Alain VERNET

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Billet de blog 14 octobre 2022

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Quand une ARS méconnait l'éthique et les droits des patients

Autour d'un exemple d'une toute puissance calamiteuse et bureaucratique de la gestion par une ARS de la situation d'un patient complexe dans le cadre de la sollicitation d'un DAC (Dispositif d'Appui à la Coordination), lésant les droits des patients.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

QUAND LA PUISSANCE PUBLIQUE OUBLIE L’ETHIQUE ET LA REGLE DE DROIT

A PARTTIR DE L’EXEMPLE D’UN CONDENSÉ DES ERREURS

COMMISES DE BONNE FOI PAR UNE AGENCE REGIONALE DE SANTÉ

                Il est des secteurs de la société dans lesquels les erreurs apparaissent très rapidement inacceptables, et même scandaleuses : ceux qui ont un impact sur la vie humaine, ou même quand elles interfèrent avec l’existence même de la vie humaine, et on pourrait en retenir trois : la santé, la justice, la sécurité. Le caractère inacceptable de telles erreurs, peu importe qu’elles soient commises de bonne foi ou non, est encore renforcé quand elles émanent d’instances d’autorité, dont la raison d’être est d’établir les directives et prescriptions permettant de ne pas les commettre, de contrôler leur application et bonne exécution, d’établir les responsabilités et les sanctions en cas de non-respect de celles-ci.

            A partir d’un exemple montrant une succession d’erreurs commises par une Agence Régionale de la Santé (ARS), dans le traitement d’une situation complexe d’un patient (complexité résultant de l’association de facteurs pathologiques, sociaux, psychologiques (les attitudes et comportements dudit patient), situationnels (une insuffisance de la ressource en professionnels de santé), et la mise en œuvre d’un dispositif destiné à traiter de ses situations complexes, mis en œuvre au niveau national sous l’impulsion et le contrôle de ces mêmes ARS : les Dispositifs d’Appui à la Coordination (DAC), nous montrerons combien ces erreurs, commises certes de bonne foi, avec un souci d’efficacité, ont pu lésé des droits fondamentaux du patient, sans même que les services de ladite ARS en aient pris conscience, et aient esquissé une quelconque analyse critique pouvant éviter la réitération d’erreurs identiques.

            Nous établirons, décrirons, définirons, les droits lésés en la circonstance, après avoir considéré le cadre dans lequel s’est exercé l’action de ladite ARS : le DAC, en analysant les spécificités de ce dispositif, et exposé en quoi la pratique qu’en font certaines ARS peut susciter des questionnements. Nous placerons cette pratique, comme aussi les erreurs relevées, dans un fonctionnement plus général de l’administration française, résultant d’une tradition centralisatrice : prérogatives exorbitantes du droit commun, certitude de maîtriser l’expertise des situations, conviction absolu d’être dépositaire de la norme et de la règle, survivance donc d’un absolutisme d’ancien régime faisant considérer la règle de droit comme ne s’appliquant qu’aux autres, comme n’y étant pas soumis, produisant défiance, irritation, lors d’éventuels recours juridictionnels, considérés comme de véritables « crimes de lèse-majesté ». Empruntant son caractère sacré aux monarques qui en furent à l’origine, et dont elle n’était qu’une excroissance, le bras armé, l’administration, en France, a peu l’habitude du débat, de la controverse, du doute, et de l’explication argumentée de ses positions et décisions. C’est dire que la délibération éthique lui est étrangère, alors même que la complexité des situations rencontrées, surtout dans les domaines om l’humanité, la singularité individuelle est essentielle, la rendrait nécessaire. Mais alors il lui faudrait renoncer à considérer les situations in abstracto, à travers des indicateurs, des outils statistiques, pour les confronter aux réalités concrètes, qu’elle ne perçoit souvent qu’à travers un prisme déformé, qui peut l’amener à tordre les faits, pour qu’ils se conforment aux situations idéales, au telos, qu’elle peut considérer comme un intérêt général, qui ne saurait être dépendant et impacté par des particularismes. En vertu de ce bien suprême qu’elle prétend incarner, de cette légitimité qui doit s’imposer à tous, quoiqu’il arrive, et quelles que soient les circonstances, aucune autre légitimité ne saurait lui être opposée, car elle ne pourrait avoir d’existence, sauf à lui être imposée d’une manière qu’elle considère toujours comme incongrue, et inacceptable : le recours juridictionnel.

            On pourrait donc considérer, eu égard à ce caractère sacré revêtu par l’administration française, qu’elle s’apparente à une cléricature.

                ILLUSTRATION PROBLEMATISÉE

            Notre propos est d’illustrer, dans un domaine très circonscrit, mais en même temps très sensible, puisqu’il concerne le champs sanitaire et social, cette toute-puissance de la bureaucratie administrative, et comment celle-ci, pourtant mobilisée dans une intention exclusivement bienveillante, peut-être excessive, aboutit à l’inverse du but recherché, lésant de multiples droit de la personnalité, oubliant des principes élémentaires de sécurité, en voulant mettre en œuvre, d’une manière trop strictement protocolisée, un dispositif d’aide, pourtant fortement défini, mais dont la rigidité même se heurtera aux circonstances, contextes et conditions particulières d’une situation de terrain, soulignant combien toutes les anticipations rationnelles peuvent oublier les résidus irrationnels de l’homme, qui débordent toujours les prévisions les mieux établies. Ceci montre aussi que les meilleures intentions du monde (qui dans le cas d’espèce étaient indiscutables) peuvent être mises à mal par l’angoisse, le malaise, la perplexité, mobilisés par les comportements humains, auxquels il ne peut toujours être répondu d’une manière trop préétablie, car stéréotypée, angoisse qui rend bête, méchant, et finalement inopérant, inefficace, contre-productif, allant même jusqu’à faire oublier des règles élémentaires, pourtant posées et définies par le droit, et que, dans le monde du sanitaire et social, le débat éthique (et du même coup pratique) n’est pas entre le mal et le bien (situation rare, fort heureusement), mais entre bien et bien, entre diverses perceptions de ce que doit être le bien, chacune ayant leur légitimité, ce qu’illustrera exemplairement le cas d’espèce proposé..

            En exposant cette situation caricaturale d’un dysfonctionnement majeur d’une administration de la santé, on discutera donc de quelques principes éthiques, mais aussi des règles de droit oubliées en la circonstance, qui seront rappelées. Cet oubli, ou cette méconnaissance des règles de droit, interroge de la part de l’administration, qui doit être au service de cette règle, qu’elle a pour mission de faire appliquer. Mais par tradition elle se pense toujours exorbitante du droit commun, et a toujours tendance à établir ses actes comme étant la règle, acceptant mal qu’on lui oppose le droit commun, et qu’on le fasse valoir devant les juridictions[1]. On verra aussi que ces dysfonctionnements étaient peut-être contenus dans le décret définissant le service mobilisé par l’administration : le Dispositif d’Appui à la Coordination (DAC), résultant du décret 2021-291 du 18 mars 2021, dont nous commenterons également les dispositions.

Vignette clinique.

Qu’à trop vouloir faire bien on fait calamiteux !

            Monsieur X. est un homme, qui bien que se trouvant en situation médico-sociale complexe, et très certainement particulièrement difficile, et peut-être même insupportable, n’a rien perdu d’une personnalité de base possiblement quérulente, revendicatrice, sthénique, et perpétuellement insatisfaite, sa situation compliquée n’ayant fait qu’exacerber les traits de son caractère individuel. Si bien qu’il réussit à user les patiences de la quasi-totalité des établissements susceptibles de l’accueillir et de l’héberger, et des intervenants (services et professionnels libéraux) intervenant à son domicile qui finissent par se récuser les uns après les autres, le laissant finalement sans prestation de soins, ce qui l’entraîne à engager diverses procédures contentieuses, qu’il médiatise à l’envi. D’une certaine manière, chez ce patient tétraplégique à la suite d’un accident de la circulation, on peut penser (et c’est l’hypothèse que nous faisons) qu’il s’agit pour lui de manifester qu’il reste acteur de son destin, et qu’il dispose encore de son discernement, et de l’autonomie de sa volonté, même si l’expression de celle-ci prend le plus souvent un aspect particulièrement négatif. A preuve de cette autonomie de la volonté, il salarie sous la forme de chèques emploi-service ses propres aides à domicile.

