Drôle d’ambiance. On croirait presque que le personnel judiciaire est en mal de reconnaissance depuis qu’une partie de l’honorable profession a été mise sur la touche par les mesures de l’état d’urgence prises par l’exécutif national. C’est vrai que tout se déroule comme si l’on ne faisait plus confiance aux juges d’instructions pour lutter contre les djihadistes en puissance, les militants écolos et tous ceux qui dans leur petit coin mijotent de funestes actions pouvant mettre la Nation en danger. Peut être que nous assistons aussi à une collision frontale entre le big business et le mouvement citoyen en plus du « choc des civilisations » ? Allez savoir !
Que l’on ne m’accuse pas de prendre les choses à la légère. C’est du sérieux.
Les tribunaux administratifs sont toujours là. Ainsi pour Total, l’affaire est simple. Ce n’est pas le gaz de schiste qui est interdit par la loi mais bien la fracturation hydraulique. Puisqu’on vous dit que l’on n’utilisera pas cette technique (la seule connue) d’extraction, il n’y a aucune raison de nous interdire de fouiller la terre. Le droit, c’est le droit. Au suivant !
Pour Vinci, No Problem. Pour le bétonneur et ses filiales ainsi que pour le juge des expropriations, tout est clair. L’Etat a concédé le terrain de Notre Dame des Landes à Vinci pour y construire un aéroport, pas pour y planter des artichaux ou élever des vaches. Et pour s’en persuader, on s’appuie sur la foi d’une déclaration d’utilité publique datant de 2008. Dehors les bouseux ! Et le premier écolo zadiste qui brandit un artichaux, on lui passe les fers à résidence avec fichier S. Sans procès ni trompette.
Pour Bolloré SA, alors là, attention ! La méfiance journalistique s’impose.
Je mets ici mes confrères en garde car on ne rigole pas avec Vincent Bolloré. Pourtant, en marge de ses multiples plantations de produits exotiques, Monsieur le Président de Canal Plus,devrait être désormais prévenu contre la capacité de nuisance des plumitifs et autres malveillants de la télé.
Que nenni. Le voilà embarqué dans une désagréable affaire de diffamation contre sa personne par une poignée de journalistes suite à un malheureux article paru dans Bastamag sur l’accaparement des terres en Afrique et ailleurs. De tous les grands groupe cités dans cet article, Bolloré SA est le seul à porter plainte pour diffamation. Ceci s’explique : le groupe Bolloré est un habitué des prétoires devant lesquels il a déjà convié France Inter et Témoignage Chrétien et accessoirement sollicité l’agence suisse Ecofin dans le cadre de procédures ayant trait à la réputation du groupe et de son principal dirigeant. (Source : Le Monde Diplomatique)
Surtout, chers confrères, ne citez aucun extrait de l’article de Bastamag, ne publiez aucun lien hypertexte pouvant vous expédier sur ce champ de mines juridique qu’est devenu cette enquête journalistique.
La partie civile relève neuf passages de l’article qu’elle considère comme diffamatoire.
La 17° Chambre (presse) du tribunal de grande instance du Palais de Justice de Paris (1) va avoir du pain sur la planche, le 11 février prochain. Car pour prendre en compte le droit d’informer de la presse il est bien possible qu’elle ait à se prononcer sur le fond, c’est à dire sur la pertinence des arguments développés par les auteurs de l’article.
Ainsi, le tribunal devra-t-il savoir si l’agro-industrie de rente pour l’exportation au profit de multinationales peut être ou non néfaste à l’agriculture locale dans les pays pauvres qui sont en déficit alimentaire chronique ?
- Qu’il y a bien 868 millions de personnes qui souffrent de sous-alimentation, la plupart dans les pays tropicaux, selon l’Onu et si l’agrobusiness chez eux constitue ou pas une réponse adéquate à cette injustice globale et permanente.
- Qu’il est bien vrai que des terres qui sont déclarées inexploitées ou abandonnées dans les pays du Sud le sont vraiment ?
- Que certaines multinationales ont largement profité ou pas de la privatisation des grandes plantations dans les pays pauvres du Sud comme le prétend notamment l’Oakland Institute aux Etats-unis ?
- Que dans deux pays africains déchirés par d’horribles guerres civiles, des multinationales seraient bien parvenues à mettre la main sur des dizaines de milliers d’hectares pour réaliser des plantations de palmiers à huile et d’hévéas dans des conditions dénoncées par les populations locales ?
- Qu’il y a bien eu un rapport de la Fédération internationale des Droits de l’Homme qui accuse la filiale d’une multinationale d’avoir, au Cambodge, mis la main dans la plus grande opacité sur des milliers d’hectares dans une zone jadis protégée ?
Ce ne sont que quelques unes des interrogations auxquels les débats pourraient répondre si l’on souhaite informer précisément le citoyen lambda et lui permettre de se faire une juste opinion sur les stratégies de développement de l’agriculture et de l’alimentation en vogue dans les pays du Sud.
(1) Cour d’Appel de Paris, TGI de Paris N° du Parquet : 1232123055. N° d’instruction : 2109/13/4
Alain Zolty