À la lecture de ces chiffres, la région babillarde du Sud-Cameroun, lanterne rouge du classement ELECAM par le nombre d’électeurs, ne représente que 4 % des inscrits à la prochaine présidentielle, mais ses élites figureraient parmi « les plus gros détourneurs de fonds publics » (2). Et, dans cette hypothèse, elles illustreraient les abjectes indélicatesses dictées à la malédiction du Triangle des tumultes.
Corps électoral du Dja-et-Lobo
Il serait intéressant de connaître aussi le poids du corps électoral du Dja-et-Lobo, département d'origine du chef d’État sortant, qui devrait se situer à moins de 2 %. Certains excités de la fierté futile, de conviction idéologique ou partisane incertaine, n'agitaient-ils pas dernièrement le spectre de « voter en faveur de l’opposition à Paul Biya » ? Raison évoquée au détriment de la comparaison des projets politiques : « la marginalisation [supposée] des routes et des ressortissants » au sein de l'arrondissement de Sangmélima...
Bon Dieu de politicardie alimentaire ! Que dire alors d'historiques circonscriptions coloniales, à l’instar de Bengbis, qui ne présentent aucun signe distinctif d’urbanité spatiale depuis plus de 60 ans ? Et que penser des âmes de la vaste réserve de faune et de biosphère du Dja, créée en 1950 et véritable patrimoine d’une « valeur universelle exceptionnelle » (3) ? De fait, ces humbles suent sang et eau pour résister à toutes les vicissitudes. Ils ont le dos large, les pieds dans le fleuve et les yeux sur le marécage. Mais ils survivent avec pudeur...
Damnés de la Forêt Bulu du Dja
Sans poids effectif aux yeux de ceux qui tiendraient le haut du pavé de la République, la zone géographique autour de la bourgade de Nkolmbembe-Zambe, de l’autre côté du fleuve mythique Dja, est dépourvue d’un pont de franchissement, que ce soit en passant par Meyomessala ou en transitant par Bengbis (4). Enclavée, cette zone fédère tous les maux des villages défavorisés : une absence d’énergie électrique, une absence de dispensaire, une absence d’eau potable, une absence de route carrossable... Aussi n'a-t-elle jamais eu d'élu national ni de ministre gouvernemental depuis l’indépendance en 1960. Le nom de l'un de ses illustres enfants ne vient-il pas d'être substitué dans la liste élective des conseillers régionaux du Sud ?
Voilà de flagrantes négligences, qui ne sont pas comparables à la situation de l'arrondissement de Sangmélima ! Ne pesant sur rien aujourd’hui mais confiants dans le courage d’une patience intègre, les damnés de la Forêt Bulu du Dja, dotés d’une majestueuse dignité réfractaire à la fangeuse reptation politico-alimentaire, semblent se distinguer par une foi sereine en l’avenir, sans se laisser submerger par l'urgence des frustrations accumulées. Eu égard à cette vertu précieuse, si peu de kilomètres à vol d’oiseau de Meyomessala, ils escomptent sans doute l’effet naturel par lequel le bien et le mal s’équilibrent, tôt ou tard, dans les authentiques destinées humaines.
Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne
(1) Elecam. Statistiques des inscrits, site ELECAM, octobre 2025.
(2) EcoMatin. « Cameroun-Opération Epervier : Voici le top 10 des plus gros détourneurs de fonds publics », 237 Actu Com, 01/10/2020.
(3) Unesco. Réserve de faune du Dja, UNESCO World Heritage Centre, 2013.
(4) Boutat A. « Les damnés de la Forêt Bulu du Dja », Mediapart, 20/11/2020.