Alain VERNET

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Billet de blog 24 mars 2016

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Ecole et handicap

L'école, mot générique, qui signifie éducation et socialisation, a pour fonction de construire un contenant et contenu psychique, c'est à dire, comme dit Aristote, des habitudes, qui feront comme une seconde nature; de façon à permettre à tous de se situer sur la même ligne de départ de la vie, quels que soient les aléas initiaux, donc les handicaps affectant l'existence des individus.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ecole et Handicaps

         Un grand philosophe contemporain, Emmanuel Lévinas, l’un de ceux qui aide à réfléchir sur les questions, en particulier d’éthique médicale et soignante, nous dit que « la spéculation sera toujours en retard sur le témoignage ».  Aussi n’attendez pas d’une intervention philosophique des réponses pratiques. Car la philosophie ne sert à rien, sauf à essayer de poser les problèmes, de mettre des questions en perspective, de préciser le sens des notions employées, de façon à sortir des préjugés, des idées toutes faites, des lieux commun, bref à créer les conditions d’une liberté de pensée, ceci étant aussi quelque peu l’une des missions de l’école. Le mot servir lui-même n’est pas philosophique, puisqu’il renvoie au servage, donc peu ou prou à l’esclavage, dont au contraire de la liberté, dont je viens de dire que c’est la raison d’être de la philosophie.

         Par conséquent il ne faut pas venir à une conférence qui traite de philosophie, même s’il s’agit de philosophie pratique, d’une philosophie centrée sur un questionnement de nature éthique, en pensant que vous allez repartir avec des solutions ou des recettes. Car la réflexion éthique, justement, c’est quand il n’y a aucune solution, ou plusieurs solutions acceptables, équivalentes, et qu’on ne sait pas laquelle choisir, quand il y a conflit de devoirs, ou quand un bien entraîne un mal, quand une solution comporte un risque : risque opératoire par exemple lors d’une intervention chirurgicale. La difficulté c’est de faire un choix à l’issue d’un débat argumenté, ce qu’on appelle un schéma dialectique, proposé par Hégel, ce que celles et ceux qui viennent de passer leur bac ont dû souvent entendre résumer par la formule : thèse, antithèse, synthèse, les arguments pour, les arguments contre, ce qui est le propre de la tragédie.

         Il ne faut pas confondre la tragédie avec le drame. Le drame, c’est un enchaînement de déterminations, de causes, qui, aboutissent à un effet inévitable, à une fatalité, un destin auquel on n’a le sentiment de ne pouvoir échapper. Dans le drame, on est dans l’action, dans le mouvement, alors que dans la tragédie, on est dans l’attente, le discours, la controverse entre des options différentes et des positions divergentes. C’est si vrai que si vous vous référez aux tragédies grecques, ou plus près de nous, à celles de Corneille et Racine, vous savez qu’on s’en prend, le plus souvent, pour 5 actes en alexandrins, sans qu’à la fin on soit plus avancé qu’au début, et qu’il faut une intervention extérieure, un peu surnaturelle, un deus ex machina qui tranche, pour en voir le bout.

         Par conséquent, faut-il vous le répéter, à la fin de mon propos, vous ne serez pas plus avancés qu’au début !

         Je voudrais, si vous y consentez, introduire mon propos, par une petite histoire ; non pas belge ; mais grecque (encore qu’en ce moment on ne fasse plus toujours bien la distinction entre les unes et les autres ; c’est mauvais dans les deux cas), que nous rapporte Platon, prince des philosophes (qui aurait aimé être aussi le philosophe des princes, puisqu’il conseilla un temps le tyran Denis de Syracuse ; cette tentation apparaît récurrente chez les philosophes : Sénèque et Néron, Descartes et Christine de Suède, Voltaire et Frédéric de Prusse, Diderot et Catherine II de Russie, et plus près de nous Luc Ferry, ministre de l’éducation nationale dans le gouvernement Raffarin ; j’espère avoir échappé à la tentation en étant conseiller de notre patineur olympique, Alain Calmat, alors ministre de la jeunesse et des sports, avant d’être philosophe).

