À l’annonce du verdict susmentionné, la « Brigade anti-sardinards », quarteron exilé du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (MRC), s’est empressée de proférer des menaces de guerre civile et de commettre des saccages dans des ambassades camerounaises outre-mer, en particulier en France, en Belgique et en Allemagne. Les dérives délinquantes de ces extrémistes, manifestement portées à la violence, ne sont-elles pas suscitées et financées par des tuteurs amers de l'effet boomerang des tribulations de leur parti et de la décision irrévocable de la Cour constitutionnelle ? Sans nul doute.
Covoiturage litigieux
Le refus sans appel des municipales et des législatives de 2020 par le président du MRC, Maurice Kamto, fut pourtant vanté comme le « chef-d’œuvre d'un stratège érudit », appelé à « chasser » son ancien patron du pouvoir. Bon Dieu de droit public ! L’agrégé universitaire, après avoir d’abord proclamé ouvertement qu'il était « pleinement conscient » des contrecoups du défaut de représentation nationale, s'est ensuite activé à prouver le caractère anticonstitutionnel du Code électoral par le bluff juridique du fameux mandat impératif.
Convaincu enfin d’une issue malheureuse du revirement leurrant, il a dû emprunter le vil covoiturage litigieux du Mouvement Africain pour la Nouvelle Indépendance et la Démocratie (MANIDEM), en espérant pouvoir se présenter à la prochaine élection présidentielle. Comment cet avocat confirmé et ex-ministre délégué auprès du vice-premier ministre, garde des sceaux, a-t-il pu s’empêtrer dans de fumeuses interprétations politicardes d'une aventure électorale suspecte, que le juriste réputé a peut-être fait semblant d’ignorer ?
Malédiction marquée des boycotts électoraux
Hormis les tartufferies et les supercheries ténébreuses, le refus de participer à un scrutin électoral est presque toujours une foireuse option stratégique, une omission politique qui ternit le concours en laissant un boulevard aux autres concurrents (1). Dans le Triangle des tumultes, il y a, de surcroît, une sorte de malédiction marquée des boycotts électoraux qui semble frapper leurs instigateurs pour les ranger, tôt ou tard, parmi les pathétiques perdants de l’Histoire.
Avec le rejet franc du scrutin de 1956 par l’Union des Populations du Cameroun (UPC) et la triste réalité du conflit armé dans l'effroyable maquis combattant anticolonial, Paul Soppo Priso proposera à ce parti, interdit après les émeutes de 1955, l’alternative de se présenter sous l'égide de sa formation « Courant d’Union Nationale » (CUN), suite à l’avis toléré de l'occupant français. L'échappatoire offerte par le CUN sera écartée, et aucun UPCiste n’obtiendra de mandat électif à l’Assemblée territoriale, qui allait devenir l’Assemblée législative du « Cameroun autonome sous influence française » (2). Ainsi, la malédiction du boycottage électoral va faire perdre au mouvement initié en 1948 par les prédécesseurs de Ruben Um Nyobè l'occasion de contribuer à la gouvernance du pays et de peser sur l’avenir du nouvel État indépendant. Il en résulte qu'une cause a priori justifiée ne concourt pas nécessairement à l’art subtil d'orienter la politique d’émancipation nationale vers un résultat assurément convaincant.
Ambivalence politique
Plusieurs décennies plus tard, le Front Social Démocrate (FSD/SDF) n'est pas épargné par les déconvenues du boycott électoral. Il s'est d'abord abstenu aux législatives de mars 1992 ; ce qui n'a nullement empêché son leader, Ni John Fru Ndi, de participer à la présidentielle de la même année. Attendu que la loi qui définit les règles actuelles de candidature, n'a sa substance restrictive que depuis 2012. En 1992, « le chairman » put donc se présenter et obtint 36 % des suffrages contre 40 % en faveur du chef d'État sortant. Avec le boycott de la présidentielle de 1997 et les trois scrutins ayant eu lieu dès 2004, les candidats du FSD vont essuyer une chute vertigineuse de 36 % des voix en 1992 à 3 % en 2018. Et, au terme des cinq législatives qui ont succédé au refus des urnes de 1992, le FSD verra le nombre de ses parlementaires fondre de 43 en 1997 à cinq privilégiés en 2020 (3).
À l'instar de l’UPC durant la guerre fratricide de 1955 à 1971 et du FSD depuis 1997, le MRC va subir, à son tour, la malédiction du boycott des élections nationales de 2020, qui auraient pu faciliter la candidature de son leader à la magistrature suprême en octobre 2025 (4). La chapelle politique de Maurice Kamto s’est fatalement retrouvée sans aucun élu, mais continuait de nourrir l’illusion d'être le premier parti d'opposition au Rassemblement Démocratique du Peuple Camerounais (RDPC). La sanction de l’ambivalence politique est dorénavant sans recours : il n’y aura point de candidat MRC ou MANIDEM à la prochaine ligne de départ des 12 postulants retenus pour la compétition d’accès à la magistrature suprême de l'État.
Ambition égocentrique
Pour en arriver là, il y a sans doute eu de multiples fautes politiques, partiellement explicables par le boycott de 2020. « L’Histoire ne se répète pas, elle bégaie », dirait Karl Marx. Autrement dit, bien que les circonstances varient, des évènements ont tendance à offrir des similitudes certes imparfaites, mais identifiables. C’est notamment en période d'incertitude qu’il est d'usage d’interroger l’Histoire, en lui empruntant la précaution du temps long et en lui restituant son souffle face aux situations sibyllines. Elle nous apprend alors que l’être humain peut faire preuve au présent de complicité têtue avec ses propres turpitudes et des déboires comparables du passé. Il en découle souvent un signe de narcissisme qui n’est pas assez relevé : certains dirigeants sont fixés à fond sur leur avenir individuel, une ambition égocentrique au mépris de la prise de décision collective.
En l’occurrence, au-delà de la malédiction des boycotts électoraux, n’y aurait-il pas anguille sous roche ou baleine sous gravier, une ruse sournoise ou un intérêt obscur, qui élucideraient une absurdité aussi remarquable, encline à provoquer un retentissant hourvari politique abscons, voire une sorte d'accusation dubitable de la conspiration ourdie par le pouvoir en place ? Au final, la réalité juridique indomptée par d'éventuelles tartufferies discrètes et supercheries secrètes semble avoir apporté une réponse concrète.
Alain Boutat
Épidémiologiste,
Économiste et Politiste
Lausanne
(1) Boutat A. « Cameroun : la malédiction des boycotts électoraux », Mediapart, 23/03/2025.
(2) Ramondy K. et al. La France au Cameroun (1945-1971). Rapport de la commission "Recherche", Éditions Hermann, 2025.
(3) Tayebi O. « Recul de l’opposition et émergence de nouveaux partis : analyse des résultats des élections législatives et municipales au Cameroun », Policy Center For the New South, 22/04/2020.
(4) AFP. « Cameroun : Maurice Kamto réélu à la tête de l’un des principaux partis d’opposition », Le Monde Afrique, 11/12/2023.