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Billet de blog 2 mai 2024

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QUEL AVENIR POUR LE NIGER ?

Le Président du « Conseil national pour la sauvegarde de la patrie du Niger », le général Abdourahamane Tchiani, justifie auprès des médias étrangers la légitimité de son coup de force de 2023 par une « exigence patriotique ». Peut-on en espérer un apport salutaire pour ce pays contusionné par diverses aventures politiques ?

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Un immense sursaut civique s’impose prioritairement contre la misère dans un État classé au 189e rang mondial sur les 191 pays comparés en 2023 (1), selon l’indice de développement humain (IDH) du Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Que s’est-il donc passé depuis l'hymne de fête de la proclamation en fanfare, le 3 août 1960, de la souveraineté de cette ancienne colonie française d’Afrique de l’Ouest ? Le pays sahélien de la première figure emblématique de l’indépendance nigérienne, Hamani Diori (1916-1989), a connu cinq coups d’État (1974, 1996, 1999, 2010, 2023) et une dizaine de tentatives avortées en moins de 50 ans. À chaque reprise, les militaires putschistes ont évoqué la malgouvernance économique, sociale et politique des régimes nûment renversés.

Ressources minières peu contributives 

Nonobstant son rang de quatrième producteur mondial d’uranium (avec 7 % environ des parts de marché) et sa qualité de bénéficiaire potentiel de l’extraction monopolisée des hydrocarbures par une firme chinoise, la république du Niger, à l'instar d'autres pays du continent africain, n'a qu'une activité limitée dans les secteurs porteurs de l’industrie manufacturière et des services marchands. 

En réalité, les ressources minières y sont peu contributives à la richesse nationale. Elles ne participent qu’à hauteur de 16 % au produit intérieur brut (PIB) et n'occupent que 10 % de la population active, bien en retrait d'une agriculture passablement dynamique qui concourt à raison de 40 % au PIB et emploie près de 80 % de la force de travail mobilisable sur le territoire national (2).

Budget de l’État nigérien

La faible diversification multisectorielle expose également le pays à des fluctuations conjoncturelles décevantes, en accélérant par contrecoup une dette relativement élevée et en hypothéquant la croissance économique nécessaire à l’amélioration des conditions de vie de la population. En même temps, le Niger qui comptait 52 % de la population en état d’extrême pauvreté en 2023 (3), fait face depuis plusieurs années à une montée de l’insécurité dans ses zones frontalières avec le Mali, le Burkina Faso et le Lac Tchad, que les hommes en treillis n’ont pas réussi à stopper au fil du temps.

Avant le putsch de juillet 2023, 40 % du budget de l’État nigérien était composé d’apports extérieurs. Depuis lors, l’Union européenne a réduit son allocation de 500 millions d’euros pour la période 2021-2024. Les États-Unis ont révisé l’aide de 233 millions de dollars, promise en 2023. L’Allemagne a suspendu le programme de soutien de 120 millions d’euros, approuvé en 2021 par le Bundestag. La France a interrompu son concours de 132 millions de dollars, annoncé en 2022. Et l’État frontalier nigérian tergiverse sur le retour à l’alimentation de 70 % du Niger en énergie électrique.

Liens entre l'Afrique et la Russie 

Après l’éjection des puissances occidentales et leur substitution par la Russie, il tombe sous le sens de s’interroger sur l’avenir du Niger. La nation d’origine de Vladimir Ilitch Oulianov (1870-1924), dit Lénine, fondateur au XXe siècle de l’État soviétique et de la ferme dictature du prolétariat, sera-t-elle en mesure d’y apporter la stabilité et le progrès souhaitables au XXIe siècle par une population meurtrie ? N’est-elle pas déjà engagée dans une guerre affligeante contre la patrie voisine d'autres ressortissants slaves orientaux ?

Les liens entre l’Afrique et la Russie ont connu un passé paisible dès le Moyen Âge, lorsque des pèlerins orthodoxes de Russie et des chrétiens d’Égypte ou d’Éthiopie se rencontraient en Terre sainte, et que des musulmans russes et africains se côtoyaient sur les lieux sacrés de l’islam (4). Sous le règne de Pierre Ier le Grand (1672-1725) apparaîtront accidentellement les rarissimes Africains notables de Russie, tel le général en chef de l'Armée impériale, Abraham Hannibal Petrovitch (1696-1781), quatrième personnage de l’Etat.

« Wait and see »

Les descendants de Hannibal brilleront aussi, puisque son fils aîné Ivan fut un officier de marine accompli et son arrière-petit-fils n’est autre que le célèbre dramaturge Alexandre Pouchkine. Bien plus tard, des Afro-Américains victimes du racisme et séduits par les idées du communisme devinrent des citoyens convoités dans les années 1930. Et le soutien de Moscou aux mouvements africains de libération nationale reste incontestable. Mais la situation a changé dans les années 1990, avec la chute brutale de l’Union soviétique.

Malgré l’envoi récent du matériel et des instructeurs militaires dans des pays du continent, notamment au Niger, nul ne saurait affirmer avec certitude que les relations entre l’Afrique et la Russie connaîtront des lendemains plus prospères au regard du contexte qui a prévalu sous l’autorité de Boris Nikolaïevitch Eltsine (1931-2007). En effet, le premier président de la Fédération de Russie n’a pas été long à se convaincre que l’arrêt des aides aux États africains et le remboursement de leurs dettes impayées seraient utiles à son pays. Aussi est-il de mise de rappeler l’invite expressive à la prudence réflexive et à l’observation attentive des faits politiques, prononcée jadis par Sir Herbert Henry Asquith (1852-1928), premier ministre du Royaume-Uni de 1908 à 1916 : « Wait and see ».

Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne

(1) PNUD. « Sortir de l’impasse : repenser la coopération dans un monde polarisé ». Rapport sur le développement humain 2023-2024, 20/03/2024.
(2) École de politique appliquée. « Le Niger : riche en ressources, mais pauvre population! ». Université de Sherbrooke, Québec, 31/10/2023.
(3) Banque Mondiale. « Niger - Vue d’ensemble », Publication BM, 19/03/2024.
(4) Junkers W. Reisen in Afrika, 1875-1886. Nach seinen Tagebüchern bearbeitet und herausgegeben von dem Reisenden. Hölzel, 1889-1891.

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