L’ancien président du Congo, né Joseph-Désiré Mobutu (1930-1997), avait le don de s’approprier de ce qui pouvait stimuler et faire briller l’orgueil postcolonial contre l'exploitation néocoloniale : verbiage enflammé antitout, toque en peau de léopard en guise de majestueuse couronne bantoue, canne sculptée symbolisant un puissant pouvoir de manitou, tenue vestimentaire « abacost » (à bas le costume) imposable partout, abolition de prénoms chrétiens au profit de noms fourretout, etc.
Fierté afro-futile
Dans son élan de faire semblant, le tombeur du leader nationaliste Patrice Émery Lumumba (1925-1961), « héros de l’indépendance » du Congo-Léopoldville, a pu officialiser le dérisoire « mouvement politique de l’authenticité » pour aiguillonner la fierté afro-futile. Du haut de sa personnalité vaniteuse et plurielle, le natif de Gbadolite s'arrogeait de qualités flatteuses ou exceptionnelles : « Léopard royal », « Panthère de Kinshasa », « Aigle de Kawele », « Elombe Sese », « Papa Maréchal », etc.
Dans cette fougue si particulière et disproportionnée, l'ex-journaliste, passé dans l'armée, avait tendance à ressembler aux personnages russes des romans de Fiodor Mikhaïlovitch Dostoïevski, à la fois omnipotents par temps lumineux et impotents par temps nébuleux, sans orientation réfractaire à l’arrogance sectaire et à la bouffissure légendaire.
S’agissant notamment de sa plus célèbre allocution à la tribune des Nations Unies en 1973, Mobutu expose en filigrane une lapalissade têtue : « les États n’ont pas d’amis, mais des intérêts ». N'était-il pas déjà, à l'époque, d’une évidence crasse que l’assistance des « pays riches » profite d’abord à eux-mêmes ? Alors, à qui la faute, si ces « pays riches » ne s'incrustent pas délibérément dans les « pays pauvres » et « indépendants » sans accords mutuels des parties prenantes ?
Homme d'État
Le Lieutenant-général Joseph-Désiré Mobutu devient président en 1965 par un coup d'État contre Joseph Kasa-Vubu (1917-1969), rebaptise le pays « Zaïre » en 1971 et, un an plus tard, change son propre nom en Mobutu Sese Seko Ngbendu wa Za Banga, s’autoproclamant ainsi « guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne ne puisse l’arrêter ».
L’homme d’État imposera, dès lors, une dictature à parti unique et le culte de la personnalité, dans un contexte caractérisé par une violation généralisée des droits de l'homme et par une hyperinflation due à la nouvelle monnaie souveraine « zaïre ». L'intrépide « Léopard royal », prédateur impénitent, acquiert en même temps la réputation de kleptocrate pour sa fortune personnelle, ses extravagances festives et ses propriétés immobilières en Occident (dont plusieurs châteaux).
Après avoir vainement soutenu les rebelles de l’UNITA de Jonas Malheiro Sidónio Savimbi (1934-2002) et du FNLA de Álvaro Holden Roberto (1923-2007) dans la guerre civile angolaise, gagnée par le MPLA d’Antonio Agostinho Neto Kilamba (1922-1979), avec le concours de mercenaires cubains, le chef d’État zaïrois ne pouvait plus continuer à tirer vanité d’être le « partenaire incontournable des États-Unis sur le continent » et le « rempart contre la montée du communisme en Afrique australe ».
Glas du Maréchal-Président
En 1993, quatre années pénibles avant son exil forcé, successivement en République du Togo et au Royaume du Maroc, la cellule africaine de l’Élysée à Paris et l'ONG Transparency International estimaient séparément la fortune cumulée du dictateur à environ sept milliards de dollars, soit 70% de la dette extérieure de son immense pays ruiné.
La chute brutale de l’URSS en 1991 et la sortie incrémentale de la guerre froide ont ensuite fini par sonner le glas du Maréchal-Président, dépourvu désormais de l’aide occidentale pour couvrir les besoins élémentaires nationaux et contrer l’invasion victorieuse de « l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo ».
En somme, Mobutu était manifestement le prototype expansif de ces dirigeants africains aux supposés discours offensifs d’émancipation postcoloniale, qui dissimulaient, par la barbarie politique et la corruption étatique, des parcours nocifs de reptation néocoloniale. Et tout cela, au détriment de pays appauvris et de peuples asservis !
Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne