Les pétitionnaires justifient notamment leur initiative par le fait que les gardes du corps, affectés à la protection d’un chef d’État menacé dans son lieu de séjour, auraient « attaqué des manifestants camerounais à l’Hôtel Intercontinental de Genève, ainsi [qu’un] journaliste de la Radio Télévision Suisse [...], mercredi 3 juin 2019 ».
Hargne débordante
En ajout à la hargne débordante, il est indiqué que la personnalité mise à l’index « louerait à l’année un étage entier dans l’hôtel de luxe genevois pour lui-même et une cinquantaine de proches aux frais du contribuable camerounais. L’argent avec lequel [elle] paie ses somptueux séjours à Genève est soustrait à son peuple. Une nuitée [...] coûterait environ 40 000 dollars, sans compter les déplacements en avion ».
Supposons que les arguments avancés par les signataires de la requête parlementaire soient tous vérifiables. L’appréciation de leur impact sur un État souverain n’est-elle pas du ressort de sa communauté citoyenne, à l’abri des interférences et ingérences importées ? Par surcroît, quelle législation d’airain serait-elle de nature à assimiler à un crime international la couverture par un trésor public national des dépenses légalement dévolues à une magistrature suprême, fussent-elles, le cas échéant, moralement ou éthiquement discutables ?
Routinerie préétablie
Indépendamment des critères relatifs de gouvernance multidimensionnelle et de performance institutionnelle, les séjours à l’étranger de moult dirigeants politiques de la planète procèdent ordinairement d’une routinerie préétablie et induisent corrélativement des frais à la charge budgétaire de leurs pays d’origine, sans pour autant susciter une animadversion de bonnets malicieux, ni une quelconque supplique rageuse auprès des autorités de céans.
Le Cameroun n’est certes pas au-dessus de tout soupçon. À l’instar d’autres pays, il est perméable aux prévarications élitaires et aux malversations coutumières qui peuvent soulever des passions orgueilleuses et réveiller des animosités en veilleuse. Mais cette « Afrique en miniature » ne mérite point d'en faire tout un fromage, ni de frémir de tant d’arrogances condescendantes et de rodomontades exogènes !
Fond historique de valeurs partagées
La séance parlementaire est patiemment attendue à Genève. Quand bien même la pétition soumise aux députés passerait, il y a lieu de douter qu’un seul État sur 26 puisse infléchir la politique étrangère de la Confédération helvétique, robuste de ses 8,5 millions d’habitants répartis dans quatre régions culturelles et linguistiques distinctes (allemande, française, italienne, romanche).
En effet, comment imaginer une unanimité politique discriminatoire dans cette nation dépourvue d’unicité contraignante depuis l'an 1291, à l’exception d’une identité communautaire éminemment forgée sur un fond historique de valeurs partagées comme le fédéralisme strict, la démocratie directe et le symbolisme alpin ?
Démarche vouée à l'échec
Le pays neutre du légendaire Guillaume Tell semble au demeurant vertueux pour rester maître de son destin, sans succomber à la tentation d'une partialité crasse. Selon les Nations Unies, il est l’un des moins corrompus du monde, possède le deuxième PIB nominal par habitant, bénéficie de la deuxième plus haute espérance de vie et trône comme leader de la compétitivité économique. Enfin, sans ressources significatives tirées de son sous-sol, avec une superficie de 41 285 km², la Suisse est le berceau traditionnel d’un tourisme plurinational de luxe qui ne saurait s’accommoder d’anathèmes contre des représentants élus d’autres nations de la planète.
Dans un contexte à la fois propice aux divergences de clocher et réfractaire aux agitations distantes des préoccupations helvétiques, la pétition déposée au Grand Conseil de la République de Genève est une hasardeuse et inefficace démarche vouée à l'échec. Aussi ne peut-elle que faire chou blanc, au grand dam d’activistes manipulés par des adversaires politiques du pouvoir camerounais et poussés à peigner la girafe au milieu d’indifférences je-m’en-foutistes !
Alain Boutat
Épidémiologiste,
économiste et politiste
Lausanne