         Revenons à Platon qui nous  raconte qu’un jour Zeus fit venir à lui les deux frères du géant Atlas : deux Titans, Prométhée et Epiméthée, afin de leur confier une tâche fort importante : distribuer aux différents animaux les différentes qualités naturelles. Et le dieu des dieux de donner aux deux frères comme un sac contenant toutes les qualités naturelles possibles et imaginables : la force, la rapidité, la capacité à changer de couleurs, avec pour injonction d’assurer comme « une égalité des chances », car il ne s’agissait pas de donner tout à l’un et rien à l’autre, Zeus précisant que la distribution devait être inspiré par « la diké » ce qui en grec veut dire la justice. Et les deux frères de s’en aller. Zeus aurait bien voulu que ce fut Prométhée, le plus sage, avisé, intelligent, des deux frères qui fit le partage, ce qu’en son temps Georges Marchais aurait qualifié « d’injonction patronale ».. Mais chemin faisant Epiméthée fit ce qu’on nommerait aujourd’hui « un caca nerveux », ou comme diraient les jeunes « il se la pète », affirmant que « c’est justement pas juste », que son frère est « le préféré, le chouchou », qu’il peut faire aussi bien, sinon mieux, et qu’il en a « marre que le grand patron confie toujours les tâches intéressantes à son frère et jamais à lui, priant donc Prométhée de lui laisser faire le partage. Après quelques hésitations Prométhée accepta, se réservant toutefois de venir à la fin du partage juger de la distribution Epiméthéenne.

         Ce mythe raconté par Platon dans le Protagoras ne précise pas ce que fut l’exact travail d’Epiméthée. Mais on peut imaginer que donnant la force au lion il n’eut pas besoin de lui donner une rapidité véritable ; donnant la rapidité à l’antilope, il n’eut pas besoin de lui donner cornes ou carapace ; qu’ayant reçu une carapace, la tortue se passa aisément de cette capacité de changer de couleur qui échut au caméléon, qui donc ne reçut pas de venin ; et l’aspic, venant au monde avec son venin, n’eut donc pas besoin, ni de la capacité de changer de couleur, ni d’une carapace, ni de rapidité, ni de force.

         Au retour de Prométhée, Epiméthée semblait satisfait de son travail : la diké l’avait inspiré. Mais c’est alors que les deux frères virent passer devant eux  celui que Platon désignait comme « un bipède sans plumes », c’est à dire un homme ; qui était peut-être une femme ! (Certes je sais bien qu’on dit de certains humains qu’ils ont tendance à se mettre des plumes quelque part, mais ceci n’en fait pas pour autant des oiseaux, ou alors ce sont de drôles d’oiseaux !). « Et à lui que donneras-tu ? » demanda Prométhée à son frère. Et Epiméthée (dont le nom signifie étymologiquement celui qui réfléchit après coup) de réaliser que son sac est vide, qu’il n’a plus rien à distribuer, plus de qualité naturelle à donner à l’homme. Si bien qu’à l’étourderie d’Epiméthée (laquelle n’est rien d’autre que l’étourderie de la nature qui fait venir l’homme au monde avec des besoins qu’il n’a même pas les moyens naturels de satisfaire), Prométhée, dont le nom signifie étymologiquement le prévoyant) Prométhée tentera de remédier en montant sur l’Olympe, avec pour dessein de dérober aux Dieux pour les donner aux hommes des qualités qu’on pourrait qualifier de surnaturelles puisqu’elles ne se trouvaient pas dans la besace d’Epiméthée : le feu, l’intelligence technique, l’art politique, la création artistique.

         Sans trop de difficultés Prométhée dérobera le feu à Héphaistos, le dieu forgeron. Sans trop de difficultés non plus, il volera à Athéna l’intelligence technique, « l’intelligence dans les besoins de la vie » comme écrit Platon, ce qui fera de l’homme, pour Bergson, un homo faber, un créateur d’outils adaptés à des fins, et non un simple utilisateur d’objets trouvés, fussent-ils utilisés comme outils au service d’une fin, ce qui différenciera l’homme des autres mammifères développés (le dauphin ou les grands singes en particulier). Mais parce que l’art politique (l’art permettant d’assurer la justice et la paix, donc la vie en société, l’organisation de la cité) appartenait à Zeus lui-même, et parce que ses appartements étaient trop bien gardés, jamais Prométhée ne parviendra à voler aux Dieux l’art politique. Il revient donc de l’Olympe n’ayant réalisé qu’une partie de son projet. Pourtant ce qu’il donne à l’homme pour compenser sa débilité originelle est de grande valeur, et les Dieux s’y tromperont si peu qu’ils condamneront Prométhée au supplice d’être enchaîné à flanc de montagne tandis qu’un aigle viendra lui dévorer régulièrement le foie.