            Les cabinets d’infirmiers intervenant à domicile rapportent qu’il tient aux femmes des propos vulgaires, à connotation sexuelle, et possiblement injurieux, pouvant s’apparenter à une forme de harcèlement moral (il fait des demandes afin qu’on lui pratique masturbations et fellations, notamment). De plus il expose des photographies pornographiques à son domicile, dont des sexes masculins en érection (le sien peut-être). D’une manière incidente il était fait mention de la présence d’un mineur au domicile.

            C’est la raison pour laquelle les intervenants du domicile se récuseront les uns après les autres, et que devant l’absence de prestations infirmières, (ce que d’ailleurs il avait rendu public) la délégation territoriale de l’ARS avisée, décidait d’intervenir afin de trouver une solution, saisissant le DAC (dispositif d’appui à la coordination) du territoire concerné, afin qu’il puisse trouver un prestataire. Dans les faits cette saisine avait omis la recherche du consentement préalable du patient. De même elle n’était pas strictement une question d’insuffisance de coordination des acteurs de terrain, ceux-ci se coordonnant à l’évidence, mais un manque de certains acteurs. Cette absence de certains acteurs de terrain (qui d’ailleurs aurait pu être anticipée) mobilisa les partenaires subsistants dans plusieurs réunions convoquées par la DT-ARS, avec participation de certains services centraux de l’ARS, représentés par différents personnels administratifs, au cours desquelles, en l’absence du patient, non informé d’ailleurs de la tenue desdites réunions, sa situation fut largement débattue, et des informations confidentielles échangées (sur son intimité, sa pathologie, l’étiologie de celle-ci, ses traitements), le tout diffusé par courriels via des messageries non cryptées à différents personnels de l’ARS. A noter que jamais la présence d’un mineur au domicile n’apparaître évoquée. A l’issue il était fait reproche au DAC de n’avoir pas réussi à mobiliser un professionnel de santé infirmier pour assurer des interventions (transformant de fait une obligation de moyen en obligation de résultat), mais surtout il lui était fait injonction de retirer du domicile dudit patient les photographies pornographiques, en même temps que la plateforme de santé mentale était sollicitée d’intervenir, non pour un avis sur l’état psychiatrique du patient, mais pour une prise en charge, sur la base de ce qui était analysé et énoncé comme une pathologie mentale, par un administratif de l’ARS, au vu des éléments de comportements manifestés par ledit patient.

            Manifestement en cette affaire divers droits de la personnalité avaient été méconnus et lésés, sur lesquels on reviendra, mais le DAC était pensé et inscrit dans une perspective d’ordre moral, tandis que les services de l’ARS s’arrogeaient un droit général au secret partagé. Que l’intention initiale ait été vertueuse, que le patient ait eu une personnalité particulière, et même à la supposer pathologique, que ledit patient ait lui-même publiquement exposé certaines informations concernant sa situation, n’empêchent nullement qu’aient été lésés des intérêts juridiquement protégés, ce dont les services de l’ARS ne semblent pas avoir eu conscience, dans la mesure même où sur ces griefs précis qui leur seront exposés, ils n’apporteront pas de réponses. Faut-il considérer cela comme une toute-puissance, un absolutisme technocratique, inscrit dans la tradition de l’administration française ?

L’ADMINISTRATION COMME FONDEMENT DE LA NATION FRANCAISE

            L’administration française a toujours été puissante du fait de la tradition centralisatrice et jacobine du pays, qu’elle a depuis longtemps accompagnée et même initiée, soutenant et contribuant à l’absolutisme royal, qu’elle servait certes, mais dans lequel elle trouvait son intérêt, même si celui-ci s’accompagnait aussi de l’intérêt général, qu’au demeurant elle faisait sien en regard des égoïsmes et intérêts particuliers des « grands barons », cette noblesse d’épée qui se rêvait toujours faiseuse de roi, exigeant de ce fait prébendes, pensions et autres bénéfices, au nom de cette seule vertu héritée des siècles passés.

            C’est pourquoi si les « grands barons » pouvaient se considérer faiseurs de rois, les rois reconnurent dans une partie de la roture (certes la haute bourgeoisie d’affaires souvent plus éduquée) qu’ils distinguèrent, la faisant en quelque sorte, la hissant au rang de noblesse de robe, presqu’à l’égal des « grands barons », des soutiens inconditionnels, dévoués à leur personne, et à ce qu’ils incarnaient : le Royaume, puis l’Etat[2]. L’absolutisme royal, en éliminant les pouvoirs féodaux, contribua à la centralisation du pays, gouverné par des « bureaux » centraux, près du « chef », tête unique titulaire de la décision, qu’il imposait, relayés sur le terrain par des « intendants de police, justice, finances » qui reléguèrent les gouverneurs dans des fonctions d’apparat, purement honorifiques, Napoléon y trouva le moule de ses futurs préfets, ce dont les Républiques successives se trouvèrent fort bien. Le développement de l’administration fut ainsi consubstantiel à cet effort permanent visant à la centralisation du pouvoir. Et si l’on tenta de mettre en œuvre déconcentration et décentralisation, le tropisme centralisateur demeura, certes en changeant d’échelle, passant d’une centralisation nationale à une centralisation régionale, ou même départementale, mais en conservant le tropisme pyramidal, pensé comme moteur d’efficacité, mais aussi d’égalité et de justice, reléguant les initiatives locales à la portion congrue, toujours suspectes d’incompétence et d’incapacité prospective. Etonnant paradoxe dans un pays qui compta jusqu’à 33000 communes, et presqu’autant de particularismes, et qui, grâce à la loi du 1er juillet 1901, relative à la liberté d’association, a connu un développement considérable de ces structures juridiques, mais qui a gommé ces communautarismes de fait, dans un universalisme de principe et de pétition, favorisé par la domination, qu’on pourrait qualifier de totalitaire de la langue française, consubstantielle de la centralisation et de l’absolutisme, au moins depuis l’ordonnance de Villers-Cotterêts, du 25 aout 1539, sous François Ier, et reprise quasi comme un dogme religieux par la pétition de principe de l’universalisme républicain, se substituant presque terme à terme à l’universalisme chrétien de l’Eglise Catholique, incarné par le roi très chrétien, la monarchie du royaume de France.

            Ainsi dans les faits s’était-il concrétisé un début de principe d’égalité[3], (puisqu’une noblesse de robe cohabitait, et même supplantait progressivement la noblesse d’épée, permettant à la bourgeoisie d’accéder à une forme de ce qu’on pourrait appeler « ascenseur social », même si lors des réunions des Etats-Généraux, subsistait un vote par ordre et non un vote par tête, et même s’il existait un arbitraire – dont on trouve encore trace aujourd’hui à travers des prérogatives exorbitantes du droit commun reconnues à l’administration, bien qu’elle soit de plus en plus soumise à des règles de droit, mais qui, elles-mêmes, souvent, ont été dégagées et formalisées à travers des constructions prétoriennes par la justice administrative) que les gouvernants issus de la Révolution française allaient développer et renforcer grâce au système de l’accès par concours, qui y ajoutait un principe de rationalité, et, implicitement, d’efficacité, la raison permettant aux meilleurs d’accéder à ces fonctions, devenues accessibles à tous, cet universalisme contribuant à convaincre qu’il incarnait effectivement l’intérêt général.

