Corse, une « périphérie » économique et sociale, les indicateurs nous le rappellent depuis très longtemps. L’île est-elle en train de devenir une « périphérie » politique ? Il est trop tôt pour répondre avec certitude. En tout cas les états-majors des partis politiques, notamment chez les « natios » régionaux, se la posent.

 Désormais, « La société corse s’est alignée sur la France » c’était l’avis du sociologue insulaire, Georges Ravis-Giordani (Corse Matin 30 Janvier 2017). Il s’interrogeait sur les revendications identitaires : « «Elles sont cependant plus idéologiques que sociologiques. Parce que sur le plan des mœurs, de l'alimentation, de l'éducation, il n'y a finalement pas tellement de différences ». Encore faut-il que l’accès à cette « sociologie » soit accessible au plus grand nombre. Au niveau national et international, l’avenir est à un monde plus inégalitaire, c’est un ancien banquier d’origine corse, Charles Henri Filippi, qui le dit. Il a siégé à la première assemblée de Corse, en 1982 et son père a été sénateur (MRG) de la Corse (1955-1958).

La Corse colle bien au tableau, c’est une des régions les plus inégalitaires sur le plan des revenus. Cette inégalité est également géographique, entre différentes micro-régions de l’île.

 Le 30 Juin dernier, les électeurs insulaires ont-ils exprimé la volonté de défendre une identité ou bien une demande de mise à niveau ? Ces deux points peuvent-ils « fusionner » ou bien sont-ils incompatibles ? Les hommes politiques insulaires et l’État ont eu des décennies pour trouver la réponse, pour l’instant en vain.

Les électeurs ont, désormais, peu de temps pour répondre à des questions aussi difficiles.  

      Ajaccio le 6 Juillet 2024

Liens vers articles et revues

"Absolument fou de penser que tous les nationalistes corses votent pour le RN aux élections nationales", André Fazi. RCFM (Radio France) 11 Juin 2024

La Corse, une figure rhétorique du racisme. Marie Peretti-Ndiaye. .Revue Terra-HN (Mai 2008)

L’identité corse : une relation récursive entre identités et territoires vécus. Marina Casula. Revue en ligne Nouvelles perspectives en sciences sociales - Volume 2, numéro 1, septembre 2006

Passé colonial et phénomènes contemporains d'identification et d'altérisation. Le prisme corse.  Marie Peretti-Ndiaye. In L'Homme & la Société 2010/1 (n° 175) 2010/1 (n° 175), pages 81 à 98 Éd. Association pour la Recherche de Synthèse en Sciences Humaines (ARSSH)

LE NEO-RACISME EN EUROPE Peuples méditerranéens n° 51 (avril-juin 1990), chapitre : CLANISME ET RACISME Hypothèses sur les relations intercommunautaires en Corse P. 191. Claude Orsoni

Entretien Christophe Guilly, géographe : « La question qui obsède les corses est celle qui hante la France périphérique » . Le Figaro 14 Dec. 2017

Corse : un territoire sous pression. Joseph Martinetti (11 Décembre 2024) Areion 24 news 

Corse: quelle économie pour une autonomie? Alain Verdi Blog Mediapart (5 Avril 2022)

La Corse « en marche »... vers l’indépendance ? Joseph Martinetti. Revue Hérodote 2018/3N° 170

 Corse : données INSEE « l’essentiel »

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