Il n’empêche que n’ayant pas reçu d’emblée cet art politique, il appartiendra à l’homme de le trouver par lui-même, dans l’inconfort, d’inventer les chemins de sa vie, par essais et erreurs, par tatonnements, en rencontrant bien des échecs, et en n’arrivant toujours qu’à une organisation sociale imparfaite, malgré la mobilisation des philosophes, et des savants, élaborant force système, que les hommes ne cesseront de toujours expérimenter, de telles constructions caractérisant l’utopie.

         A l’évidence ce mythe platonicien peut s’interpréter de bien des manières, et métaphoriser bien des situations différentes.

         Il nous dit d’abord que l’homme est le plus précaire de tous les vivants, celui qui nait au monde fragile, inachevé, pauvre en instinct, cet instinct qui est comme une prévision naturelle des comportements animaux, instinct qui, nous dit Bergson, trouve sans chercher, ce qui n’est pas le cas de l’homme, qui a besoin d’une éducation, d’un apprentissage, pour se construire des habitudes, des comportements non précédés d’une délibération consciente, lui faisant, selon Aristote, comme une seconde nature, . L’homme, à sa naissance, n’est que puissance de, potentialité, et il faut le causer, c’est-à-dire opérer sur lui une reconnaissance, renforcer des attitudes et pas d’autres, ce qu’on appelle la socialisation.

         L’instinct animal existe d’emblée, et le dressage cherche à le corriger, à le faire disparaître en partie, alors que l’habitude est acquise, et l’éducation cherche à l’installer progressivement. Les habitudes, que nous n’avons pas toujours eues, (ou que tous n’ont pas de manières identiques) peuvent aussi se perdre (et c’est ce qui va caractériser les handicaps). Aristote considère que ces habitudes sont des vertus (virtu, qui provient de vir, homme), c’est-à-dire des qualités qui permettent de faire mieux son métier d’homme. Ces habitudes, ou ces vertus, c’est ce qui permet d’affronter le monde et les autres, de construire son autonomie, sa capacité d’action et de décision, son identité, donc son humanité, et sa liberté. Car Rousseau de nous dire que l’impulsion de l’appétit (ce qu’on appelle aujourd’hui la pulsion, la soumission à l’émotion, « je me suis énervé », est esclavage, et que l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté. Ce qui veut dire la contrainte, la frustration, est nécessaire à l’éducation, et donc à la construction de l’individu, et qu’il faut donc poser un cadre et des limites.

         Aristote nous liste un certain nombre de vertus, pour la plupart des vertus incomplètes, c’est-à-dire pas nécessairement bonnes, écartelées souvent entre deux vices, c’est-à-dire des vertus par défaut ou des vertus par excès. Par exemple, le courage se situe entre la lâcheté et la témérité, comme la tempérance se situe entre l’avarice et la prodigalité. La bonne vertu, vertu complète selon Aristote, c’est donc de tenir une position centrale une ligne de crête entre deux risques, deux tentations, deux écueils, position intermédiaire, qu’il appelle la phronesis, la prudence, qui est le choix de la bonne vertu au bon moment, la kairos, ce que Montaigne définit comme agir à propos. La prudence, c’est l’équilibre, ce qui est différent de la précaution, car en équilibre on se met en danger, on prend ses risques, alors que dans la précaution, on cherche à les éviter. Le principe de précaution, c’est trouver le bon équilibre entre des risques contraires, ce qui est différent de la précaution de principe, qui est l’évitement de tout risque dans l’indécision. Cet équilibre montre que les vertus se définissent par une façon d’être et non une manière d’avoir, car qui possèderait toutes les vertus ne serait sans doute pas vertueux, car il serait certainement orgueilleux.

         Cet équilibre n’est rien d’autre que ce qu’on cherche à instaurer à travers le débat éthique dont je parlais au début de mon propos ; c’est une façon de penser la complexité. Et c’est tout le contraire du manichéisme, lequel s’incarne exemplairement dans les contes de fée, entre par exemple la marâtre, dans Cendrillon et Blanche-Neige, et ces dernières belles et bonnes (ce dernier mot à ne pas prendre au sens que les jeunes lui donnent souvent).