LE QUASI-DOGME DE L’INFALLIBILITE ADMINISTRATIVE

            Dès lors, l’administration française, quintessence de l’intérêt général, donc d’une Idée du Bien, préexistant à toute situation contingente et particulière, convaincue d’agir rationnellement, avec un esprit positiviste (donc progressiste), et héritière de la tradition monarchique autoritaire, pense incarner toutes les vertus, et impose ses méthodes, procédures, orientations et décisions, avec les meilleures intentions, certaine que ceux qui n’y adhèrent pas sont au mieux des obscurantistes ,à la rigueur des incapables, au pire des subversifs. Tout alors doit être prévu, décrit, évalué, mesuré avec des indicateurs, cette évaluation finissant parfois, par se substituer à l’action, laquelle est toujours incertaine, hésitante, limitée, partielle, parcellaire, aléatoire, s’écartant toujours des règles et des procédures définies : « le fil rouge, sur le bouton rouge, le fil vert, sur le bouton vert… »[4]. La réalité hélas n’est jamais aussi simple, et ceux qui, de tous, ont été précurseurs de ces programmations, mises en œuvre à grande échelle, et articulant d’immenses masses d’hommes, de matériels, de services divers, à savoir les militaires, avec leurs plans d’Etat-Major, le savent bien, qui les voient mis à mal, voire tenus en échec, par des circonstances mouvantes, imprévues, imprévisibles même, qui imposent réactivité, adaptation, initiative, et parfois envers et contre tout ce qui étaient prévu. Certes si d’après le Généralissime Gamelin, en 1940, l’armée française « reculait sur des positions préparées à l’avance », rien ne se passa vraiment comme ce qui avait été préparé.

            C’est pourquoi il est peut-être nécessaire que l’administration n’ait plus cette révérence absolue de la procédure, des méthodes, et qu’elle sache déléguer aux exécutants qui se trouvent au plus près du terrain, des réalités concrètes, et qui, s’ils ne font pas nécessairement comme il faudrait, s’ils ne font pas bien, tentent, le plus souvent, de faire pour le mieux, en tout cas le moins mal possible. Car parfois le mieux, finalement, se montre l’ennemi du bien, ainsi que le dit le proverbe ; et à trop vouloir bien faire, on peut s’égarer dans des détails, oublier l’objectif final, être contre-productif, et accumuler les erreurs, avec un résultat possiblement calamiteux, voire catastrophique. Il peut en résulter un gaspillage d’énergie, mais aussi, le cas échéant, d’argent public, et même des dégâts humains. Ces effets sur l’humain paraissent d’autant plus mal acceptés que ces process mis en œuvre par l’administration avaient pour but, globalement, ce qu’on pourrait considérer comme recherchant une amélioration de la condition humaine, c’est-à-dire dans les champs où se manifeste le plus la vulnérabilité humaine, d’abord la santé, le social, ensuite l’éducation, enfin le vivre-ensemble. Car si en théorie la distinction qui sépare le Bien du Mal est facile, dans la pratique elle est ténue, incertaine, contextuelle, pouvant glisser de l’un vers l’autre, en fonction des intérêts qu’on choisit de faire valoir, de développer, des légitimités qu’on considèrera comme plus ou moins importantes, ou dont on oubliera qu’elles peuvent aussi avoir leur pertinence, ou tout simplement qu’elles peuvent être juridiquement protégées. C’est bien ce que, parfois, l’administration, emmenée par son tropisme technocratique, fondé sur un souci d’efficacité et de rationalité, une toute-puissance centralisatrice et pyramidale, une tradition étayée par l’habitude d’un fonctionnement exorbitant du droit commun, en arrive à faire, oublieuse des plus élémentaires et évidentes règles de droit, et s’étonnant qu’on puisse les lui opposer, pouvant même trouver scandaleux le recours aux juridictions, considérant comme suffisants les recours gracieux et hiérarchiques, qui, cependant, ne lui permettent que rarement de s’autocritiquer, et de reconnaître ses erreurs quand, le cas échéant, elle a pu en commettre.

            Dans une société développée comme la nôtre, société post-moderne, dans laquelle la science et la technique paraissent en situation de dépasser, voire de résoudre toutes les difficultés, et qui a fini par s’en convaincre, qui peut agir sur les principes mêmes de la vie, en commençant par sa capacité à la faire disparaître de la terre par le feu nucléaire, mais qui peut mettre en œuvre du génie génétique, dont la modernité même contient en elle ses propres capacités de destruction (un peu comme la mort appartient à la vie, faisant de l’homme, comme le dit Heidegger, un Être-pour-la-mort, en tout cas un Être vers la mort), société caractérisée par le triomphalisme de l’expertise, l’administration ajoute à sa toute-puissance initiale, la maitrise supposée, en tout cas annoncée, énoncée, de la connaissance et du savoir, au service d’un idéal marqué par la volonté de rechercher et d’atteindre l’excellence, le Bien, qu’elle nommera efficacité. Au service de cette efficacité recherchée, pour la faire advenir, et pour mettre en œuvre ce qui permettra qu’il en soit ainsi elle développera une bureaucratie, ainsi que des outils de diffusion de sa volonté et de ses méthodes : les circulaires et notes de service, dont le volume, toujours conséquent, risque bien de croitre avec le développement du numérique.

LA REFLEXION ET LA DELIBERATION ETHIQUES COMME GARANTIES

            C’est pourquoi il est important que l’administration se dote de structures de réflexions éthiques, afin de considérer l’impact que peuvent avoir pour ses assujettis, ou ses usagers, les effets des décisions qu’elle peut prendre, de manière souvent unilatérale, en vertu de ses prérogatives de puissance publique, exorbitantes du droit commun. Ce qui somme toute ne serait rien d’autre qu’une procédure délibérative au service de la prise de décisions, de façon à introduire une méthode critique, au sens kantien du terme, permettant de tester les effets d’une action dans toutes ses dimensions. La réflexion éthique a pour objectif d’introduire un doute systématique, cartésien, dans ce qui peut apparaitre trop facilement comme une certitude évidente, et d’organiser un système de repère dans une situation mouvante et peu déterminée, dans une situation nouvelle, pour laquelle aucune procédure, aucune méthodologie n’est établie. Elle permet, en quelque sorte, de dégager les critères d’un réel indéterminé. Mais il arrive aussi que dans certaines situations s’appliquent des normes précises, définies, établies, constantes, notamment ce qui pourrait se qualifier de « bonnes pratiques », et que la doctrine juridique nomme « usages », lesquels sont assimilés à des règles de droit non écrites, mais aussi des règles de droit écrites, un droit positif indiscutable, connu, obéissant à une hiérarchie des normes, et, qui plus est, ayant souvent donné lieu à diverses décisions judiciaires établissant un corpus jurisprudentiel. L’intérêt de la règle de droit est de mettre de l’ordre, de la rationalité (et donc le développement d’un droit écrit, caractéristique du droit romain, et des pays qu’il a irrigué, et spécialement le nôtre, appelé en France à un développement qu’on pourrait qualifier de prodigieux, accompagne le développement de l’administration, puisqu’il a la même finalité) dans l’incertitude, l’irrationnel, le passionnel, l’émotionnel, et donc la complexité, qui résulte du fonctionnement humain. Le droit a, par conséquent, une grande puissance d’abstraction, d’où son caractère général et impersonnel. Mais du fait de ce caractère général et impersonnel il ne peut jamais s’ajointer parfaitement aux situations humaines, individuelles, personnelles, qui secrètent toujours une part d’imprévu, même si, du fait d’un raisonnement par analogie, il permet d’apporter des réponses, et de résoudre, nombre de situations apparemment complexes. Mais il n’a jamais tout prévu, et il appartient à la jurisprudence, c’est-à-dire aux Cours et Tribunaux, de trouver dans ces règles, celles susceptibles de s’appliquer à une situation concrète et particulière. La production de cette jurisprudence est donc l’affaire de la Justice (Jus Dicere – dire le droit), qui interprète les normes, et en fait application, et qui, avant de rendre une décision, va délibérer, c’est-à-dire examiner les divers arguments, de manière à trouver une solution permettant de répondre à la situation spécifique qui lui est soumise, en tentant de trouver le point d’équilibre, cette prudence, cette phronesis aristotélicienne, qu’on définit comme un juste milieu, mais qui est plutôt une prise en compte de la proportionnalité (considérée comme un équilibre), « tout bien pesé, analysé, considéré ». On peut considérer cette recherche de la proportionnalité comme un arbitrage entre des contraintes (souvent d’ailleurs des normes juridiques), non pas nécessairement contradictoires, mais porteuses de légitimités différentes, non pas entre ce qu’on pourrait analyser comme le Bien et le Mal (ce qui serait alors assez simple à trancher, mais entre plusieurs conceptions du Bien, ou du Bon, ayant toutes une légitimité respectable. C’est pourquoi il n’existe aucune bonne solution, et qu’on se résout à adopter la moins mauvaise, plutôt que la meilleure, au moins pour une situation et un temps donné. C’est pourquoi la délibération éthique n’est pas seulement nécessaire dans le silence du droit, l’absence de normes, mais plus encore dans les situations d’un trop plein de droit, quand le choix préférentiel d’une norme en lèse d’autres, et quand, peut-on dire, un Bien s’accompagne d’un Mal, la complexité ne pouvant s’accompagner du binaire et du manichéisme. Le risque de ces situations est d’ailleurs l’impuissance, qui souvent succède à une fétichisation du droit placé en situation de toute-puissance et de Deus ex machina, rôle qu’il ne peut tenir dès l’instant où il est un processus d’analyse rationnelle et non un acte de foi, agissant telle une épiphanie miraculeuse.