         Cet équilibre, c’est celui aussi que cherchent à instituer enseignants (et parents) dans la relation éducative, entre tendresse et fermeté, pour permettre à l’enfant d’aller vers l’homme, pour qu’il construise son autonomie, et sa liberté de choix et de pensée, entre deux tentations : celle de l’abandon, et celle de l’accaparement, celle de l’enfant sauvage ou celle de l’enfant-roi, ou de ses parents qui disent mon enfant comme ils diraient mon train alors qu’ils l’ont raté.

         Cet équilibre est celui que doit trouver aussi l’école, et notamment lorsqu’elle est confrontée aux enfants en situation de handicap.

         Car, si nous revenons à Platon, et au mythe de Protagoras, par rapport à la problématique qui nous occupe aujourd’hui, nous pouvons très bien analyser les handicaps comme autant d’échec de la diké, d’erreurs du partage, comme autant d’insuffisances d’Epiméthéennes, qu’il appartiendra de compenser, de réparer, dans une approche, par conséquent Prométhéenne, l’école, pouvant se situer elle, comme une tentative pour mettre en œuvre l’intelligence technique et la développer, mais aussi pour dépasser les insuffisances prométhéennes, en permettant d’acquérir l’art politique, c’est à dire les pré-requis, les bases, d’une citoyenneté, et donc d’un vivre ensemble..

         Ce mythe platonicien me permet par ailleurs de rendre complémentaires deux espaces de pensée différents, issus de deux traditions de pensée quelque peu antagonistes. Et c’est ce qui va rendre difficile la mise en place de l’équilibre aristotélicien.

         En effet la pensée du handicap appartient plutôt à la sphère anglo-saxonne, pensée pragmatique et utilitariste, qui se place plutôt du côté de l’individu, de ses particularités, à travers une prise en compte de ses différences, qu’on va tenter de réparer, de compenser, adaptant finalement la société à l’individu, grâce à une discrimination positive qui permet l’intégration, qui est une addition des différences, en vue d’un projet commun. Alors que la pensée sur l’école appartient d’abord à la pensée grecque, puis à la philosophie des Lumières, qui pense d’abord le collectif, la cité, avant l’individu, qui pense le général avant le spécifique, qui, dès lors pense l’universel avant le particulier, ce qui rassemble plutôt que ce qui sépare, ce qui est commun plutôt que ce qui différencie, dans une perspective d’assimilation, disparition de la différence, non à travers une compensation, mais à travers une formation, qui permet d’adapter l’individu à la société, par un effort et un acte volontaire. Dans le handicap il y a une perspective d’équité, c’est à dire de rétablissement de l’égalité de tous, par le moyen d’une justice distributive ou redistributive, alors que l’école fonctionne dans une perspective d’égalité, initiale, par allocation de moyens identiques pour tous, et mis à disposition de tous, qui s’en saisiront plus ou moins.

         Ces deux traditions s’étayeront sur deux conceptions différentes de la dignité de l’homme, que l’une et l’autre chercheront à promouvoir, et que je résumerai en, d’une part, une conception posturale de la dignité, du point de vue de l’homme tel qu’il est, et d’autre part, une conception ontologique de la dignité humaine, du point de vue de l’homme tel qu’il devrait être, ou tel qu’on voudrait qu’il soit ; conceptions qu’il faut considérer complémentaires et non contradictoires, et qui ne s’opposent que pour les besoins de la démonstration.

         On peut considérer que le handicap (ou plutôt les handicaps : car il existe des handicaps physiques, sensoriels, cognitifs, psychiques, sociaux, culturels – qu’on ne saurait superposer dans leurs expressions comportementales, et qui peuvent avoir des besoins spécifiques, et qui donc doivent recevoir des réponses concrètes, pratiques, particulières, le seul aspect leur étant commun, étant le principe identique pour tous d’un droit à réparation et compensation, instruit et mis en œuvre par une instance commune, un guichet unique qu’est la MDPH, droit de créance sur la société), que le handicap, par conséquent, s’appuie sur une conception posturale de la dignité de l’homme, qui est affaire de qualités qu’on possède ou non, qu’on ne les ait pas acquises ou qu’on les ait perdu, et qu’on possède à des degrés différents selon les individus. Conception qui prend acte de ces degrés et de ces différences, tout en cherchant à en corriger les effets. C’est le sens même du mot handicap – en jeu ; en sport).