            La démarche éthique a donc sa place dans les situations d’aporie tragique, la tragédie n’étant pas le drame, l’exacerbation du pathos, mais la mise en scène de la controverse, quand s’affronte dans un débat théâtralisé des conceptions différentes, et que rien ne peut se décider, débat tranché par la mort (l’abandon, la renonciation à une prétention et à une position), ou par une attitude de Deus ex machina (autorité qui décide, en raison de ce qui peut s’analyser comme un passage à l’acte). Cette prise de décision n’est pas en soi scandaleuse, quand bien même une administration la prendrait du fait de son caractère discrétionnaire et exorbitant du droit commun. Mais elle pourrait le devenir si la délibération a fait défaut, qu’elles que puissent être les intentions, les finalités ne pouvant ignorer les moyens, et si le choix opéré n’a pas été le résultat d’une attitude critique, voire déconstructive, au sens que Derrida donne à ce mot (faire résonner les concepts, les perceptives, dans un système équilibré, et pour tout dire cybernétique).

            C’est pourquoi il apparait que dans les situations complexes, à l’éthique de conviction (incarnée par l’administration, et plus globalement tous les sachants) il faut substituer une éthique conséquentialiste, éthique de responsabilité, qui ne peut qu’être associée à une éthique procédurale de la discussion, mais une discussion non biaisée par des postures de toute puissance, ainsi que la préconise d’Habermas, associée au principe-responsabilité de Jonas, qui permet de considérer, non tant le processus, la méthode, que l’intérêt multidimensionnel de la personne à qui on cherche à appliquer une décision, donc un telos humain, incertain, approximatif, comportant sa part d’ombre, de mystère, d’irrationnel, plutôt qu’un processus pensé et voulu comme infaillible.

LE DISPOSITIF D’APPUI A LA COORDINATION

            Celui-ci apparait précisément défini par les termes du décret précité, qui dispose :

Art. D. 6327-1.-Le dispositif d'appui à la coordination des parcours de santé complexes assure, dans le cadre de ses activités d'intérêt général, un service polyvalent à tout professionnel qui le sollicite, pour la réalisation des missions mentionnées aux 1° et 2° de l'article L. 6327-2 afin d'offrir à la personne prise en charge une réponse globale et coordonnée quels que soient son âge, sa pathologie, son handicap ou sa situation.
« Ces missions sont réalisées en concertation avec le médecin traitant.
« Il participe à la coordination territoriale des acteurs notamment par l'analyse des besoins et la structuration du parcours de santé complexes, par l'appui aux pratiques interprofessionnelles et par le soutien aux initiatives des professionnels.
« La personne concernée est informée du recours au dispositif d'appui à la coordination afin qu'elle puisse exercer son droit d'opposition.


 Art. D. 6327-2.-Chaque dispositif d'appui à la coordination dispose d'un système d'information unique partagé entre les professionnels intervenant dans le dispositif. Il permet l'échange et le partage d'informations concernant une même personne prise en charge entre professionnels exerçant au sein du dispositif d'appui à la coordination et avec les professionnels tiers intervenant auprès de la personne dans l'équipe de soins définie par l'article L. 1110-4.
« Le système d'information du dispositif d'appui à la coordination répond aux exigences de sécurité et d'interopérabilité prévues par l'article L. 1110-4-1 et s'inscrit dans la stratégie définie par l'agence régionale de santé en application de l'article L. 1431-2.


« Art. D. 6327-3.-Les missions du dispositif d'appui à la coordination sont assurées par une personne morale unique par territoire ayant conclu à ce titre un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens avec l'agence régionale de santé concernée, le cas échéant conjointement avec les conseils départementaux conformément à l'article L. 1435-3.

On observera d’abord que le texte fait mention de missions d’intérêt général, tout en précisant « dans le cadre de ses missions d’intérêt général », ce qui, bien évidemment amène à définir ce qu’est une mission d’intérêt général, mais semble pouvoir indiquer qu’il pourrait exister des missions n’entrant pas dans le cadre de l’intérêt général, car alors on aurait écrit « assure des missions d’intérêt général ». Cette ambiguïté laisse en effet penser qu’il pourrait exister des missions pouvant être au service d’un intérêt particulier, comme une réponse à une sollicitation directe d’un patient ou de sa famille, ou comme une réponse de substitution à un professionnel le demandant, ou à une carence de professionnel. Dans le cas d’espèce on aurait pu penser à une gestion directe de la situation par des professionnels du DAC, au moins pour un temps limité, ce qui pourrait justifier la mise en place de professionnels spécifiquement dédiés, ayant des compétences particulières : médicales, infirmières, psychologiques, sociales, et dans le cas d’espèce infirmières. A l’évidence ceci invaliderait la vulgate actuelle qui veut que les professionnels des DAC, appelés référents de parcours, aient une fonction généraliste, dont il faut reconnaître qu’elle peut se montrer insuffisante face à certaines situations complexes nécessitant une expertise fine et approfondie, et que donc ces fonctions généralistes n’ont la capacité de déployer leur pleine efficacité qu’étayées par quelques spécialistes plus pointus.

Qu’est-ce qu’une mission d’intérêt général, et pourquoi ne parle-t-on pas de mission de service public, bien qu’elle puisse répondre aux critères de définition du service public. C’est l’effet du droit européen sur le droit national. En effet, dans les autres pays de l’Union Européenne, c’est le terme qui s’impose. Le terme apparait, sans toutefois être clairement explicité, dans l’article 8 du Traité de Rome, créant le Marché Commun, puis dans le Traité de Lisbonne, et sera développé dans le rapport de la Commission Européenne de 2001, puis dans ses Livres Blancs de 2003 et 2004. L’accent est mis, non pas tant sur les critères organiques de définition du service public, que sur la mission particulière exercée, qui doit être accessible à tous, selon un principe d’égalité, être centrée sur des droits-créances (droits économiques et sociaux), et prendre en compte des dimensions essentielles du Bien-Etre de l’Humanité.

Cette définition par la mission est d’ailleurs ce qui a été retenu pour la création des différentes Autorités Administratives Indépendantes, qui disposent de prérogatives indiscutables de puissance publique, mais auxquelles il n’est pas possible de rattacher d’autres structures publiques, autrement que celles qui relèveraient de leur déconcentration locale, et qui n’en seraient, par conséquent, qu’un organe décentralisé.

Ces autorités indépendantes ne sont pas soumises à une tutelle de l’Etat, mais obéissent aux règles du droit public. En revanche elles ne peuvent être des structures de rattachement d’autres établissements publics.

L’ARS n’est pas une autorité administrative indépendante mais un Etablissement Public Administratif rattaché à l’Etat, qui lui délègue diverses compétences et pouvoirs, dans des secteurs spécifiés (des missions définies). Dans le cadre de ces missions elle dispose de prérogatives de puissance publique. Un établissement public se caractérise par l’autonomie, le rattachement (à une personne publique : Etat ou Collectivité Territoriale), la spécialité. Cette spécialité s’exerce à travers une mission de service public. Celle-ci peut être soit assumée directement par la personne publique ou l’établissement public, soit déléguée, mais elle se caractérise toujours par un objectif d’intérêt général, et le principe de continuité (permanence du service), d’adaptation (possibilité de modification unilatérale par la puissance publique), d’égalité d’accès au service. Cette délégation a un caractère contractuel, contrat administratif prévoyant la durée, les objectifs à atteindre, et les moyens alloués pour l’atteindre, ce qui s’appelle un contrat d’objectifs et de moyens. Dans le cas des DAC, confié à des entités de diverses formes juridiques, mais dans 80% des situations à des associations de droit privé, les caractères de cette délégation ne sont pas précisés, mais, dans ces situations où la mission est exercée par une association de droit privé, il apparait, puisque l’association exerce un mandat pour le compte d’une puissance publique, avec objectifs et moyens précisés, qu’on pourrait l’assimiler à un contrat de gérance, tel que défini par le décret 80-851 du 29 octobre 1980, qui concerne certes un secteur très différent (transport).

Le mandant finance le service confié au mandataire sur fonds publics, en contrôle l’exécution, peut en modifier unilatéralement, en vertu du principe d’adaptation, les objectifs et financements, sous réserve certes d’avenant au contrat d’objectif et de moyens, motivé, comme il est de droit pour toute décision administrative, et susceptible de recours, les voies de recours devant être précisées sur la décision susceptible de faire grief, et sans s’immiscer dans le fonctionnement interne de la structure juridique désignée comme mandataire.

Or le fonctionnement de certaines ARS vis-à-vis de certains DAC s’écarte de ces règles au point de transformer les associations en « associations transparentes », et le cas d’espèce l’illustre exemplairement : fonctionnement en régie directe à travers des injonctions de faire données directement aux personnels, compte non tenu des relations directes (en dehors même de toute information donnée aux responsable légaux des associations) établissant de fait un lien de subordination, avec décisions non motivées de faire -ou de ne pas faire -, à quoi s’ajoute, pour beaucoup, un objet social et une dénomination en lien exclusif avec la mission confiée, et un financement exclusif par fonds publics ; ce sont ces critères qu’a précisé la jurisprudence dans au moins deux décisions (CE, 21 mars 2007, N° 281796, commune de Boulogne Billancourt & TC, 6 juillet 2020, N° C4191). Dans ces situations tous les contrats sont requalifiés en contrat de droit public, et l’administration assume seule les responsabilités pour d’éventuelles fautes, même commises par l’association. Ceci peut se produire à l’occasion de n’importe quel recours juridictionnel : conflit prud’hommal, ou recours pour excès de pouvoir pour décision de la puissance publique faisant grief (dont une simple insuffisance de motivation d’une décision).

Ce dispositif se veut donc un dispositif décloisonné, c’est-à-dire qu’il n’est pas spécifiquement dédié à une pathologie ou à une population particulière, mais à des situations caractérisées par la complexité du parcours de santé. Certes, cette complexité n’est nullement définie, et peut donc, selon les uns ou les autres, présenter des périmètres différents, mais l’intérêt de cette non-définition préalable est de permettre une individualisation, une adaptation au cas par cas, sans qu’un critère d’exclusion soit posé au préalable, et sans non plus nécessiter la mise en jeu de critères cumulatifs. Néanmoins force est de reconnaître que l’existence d’un cumul de problématiques pourrait être un critère de diversité : cumul d’une problématique médicale, psychologique, sociale, financière, familiale, situationnelle, territoriale, générationnelle, notamment, et au sein même de chacune de ces problématiques des éventualités cumulatives elles-aussi, comme l’hypothèse d’une polypathologie, ou d’un polyhandicap. Aussi la complexité parait se déduire de la nécessité de mobiliser, au profit d’un même patients, plusieurs intervenants, afin d’opérer une synergie augmentant l’efficacité de sa prise en charge, ceci à la demande du médecin-traitant, qui, par le moyen de la saisie du DAC, souhaite ou bien gagner du temps pour la mise en œuvre effective de la prise en charge globale du patient, en sollicitant et articulant tous les partenaires utiles, ou bien avoir une perception plus exhaustive de la complexité de la situation de ce patient, grâce, notamment, à l’évaluation que peuvent en faire les différents professionnels du DAC.

            Le décret rappelle en effet que l’action du DAC se fait en concertation avec le médecin-traitant. Reste alors entière la question des patients sans médecins-traitants, surtout sur les territoires marqués par la désertification médicale, même s’il peut, par extension, incomber au DAC d’aider à en rechercher un (quoique la CPAM agisse aussi en ce sens, et que mettre en synergie ne saurait être agir en doublon). Le fait d’inscrire dans le décret le médecin-traitant (et comme seul professionnel de santé à bénéficier de cette inscription) montre l’importance centrale de ce dernier dans la mise en œuvre du dispositif DAC, et dans les modalités de gestion de la situation dans laquelle le dispositif intervient, et malgré l’ambiguïté de la formulation « en coordination », il reste que cette formulation même le place en position de pivot, même si cette formulation suppose aussi qu’il n’est pas décisionnaire unique, et laisse entière, en cas de souci, la question des responsabilités, dont on peut alors supposer qu’elles seraient partagées, ou assumées « in solidum ». Malgré le fait que le consentement du patient à la saisine du DAC soit un préalable, le patient reste ensuite singulièrement absent du décret, plutôt passif, objet d’application de la coordination, ce consentement initial étant-il un consentement absolu, définitif, valant pour chacune des situations découlant de ce contrat, ayant alors le caractère d’un contrat à exécution successive, ou n’est-il qu’un contrat passé avec le seul dispositif DAC, sans abolir la nécessité de passer autant de contrats particuliers qu’il y a de partenaires intervenants. On optera pour cette solution, dans la mesure où les règles du secret partagé permettent au patient de s’opposer à ce que des informations soient transmises à certains partenaires. Son consentement général, même initialement présumé, trouve donc là une limite, montrant qu’il ne contractualise avec le DAC que pour la coordination, et non de manière universelle et absolue.

LE TRAÇAGE ET LES ECHANGES D’INFORMATION

            Le renforcement des règles relatives à la manifestation du consentement du patient (ou de son non-consentement) découle également de l’existence d’un système partagé d’informations concernant le patient, développé par la puissance publique, selon des modalités de GIP ou GIE, et dont les droits différentiels d’accès restent insuffisamment précisés, comme peuvent sembler insuffisamment maîtrisées les règles applicables aux écrits alimentant les différents dossiers individuels.

            1°) Contenant et contenu du dossier

            Il convient d’abord de considérer que les règles du dossier médical doivent s’appliquer à ces informations. La conservation et la sécurisation des données est de la responsabilité de la structure gestionnaire du système d’information, tandis que les règles de communication dudit dossier doivent obéir à des règles identiques à celles régissant la communication du dossier médical. Car il est légitime de considérer que si la conservation du dossier, son aspect formel, extérieur, est de la responsabilité des services qui le mettent en œuvre, voire qui l’utilisent, son contenu, qui est la vie même du patient, sa substance, est la propriété du patient, qui doit être à même de s’approprier ce reflet qu’il a pour les autres, et qu’ils traduisent dans des écrits à son sujet. D’une certaine manière, mutatis mutandis, le dossier d’un patient pourrait se distinguer selon deux aspects : la nue-propriété, c’est-à-dire son contenant, et l’usufruit, c’est-à-dire son contenu.

            Or, si l’on cherche à définir les conditions et caractéristiques du contenant, force est de constater une grande incertitude quant au contenu, et donc dans la qualité et la pertinence des écrits figurant au dossier. On pourrait s’accorder pour dire qu’il doivent retracer des éléments factuels, objectifs, vérifiables, constatés ou énoncés, et éviter les jugements de valeurs, même implicites, qui parfois témoignent plus des conceptions morales du rédacteur (à travers sa sélection de certains constats) que des constats effectués ; en tout cas ces constats, qu’on pourraient toutefois qualifier de sémiologie clinique, ne devraient pas déboucher sur des interprétations définitives (le processus d’interprétation, nécessaire pour établir des hypothèses, constituant des liens à valeur explicative, restant nécessaire pour la compréhension de la problématique d’un patient, devant être le fait de chacun de ceux accédant à la consultation du dossier, et ne devant pas revêtir un caractère prédéterminé). Pour autant ces constats doivent avoir un aspect informatif, susceptibles d’apporter une contribution à la compréhension du fonctionnement et des difficultés des patients, et non se contenter d’être une simple mention d’un événement dépourvu de signification. Aussi convient-il de sélectionner dans le réel, même si ces critères de sélection restent toujours subjectifs, ce qui peut sembler pertinent pour la connaissance initiale du patient, le suivi de son évolution, et ce qui permet d’affiner les constats initiaux et de repérer les évolutions. Par conséquent tout n’est pas à tracer systématiquement, et c’est la quintessence des observations qui présentera de l’intérêt. De même il n’est pas nécessaire de reproduire le verbatim des entretiens, qui doivent rester dans l’intimité d’une rencontre, mais n’extraire de ce verbatim que ce qui peut présenter une pertinence informative.