         Une telle conception, implicitement, fait craindre que cette perception de degrés différentiels de dignité, n’amène à penser l’humanité en termes de sous-hommes et de sur-hommes. C’est un peu ce qu’on a fait dire à Nietzsche. Elle a pu servir de fondement à l’esclavage, à la colonisation, à la différence de traitement hommes-femmes, à des conceptions aristocratiques de la société, divisées entre ceux qui combattent (la noblesse), qui prie (le clergé), qui travaillent (le tiers-état).

         Au-delà de la compensation, de la réparation, les dispositions légales et réglementaires sur le handicap ont cherché aussi à lutter contre ce clivage, en tentant de rétablir l’équilibre au sein de la société; par une attention aux plus petits et aux plus faibles ; à travers ce qu’on pourrait considérer comme une politique du care (du prendre soin – cf Gilligan – care/cure) ; mouvements féministes ; mais imprégné de valeurs judéo-chrétienne ; l’homme à l’image et à la ressemblance de Dieu ; qui s’est fait petit et souffrant.

         En revanche l’école, et tout le travail de l’éducation, ne cherche pas à rétablir un équilibre, à compenser un déséquilibre chez quelques- uns, mais à donner à tous les moyens de le construire, de la produire, à permettre à tous, indifféremment, (au moins en théorie) de l’atteindre, quelle que soit la misère de ses conduites et de ses conditions, du seul fait de l’appartenance à la cité des hommes, à l’appartenance au genre humain, sans distinction. Elle cherche à ce que chacun dans un lieu commun, acquière un savoir commun, en vue d’avoir un comportement commun.

         C’est la définition du mot école (du latin schola : lieu d’étude, leçon, loisir studieux – à la fois, lieu, bâtiment, et comportement, dans une réciprocité entre celui qui donne, transmets : le maître, et celui qui reçoit, apprend, prend : l’élève.

         Mais que fait-on à l’école ? Y éduque-t-on, y-enseigne-t-on, y-instruit-on, y-forme-ton ?

         Ces mots qu’on emploie souvent indifféremment l’un pour l’autre, désignent-ils exactement la même chose ?

         Former, c’est donner une forme, à une matière molle. Ce qui reviendra à construire des habitudes, cette seconde nature dont nous parle Aristote, ce qui n’est rien d’autre que la socialisation, quand on acquière des automatismes moteurs ou langagier. Processus passif.

         Eduquer (conduire à l’extérieur), c’est finalement faire disparaître un certain nombre de mauvaises habitudes, en quelque sorte réparer certaines erreurs ou insuffisances de la socialisation.

         Enseigner (insignare, enseigne, terme militaire), c’est recruter sous un même drapeau, placer dans un même camp, donc imposer des valeurs, auxquelles on adhère plus ou moins. C’est donc un processus contraignant ; qui était globalement celui de l’école de la troisième république ; (guerre).

         Eduquer, enseigner, deux processus actifs, qui mettent à l’écart les différences ; donc les handicaps ; qu’on ne considère guère ; puisqu’on n’a qu’une perspective téléologique, la fin.

         Instruire (assembler, bâtir, outiller, munir), affaire de méthode, te technique pédagogique, de moyens, sans qu’on considère la fin ; c’est au service de

         Par qui ? éducateur ; enseignant. Mais instituteur (celui qui suscite, produit, assume une forme ; qui donc contribue à la socialisation ; qui impose) Professeur (celui qui déclare une opinion ; sans l’imposer ; et qui n’oblige pas à ce qu’elle soit partagée)

Des compétences (habitudes)

Des savoirs (ce qu’on voit ; évident ; durable)

Des connaissances (plus éphémères, plus précaires)

         Vous le voyez la philosophie apporte plus d’interrogations que de réponses. Elle ne peut que nous montrer le caractère complexe des notions, en questionnant les mots et les concepts, pour mettre en mouvement la circulation des idées, donner de l’air aux pensées, faire que les uns et les autres développent arguments et contre-arguments, se donnent une liberté de discussion, d’appréciation, adoptent une posture critique (pas nécessairement d’opposition, mais de refus des solutions simplistes, des idées toutes-faites, des arguments d’autorité), se pensent en capacité de compréhension des situations, et comme force de proposition. La philosophie ne détient aucune vérité, mais cherche à ce que les uns et les autres se forgent leur vérité, qui, parce qu’Epiméthée n’avait plus rien à distribuer à l’homme, nous fait paraître le monde toujours plus dur et rude, est comme une lueur éclairant la nuit de nos angoisses, incertitudes doutes et hésitations, ainsi que le fit aussi le feu que Prométhée déroba aux Dieux.

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