            2°) Le Secret Partagé

            Pour autant ce contenu doit être sécurisé, protégé, par le contenant. Certes celui-ci doit avoir un caractère inviolable à des intrusions malveillantes en provenance de l’extérieur, Il doit en particulier veiller à ce qu’il n’y ait pas consultation des données par qui n’y aurait pas un intérêt légitime (c’est-à-dire non directement en charge du patient, et qui pourrait être mû par une simple curiosité), d’où la nécessité de demander avant l’accès au dossier le motif d’une telle consultation, et d’opérer des contrôles aléatoires sur la pertinence et la légitimité de ces motifs. Mais il faut définir également des droits d’accès au contenu qui peuvent être différents selon les professionnels et services concernés. C’est ce qu’on appelle le secret partagé.

            Ce partage d’informations à caractère secret doit cependant obéir à des motifs légitimes, qui reposent sur l’intérêt d’un tel partage pour le suivi du patient concerné. Quiconque n’appartiendrait pas, d’une manière ou d’une autre au cercle de soins du patient n’aurait pas d’intérêt légitime à consulter ce dossier, et lèserait des intérêts juridiquement protégés, à la fois des intérêts personnels, individuels de la personne, définis par le Code Civil (droit à l’intimité et à la protection de la vie privée), et des intérêts collectifs, facilitant la tranquillité collective, la vie et l’ordre publics ainsi que la protection des personnes, lésant donc la société, à travers des règles instituées pour favoriser sa cohésion, définies par le Code Pénal (notamment les dispositions protectrices du secret médical).

            On pourrait réserver l’appellation de secret partagé à l’échange d’informations au sein d’une même équipe, ce qui étant confié à un membre de l’équipe étant censé avoir été confié à l’ensemble de l’équipe, chacun des membres de ladite équipe devant alors être soumise aux règles de secret professionnel. Pour ce qui est de l’échange d’informations avec d’autres professionnels on pourrait alors parler de partage d’informations à caractère secret.

            Le décret 2016-994 du 20 juillet 2016 précise sur ce point les dispositions de la loi du 26 janvier 2016, portant modernisation du système de santé. Il est codifié dans les articles R 1110 du Code de la Santé Publique. L’article R1110-1 prévoit une double limite encadrant les informations pouvant être échangées ou partagées, ceci n’ayant cependant pas de caractère obligatoire, les limitant à ce qui est « strictement nécessaire à la coordination ou à la continuité des soins, à la prévention, ou au suivi médico-social » et précisant que les professionnels partageant leurs informations doivent rester « dans le périmètre de leur mission ». L’article R 1110-2 fixe la liste des professionnels susceptibles d’échanger ou de partager des informations, définissant deux catégories distinctes : d’une part les professionnels de santé mentionnés dans la quatrième partie du Code de la Santé Publique, c’est-à-dire les médecins, chirurgiens-dentistes, sage-femmes, pharmaciens, préparateurs en pharmacie, techniciens de laboratoire, infirmiers, aides-soignants, ergothérapeutes, psychomotriciens, audio-prothésistes, opticiens, orthoptistes, orthophonistes, diététiciens, auxiliaires de puériculture, manipulateurs d’électroradiologie, masseurs-kinésithérapeutes, assistants dentaires, ambulanciers ; et d’autre part les professionnels suivants :

  1. a) Assistants de service social mentionnés à l’article 411-1 du Code de l’Action Sociale et des Familles ;
  2. b) Ostéopathes, chiropracteurs, psychologues et psychothérapeutes non professionnels de santé par ailleurs, aides médico-psychologiques et accompagnants éducatifs et sociaux ;
  3. c) Assistants maternels et assistants familiaux mentionnés au titre II du livre IV du code de l'action sociale et des familles ;
  4. d) Educateurs et aides familiaux, personnels pédagogiques occasionnels des accueils collectifs de mineurs, permanents des lieux de vie mentionnés au titre III du livre IV du même code ;
  5. e) Particuliers accueillant des personnes âgées ou handicapées mentionnés au titre IV du livre IV du même code ;
  6. f) Mandataires judiciaires à la protection des majeurs et délégués aux prestations familiales mentionnés au titre VII du livre IV du même code ;
  7. g) Non-professionnels de santé salariés des établissements et services et lieux de vie et d'accueil mentionnés aux articles L. 312-1, L. 321-1 et L. 322-1 du même code, ou y exerçant à titre libéral en vertu d'une convention ;
  8. h) Non-professionnels de santé mettant en œuvre la méthode prévue à l'article L. 113-3 du même code pour la prise en charge d'une personne âgée en perte d'autonomie ;
  9. i) Non-professionnels de santé membres de l'équipe médico-sociale compétente pour l'instruction des demandes d'allocation personnalisée d'autonomie mentionnée aux articles L. 232-3 et L. 232-6 du même code, ou contribuant à cette instruction en vertu d'une convention.

            Quant à l’article R 1110-3, il prévoit les modalités à mettre en œuvre pour un tel échange et partage d’information, qui apparaissent essentiellement contraignantes quand les professionnels n’appartiennent pas à la même équipe de soin. Ainsi s’ils ne sont pas membres d’une même équipe de soins, la personne concernée doit être préalablement informée cumulativement :

-de la nature des informations devant faire l'objet de l'échange,

-de l'identité du destinataire et de la catégorie dont il relève, soit de sa qualité au sein d'une structure précisément définie.

Enfin les seuls cas où le professionnel est dispensé de l’obligation d’une information préalable relèvent d’un état de santé de la personne qui ne le permettrait pas. En revanche dès le retour de la personne à un état le permettant, l’information sur les échanges qui ont eu lieu doit être faite. Cette information a posteriori devra d’ailleurs être indiquée dans le dossier médical.

On peut également faire mention du décret 2016-996 du 20 juillet 2016 qui liste, de manière limitative, les structures de coopération, d’exercice partagé ou de coordination sanitaire et sociale dans lesquelles peuvent exercer les membres d’une équipe de soins, c’est-à-dire au sein desquelles on peut considérer que peut être mis en œuvre un secret partagé. Cette liste est la suivante :

1º  Les groupements hospitaliers de territoire ;

2º  Les fédérations médicales inter-hospitalières ;

3º  Lorsqu'ils ont pour objet la prise en charge médicale coordonnée de personnes, les groupements de coopération sanitaire et les groupements de coopération sociaux et médico-sociaux, ainsi que les groupements d'intérêt public et les groupements d'intérêt économique ;

4º  Les maisons et les centres de santé ;

5º  Les sociétés d'exercice libéral et toute autre personne morale associant des professionnels de santé libéraux, lorsqu'elles ont pour objet la prise en charge médicale coordonnée de personnes ;

6º  Les organisations mises en œuvre dans le cadre des protocoles de coopération prévus aux articles L. 4011-1 à L. 4011-3 ;

7º  Les plateformes territoriales d'appui mentionnées à l'article L. 6327-2 ;

8º  Les réseaux de santé mentionnés aux articles L. 6321-1 et L. 6321-2 ;

9º  Les coordinations territoriales mises en œuvre en application de l'article 48 de la loi no 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 ;

10º  Les équipes pluridisciplinaires prévues à l'article L. 146-8 du code de l'action sociale et des familles et les équipes médico-sociales intervenant au titre de l'allocation personnalisée d'autonomie prévue à l'article L. 232-6 du même code. ».

            Il est à noter qu’aucun des cas prévus ne semble correspondre au cas d’espèce problématique que nous avons décrit, les difficultés du patient ne relevant pas, en outre, des pathologies à déclaration obligatoire. Rien, dès lors, ne justifiait cette transmission d’informations confidentielles aux différents services de l’ARS.

            La situation décrite illustre donc, in vivo, ce risque permanent d’un retour, sous couvert d’efficacité, et même au nom de la mise en œuvre d’intérêts légitimes, l’oubli et la lésion d’autres intérêts légitimes, ainsi que l’absence d’une délibération préalable, rendue impossible par l’affirmation d’une prérogative de puissance publique, et l’urgence à agir dans la situation particulière, ce qui pourrait rendre nécessaire la mise en place d’un médiateur indépendant, référent des droits des patients, qui pourrait être saisi par l’une des parties, en cas de présomption de lésion d’un ou plusieurs des droits du patients, que l’éventuelle urgence de la situation n’abolit en aucune façon, invitant même, au contraire, à ce qu’ils soient renforcés.

LA SAISINE DU DAC N’ABOLIT PAS LES DROITS DE LA PERSONNALITÉ

            1°) Consentement et Obligation d’Information

            Si le sujet est titulaire de droits sur les choses, ce qu’on nomme des droits réels, il est aussi titulaire de droits personnels, grâce auxquels il va pouvoir disposer de ces droits réels, les faire valoir, demander qu’on les lui protège, et à ce qu’on lui en procure réparation s’ils venaient à être lésés, mais aussi de droits de la personnalité, patrimoine qui exprime la substance même de son humanité, et qui ne relèvent pas d’une quelconque attitude, posture ou action de sa part, en quelque sorte de nature ontologique, et qui lui confèrent sa dignité..

            Les droits personnels sont la manifestation de l’autonomie de sa volonté, laquelle notamment s’exprime à travers les liens contractuels qu’il peut installer, entretenir, développer. Cette autonomie de la volonté s’exprime à travers le consentement, qui doit toujours se manifester d’une manière libre, éclairée, capable.

            Un consentement libre est un consentement qui n’aurait pas été vicié par une quelconque tromperie, ou intimidation, c’est-à-dire qu’il ne doit pas avoir été obtenu par violence (chantage, intimidation, pression quelconque), dol (c’est-à-dire tromperie), erreur (qui résulte souvent d’une insuffisance d’information, ou d’une information peu claire ou difficilement compréhensible). Aussi doit-il être éclairé, c’est-à-dire prise sur la base d’une information exhaustive, claire et loyale.

            Cette obligation d’information, en matière sanitaire et sociale, a progressivement été dégagée par la jurisprudence, construction prétorienne consacrée après coup par le droit positif, et en particulier par la loi du 4 mars 2002, dite Loi Kouchner, qu’on peut considérer comme le premier texte de droit positif consacrant une reconnaissance importante des droits des patients, et installant, même au sein du service public hospitalier, un véritable contrat de soin.

            De décision de justice en décision de justice, reprises ensuite par des normes de droit positif, l’obligation d’information s’est imposée comme centrale, au point d’apparaître comme un véritable droit de la personnalité. On peut rappeler ces grandes jurisprudences qui vont fonder l’obligation d’information. Ainsi c’est l’information donnée au patient qui fonde la validité de son consentement (Cass., 28 juin 1942, Teyssier), portant d’abord sur de possibles préjudices liés à des risques (Cass.Civ, 1ère, 11 février 1986) – et indemnisant par conséquent des éventuels préjudices résultant de risques dont le patient n’a pas été informés -, pour autant qu’ait existé une alternative dans les possibilités thérapeutiques proposées, dont le défaut d’information n’a pas permis qu’elle soit choisie, induisant une possible perte de chance (Cass.Civ, 1ère, 6 décembre 2007), et même en cas d’absence de choix thérapeutique possible (Cass.Civ, 1ère, 18 juillet 2000), défaut devenu un préjudice autonome (de l’ordre d’un préjudice morale) même en l’absence de tout risque réalisé, de tout préjudice constitué par ailleurs, d’où il résulte que ce droit à l’information est désormais à considérer comme un droit de la personnalité (Cass.Civ., 1ère, 3 juin 2010). Par ailleurs la jurisprudence précise les conditions de délivrance de cette information, qui doit être donnée par tous moyens pédagogiques adaptés, et dont il faut s’assurer qu’elle ait été comprise (Cass.Civ, 1ère, 16 juin 2013). C’est pourquoi il ne faut pas se contenter de distribuer des documents écrits, fussent-ils rédigés dans la langue du patient, mais il faut les commenter. Ces obligations se trouvent en creux dans l’article 90 de la loi du 26 janvier 2013, dite loi Touraine, qui prévoit la mise en place de médiateurs sanitaires et d’un interprétariat linguistique. Mais cette obligation d’information reste une obligation de moyen, et n’a pas le caractère d’une obligation de résultat, car le médecin – et par extension tout professionnel de santé – n’a pas le devoir de convaincre le malade (Cass.Civ., 1ère, 18 janvier 2000), de même qu’il y a dispense de cette obligation d’information en cas d’urgence, d’impossibilité ou de refus du patient d’être informé (Cass.Civ., 1ère, 7 octobre 1998), information dont cependant le contenu doit être à apprécier en fonction de la nature de la pathologie, de son évolution prévisible, et de la personnalité du patient (Cass.Civ., 1ère, 23 mars 2000).

            Enfin depuis l’arrêt Hédreul (Cass.Civ, 1ère, 25 février 1997), qui a introduit un revirement de jurisprudence, le patient est présumé ne pas avoir reçu l’information, ou ne pas l’avoir comprise, et c’est, par conséquent, au professionnel de santé d’apporter la preuve qu’il l’a délivrée, d’où l’importance de la traçabilité.

            2°) Les Autres Droits de la Personnalité

            Le droit au respect de la vie privée et de l’intimité apparait comme un des droits essentiels de la personnalité. De nombreux textes de droit positif, supranationaux et nationaux le protègent. On citera l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, laquelle est visée dans le préambule de la Constitution de 1958, article 2, dont la protection a pris valeur constitutionnelle, depuis une décision du Conseil Constitutionnel de 1995 (C.C, N° 94-352, 18 janvier 1995) ; l’article 12 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 ; l’article 8 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés Fondamentales de 1950 ; l’article 17 du Pacte international relatif aux Droits Civils et Politiques, l’article 9 du Code Civil. Certes la notion de vie privée n’est pas strictement définie, mais on s’accorde pour dire qu’elle concerne l’état de santé, le domicile, l’image, la vie sentimentale, les correspondances.

            A l’évidence la situation d’espèce décrite par notre vignette clinique montre que ce droit a été lésé par les injonctions de faire délivrées par la puissance publique, ainsi que par ce qui a été échangé et diffusé entre les différentes personnes, non membres du cercle de soins, et non habilitées à un partage d’informations confidentielles, qui ont été destinataires des informations concernant ce patient. Que lui-même ait pu révéler publiquement des informations sur sa vie privée n’autorisait pas d’autres à les relayer sans son consentement, ni à y ajouter des informations nouvelles.

            On peut considérer que relève de ce droit à l’intimité et à la vie privée le droit à l’oubli des pathologies, tel qu’il a été posé par l’article 190 de la loi du 27 janvier 2016, codifié dans les articles L1141-5 et L1141-6 du Code de la Santé Publique. Dès lors on peut considérer que s’il existe un droit à l’oubli des pathologies, a contrario il ne peut exister un droit à création et publicité d’une pathologie non avérée comme une pathologie psychiatrique, énoncée sur la base, non d’un avis autorisé, non d’un examen ou d’une expertise de la personne, mais uniquement sur la base d’appréciations moralisatrices, en soi constitutives de l’atteinte d’un Droit à l’Honneur (et à la considération), mais également susceptibles de constituer également et cumulativement une discrimination fondée sur les pratiques sexuelles, ainsi qu’on peut le lire dans le cas d’espèce exposé comme vignette clinique.

            Le respect du secret médical (qui par extension s’impose aussi à tout professionnel de santé) concerne la diffusion à des tiers non autorisé (quand n’ont pas été respectées les dispositions définissant le secret partagé ou rentrant dans le cadre des dérogations légales (strictement et limitativement énumérées, et qui ne s’appliquent en aucune façon au cas d’espèce considéré), d’informations révélées au professionnel de santé, constatées, ou même simplement déduites par lui. Il obéit aux dispositions de l’article 226-13 du Code Pénal, mais aussi de l’article R 4127-4 du Code de la Santé Publique. A l’évidence la diffusion à des administratifs de l’ARS, non professionnels de santé, non membres du cercle de soins, non concernés par les dispositions régissant le secret partagé (notamment diagnostic, étiologie, thérapeutique) constituent une violation caractérisée du secret médical.

            3°) La Protection des Mineurs

            On se souviendra que dans le cas d’espèce étudié certains intervenants avaient pu constater la présence d’un mineur au domicile du patient. Compte tenu des éléments rapportés (présence de photographies pornographiques), il était possible de considérer qu’au regard des dispositions de l’article 375 du Code Civil, « si la santé, la sécurité, ou la moralité d’un mineur (…) ou si les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel et social sont gravement compromises », il y avait suspicion de danger pour ledit mineur. Un risque de danger, sans faits précisément établis, doit entrainer la saisine de la cellule de recueil des informations préoccupantes, mise en place sous l’autorité du Président du Conseil Départemental, par l’article L 226-3 du Code de l’Action Sociale et des Familles, lequel article précise qu’elle doit être saisi sans délai. Si le danger est avéré ou imminent (et la présence constatée de photographies pornographiques au domicile le fait présumer, ainsi qu’il fait présumer d’une atteinte aux conditions normales (en bon père de famille) d’éducation), le signalement doit être fait auprès du Procureur de la République.

            Il appartient alors aux interlocuteurs saisis d’établir la matérialité des faits signalés, d’en apprécier le danger, de les qualifier, en ayant recours aux moyens qu’ils estiment adaptés et pertinents. Il n’appartient pas aux personnes qui signalent d’apprécier la matérialité du risque, ce qui est trop souvent le cas, au risque d’occulter des situations pouvant aboutir à la persistance ou à l’aggravation du danger, et pour les mêmes raisons, de vouloir instruire la situation afin d’apprécier l’opportunité de signaler, ce qui, en allongeant les délais de réaction, peut augmenter le danger.

            Enfin, trop souvent, afin de ne pas compromettre les chances d’une confiance et d’une adhésion au dispositif thérapeutique proposé, on se refuse à faire un signalement, entretenant alors, et même en le maximisant, le risque de danger. En ce domaine une délibération éthique qui confronterait cette recherche de confiance à une vulnérabilité particulière entrainant un devoir de protection, si elle était mise en place, établirait très certainement un devoir de signalement.

            Dans notre cas d’espèce la puissance publique parait avoir longtemps méconnu le possible danger moral de ce mineur, faisant apparaitre, dans une logique de puissance publique et d’efficacité technocratique, combien elle ignorait les situations de vulnérabilité individuelle, démontrant une perception des situations par indicateurs chiffrés, in abstracto, accompagnant une méconnaissance des situations réelles, singulières, concrètes. Ce faisant n’aurait-on pu qualifier son manque de vigilance et de réactivité de négligence, voire de manquement à une obligation de sécurité ?

CONCLUSION

            L’examen de la situation complexe, qui a servi de prétexte à notre analyse, démontre l’importance qu’il faut accorder au repérage et à l’évaluation des conflits de légitimités, qui sans doute font la trame de notre condition humaine, mais nous interpellent avec plus de force et de vigueur dans les situations en rapport avec les secteurs sanitaires et sociaux, dès l’instant où l’impact d’une vulnérabilité inhérente à celles-ci mobilise souvent des affects compassionnels qui nous orientent vers un désir de bien-faire, à tout prix, pourrait-on dire, de manière urgente, séance tenante, tendus dans une volonté d’efficacité, qui peut alors oublier que d’autres légitimités peuvent avoir leur pertinence.

            Et nul ne contestera le désir de bien faire, de trouver une bonne solution, à la situation problématique rencontrée. Pour autant ce désir de bien faire a abouti à des résultats paradoxaux, a induit de multiples effets pervers, et, oubliant des droits fondamentaux de la personne humaine, entrainé de multiples lésions de ceux-ci. L’un de nos objectifs était de les rappeler avec force afin de tenter d’éviter la réitération de situations identiques, car l’oubli de ces droits, et l’impossibilité de les faire valoir, ne peut que constituer une atteinte à la dignité de la personne humaine, et ajouter de la vulnérabilité à la vulnérabilité.

            A l’évidence l’administration, étant donné sa tradition qui la fait se situer comme titulaire d’un pouvoir discrétionnaire exorbitant du droit commun, ainsi que comme  un organe de production de nombre de normes juridiques, de contrôle et d’application de celles-ci, en arrive à oublier qu’elle-même est soumise au droit, y compris au droit dont elle est à l’origine. On pourrait penser que dans notre cas d’espèce ces oublis, ou cette méconnaissance des règles de droit -et on a vu qu’ils étaient nombreux – relèveraient d’une cause individuelle, mais on affirmera qu’il s’agit d’une cause systémique, qui tient à la nature même, et à la tradition, de l’administration française. D’ailleurs sa difficulté à reconnaître ses erreurs (dans cette situation comme dans d’autres) le démontre.

            Cette tradition empêche toute mise en œuvre d’une attitude de doute, et donc tout recours à une délibération éthique, l’administration étant sachante par définition, et éclairant sa décision par le recours à d’autres sachants (des experts), mais rarement par suite d’une controverse d’arguments. D’où l’impossibilité d’un fonctionnement par négociation et compromis, mais uniquement par rapports de force, le recours contentieux juridictionnel en étant une modalité parmi d’autres (et c’est la raison pour laquelle l’administration – qui devrait accepter ces fonctionnements normaux dans un Etat de droit – les considèrent souvent comme ayant un caractère presque scandaleux, illégitimes, abusifs, déplacés, incongrus).

            L’exemple particulièrement complexe, choisi comme prétexte à notre analyse, favorise encore plus cette pratique exorbitante du droit commun, en accentuant la recherche de l’efficacité, donc de la simplification, au détriment de l’analyse. Ce faisant l’administration a opté pour une posture utilitariste, (la fin justifiant les moyens), antinomique d’une posture respectueuse des principes (équilibrant les moyens avec les fins, posture de la phronesis, de la prudence aristotélicienne).

            Le choix philosophique (utilitarisme ou principisme) retenu détermine peu ou prou la production juridique, et la lecture qu’on fera des textes qui définissent les normes juridiques. Soit, principe utilitariste réducteur et simplificateur, on en restera à la lettre du texte, stricto sensu, texte existant en soi, comme un absolu, soit, principisme s’inscrivant dans un ensemble plus vaste, on l’examinera d’une manière plus herméneutique, en le considérant moins comme un absolu que comme une partie d’un ensemble plus vaste, à considérer dès lors d’une manière analogique, non comme un en soi, mais comme un pour soi, résonnant avec d’autres normes avec lesquelles il est en interaction. Et l’on a pu constater que si l’on adopte cette posture, ici pour le décret relatif aux DAC, on dégage de multiples corrélats, et soulève de multiples questions, faisant surgir encore plus de complexité, contre laquelle le décret lui-même se voulait une réponse et une solution. Alors nul doute que l’émergence d’une complexité implicite peut faire naître un paradoxe insupportable, qu’il faut faire disparaitre au plus vite, grâce à des mécanismes défensifs de type passage à l’acte, autrement dit de recherche d’efficacité apparente et de solutions simples.

[1] Il existe donc une forte imprégnation, adhésion, à la conception du Ministre-Juge (dont on retrouve trace dans le recours gracieux et le recours hiérarchique, qu’on pourrait considérer comme des modes de conciliation, à ceci près que les conciliateurs de justice (dans le cas de la justice civile) sont indépendants des parties.

[2] Louis XIV n’a-t-il pas dit : « L’Etat, c’est moi ».

[3] Qui allait être considéré comme un principe général du droit français, par le Conseil d’Etat, cette haute juridiction administrative, héritière des conseils royaux, le théorisant, se faisant en quelque sorte juge et partie, car issu de ces corps qu’il contribuait à légitimer.

[4] Ainsi dans le film de Robert Lamoureux « on a retrouvé la 7ème compagnie, sorti en 1975.

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